de Herimene » Dim 29 Mai 2016 03:55
Département historiquement marqué à droite, l'Yonne a connu pas mal d'évolutions politiques au cours des quinze dernières années. D'une part, le FN a fait d'énormes progrès électoraux, allant jusqu'à gagner un canton en duel face à la gauche en 2015 (canton de Villeneuve-sur-Yonne, perdu depuis puisque la binôme a quitté le FN et le binôme a démissionné, avec refus de son suppléant de siéger) et à réaliser un score de 37,63% sur l'ensemble du département au second tour des Régionales en triangulaire. Ce "siphonnage" impressionnant des voix d'électeurs traditionnellement de droite a beaucoup contribué à la défaite de la liste UDI-LR au niveau régional, même si les mauvais scores franc-comtois de la droite l'expliquent aussi beaucoup. Bref, ce résultat est assez symptomatique des maux de la droite locale et de son incapacité à faire face à la très forte montée du FN dans le coin.
Cela dit, l'implantation locale des conseillers généraux sortants et la faiblesse de la gauche avaient permis à la droite de sortir honorablement des Départementales de 2015, et ce malgré de très nombreux affrontements fratricides entre les partisans d'André Villiers, président UDI du Conseil départemental et ceux du sénateur LR et copéiste Jean-Baptiste Lemoyne. Notons que cette bataille fratricide dépasse largement le cadre d'un affrontement Centristes/Républicains ou Modérés/De droite radicale, puisque le député LR Guillaume Larrivé, bien qu'étiqueté très clairement à droite du parti et sarkozyste convaincu, est un proche allié d'André Villiers... A l'époque Sarkozy avait d'ailleurs soutenu en sous-main Lemoyne... avec un franc succès on peut le dire puisque le camp pro-Villiers a nettement progressé au détriment de celui de Lemoyne à l'issue des Départementales et que l'élection du Président du Conseil départemental avait tourné au fiasco pour Lemoyne.
Bref, à droite, comme souvent quand une telle situation d'hégémonie politique perdure dans le temps, c'est une véritable guerre de clans et de tranchées qui régit les rapports entre les uns et les autres. Surtout qu'il y a aussi les héritiers de Soisson et ceux de De Raincourt, deux grands barons qui ont dominé très longuement la politique locale et influé énormément sur les investitures, Larrivé étant l'héritier politique principal de Soisson et Lemoyne l'ancien fils prodrigue de De Raincourt, qui s'est brouillé avec lui... Dans le camp Lemoyne on retrouve d'ailleurs aussi la député-maire de Sens Marie-Louise Fort, également très marquée à droite.
Bon, je ne vais pas trop m'étendre sur le sujet non plus mais disons que les prochaines échéances promettent de nouveaux épisodes des luttes intestines à droite, surtout que Larrivé en tant que protégé de Sarkozy joue un peu sur tous les tableaux et qu'il pèsera sans nul doute pas mal sur les investitures.
Disons aussi que ces luttes intestines qui n'échappent localement pas à grand monde ont probablement grandement contribué à affaiblir la droite dans un département où elle était pourtant ultra-hégémonique.
Outre la poussée du FN, très marquée dans les territoires ruraux ; dans les villes, la poussée de la gauche est manifeste au cours des dernières décennies et s'est traduite notamment par le basculement d'Auxerre, d'Avallon et de Villeneuve-sur-Yonne en 2001 et de Joigny en 2008. Notons que la vague bleue de 2014 a été ici beaucoup moins forte qu'ailleurs et qu'aucun de ces anciens fiefs n'a été reconquis par la droite... et là le FN n'y était absolument pour rien... la seule conquête d'importance à l'époque fut Migennes (ancien bastion communiste, déjà gagné par l'UMP en 2001 mais qui avait retrouvé un maire PCF de 2008 à 2014).
Cela dit, la très mauvaise forme des Socialistes actuellement va sans doute infirmer en grande partie cette dernière analyse, en tout cas pour 2017 et les Législatives. D'autant que la gauche, contrairement au résultat national et surtout régional, a fait un score très médiocre dans le département aux Régionales avec 29,64% au second tour en triangulaire (en troisième position, nettement derrière le FN et la droite, alors qu'elle gagnait au niveau régional).
Cela dit, rien de vraiment surprenant non plus...
Les législatives s'annoncent dès lors extrêmement difficiles pour la gauche dans le département, avec une très forte probabilité de retrouver trois députés de droite sur trois, comme en 2002 et en 2007 (en 2012 la gauche avait conquis un siège : la 2ème circonscription).
Le plus intéressant à suivre, outre les possibles dissidences à droite, ce sera donc les scores du FN, et sa progression, même si des triangulaires sont probables dans la 1ère et la 2ème circonscription, et occasionneront un léger suspense. Dans la 3ème circonscription, il devrait y avoir un duel LR-FN, la gauche étant a priori trop faible pour espérer atteindre le second tour... dommage pour le FN car c'est la circonscription qui lui est sur le papier le plus favorable (mais une victoire en duel face à la droite semble impossible).
1ère circonscription :
Elle est composée des anciens cantons d'Aillant-sur-Tholon, Auxerre-Est, Auxerre-Nord, Auxerre-Nord-Ouest, Auxerre-Sud, Auxerre-Sud-Ouest, Bléneau, Charny, Coulanges-la-Vineuse, Courson-les-Carrières, Saint-Fargeau, Saint-Sauveur-en-Puisaye et Toucy, ainsi que les communes d'Andryes, Etais-la-Sauvin et Monéteau.
Circonscription plutôt hétérogène avec Auxerre et son agglomération d'un côté et beaucoup de territoires ruraux de l'autre avec tout le Sud-ouest du département : la Puisaye et le Forterre. Auxerre demeure depuis 2001 une ville favorable à la gauche, ce qui rend relativement compétitive la circonscription sur le papier, mais c'est l'ancien fief de Jean-Pierre Soisson, baron giscardien puis ministre "d'ouverture" sous Mitterrand mais indéniablement homme de droite. En 2012, le maire d'Auxerre Guy Férez avait été battu de peu (48,36% contre 51,64%) par le successeur désigné de Soisson, Guillaume Larrivé, tout en étant nettement en tête sur sa ville. Mais je doute qu'il retourne au combat ce coup-ci et Larrivé devrait être réélu sans grande difficulté, même si une triangulaire est extrêmement probable (le FN est beaucoup trop fort pour ne pas se qualifier pour le second tour). Larrivé, quant à lui, devrait repartir pour un second mandat tout en envisageant un poste de ministre en cas de victoire de la droite à la Présidentielle.
2ème circonscription :
Elle est composée des anciens cantons d'Ancy-le-Franc, Avallon, Brienon-sur-Armançon, Chablis, Coulanges-sur-Yonne (moins les communes d'Andryes et d'Etais-la-Sauvin), Cruzy-le-Châtel, Flogny-la-Chapelle, Guillon, L'Isle-sur-Serein, Ligny-le-Châtel, Migennes, Noyers, Quarré-les-Tombes, Saint-Florentin, Seignelay (moins la commune de Monéteau), Tonnerre, Vermenton et Vézelay
En périodes de "basses eaux", c'est la circonscription historiquement la plus fragile pour la droite (quoique à l'avenir, si Auxerre continue son tropisme à gauche, ça pourrait bien être la 1ère qui reprend le flambeau de "terre la moins hostile" aux forces de gauche). D'ailleurs, en 1981, 1988, 1997 et 2012, cette circonscription qui comprend une grande partie du Sud et de l'Est du département avait basculé, souvent de peu cela dit car ça reste toute de même une terre plutôt favorable à la droite, le PS profitant à fond de sa très bonne implantation historique à Avallon et à Tonnerre pour gonfler son score, ainsi que de la présence de l'ancien bastion communiste de Migennes (désormais aux mains des Républicains). Bref, en 2012 le maire PS d'Avallon Jean-Yves Caullet s'était imposé d'une très courte tête (50,25% contre 49,75%) contre le député sortant Jean-Marie Rolland (ex-président du Conseil général). Il faudrait vraiment un miracle pour que le PS sauve son siège ici, même si le FN est également très fort dans le coin et obtiendra très certainement sa place au second tour. Triangulaire du même coup extrêmement probable. A droite la course semble ouverte pour l'investiture. Le maire LR de Migennes François Boucher pourrait vouloir y aller, de même que le maire UDI de Chablis Patrick Gendraud (mais je le vois très difficilement obtenir l'investiture des Républicains dans une circonscription aussi favorable). Jean-Marie Rolland, l'ancien député UMP, semble retraité de la vie politique active, il ne s'est représenté ni aux dernières Municipales ni aux dernières Départementales, et ne détient plus le moindre mandat.
3ème circonscription :
Elle est composée des anciens cantons de Cerisiers, Chéroy, Joigny, Pont-sur-Yonne, Saint-Julien-du-Sault, Sens Nord-Est, Sens-Ouest, Sens Sud-Est, Sergines, Villeneuve-l'Archevêque et Villeneuve-sur-Yonne.
La circonscription sans doute la plus intéressante politiquement parlant car c'est désormais un vrai bastion FN, le seul sans doute en Bourgogne sur un territoire aussi large. Cela explique le score impressionnant des dernières Régionales ou encore la conquête (néanmoins avortée comme je l'ai déjà souligné) d'un canton aux Départementales. Région rurale par excellence malgré un centre urbain important : Sens et de nombreux bourgs d'importance notable comme Joigny ou Villeneuve-sur-Yonne, cette circonscription qui comprend le tiers nord du département connaît d'importants mouvements démographiques depuis plusieurs décennies avec une croissance de la population assez soutenue sur une vingtaine d'années. En Bourgogne, le fait est notable car c'est l'un des rares territoires avec l'agglomération dijonnaise (en Côte-d'Or) à connaître un tel phénomène de façon continue et aussi marquée, alors que dans beaucoup d'endroits la population stagne ou augmente de manière très légère. Bref, ces mouvements démographiques ont entraîné une importante périurbanisation et l'arrivée de nouvelles populations surtout originaires de la région parisienne toute proche. Ils expliquent sans doute en grande partie le très vote FN recensé dans le coin depuis justement les années 1990. Le problème pour le FN c'est que le coin reste une terre favorable à la droite classique malgré tout (malgré les mauvais résultats électoraux des dernières Régionales, par exemple) et une terre peu favorable à la gauche. Du coup, je pense que la députée sortante Marie-Louise Fort ou son dauphin, puisqu'elle devra choisir entre son mandat de maire et celui de députée, devrait être réélu(e) en duel face au FN (je pense que la gauche aura beaucoup de mal à se qualifier pour le second tour en triangulaire, même si ça reste possible). Toutefois le score du FN devrait être ici très impressionnant au premier tour (au second tour des Régionales il s'agissait en effet de 41,22% en triangulaire). Et en cas de victoire de la gauche à la Présidentielle, une triangulaire deviendrait extrêmement probable et le FN serait dès lors l'immense favori. Son candidat très probable sera Julien Odoul, secrétaire départemental depuis l'an passé, ex-Jeune UDI du Val-de-Marne, parachuté ici pour les dernières Départementales, et qui a succédé à l'eurodéputé Edouard Ferrand, désormais retiré de la vie politique bourguignonne depuis qu'il est à la tête de la délégation des eurodéputés FN (depuis la disgrâce d'Aymeric Chauprade) et est un cadre dirigeant du groupe parlementaire européen ENL. Précisons qu'en 2012 la députée UMP sortante Marie-Louise Fort avait battu assez largement au second tour le candidat PS Nicolas Soret (55,28% contre 44,72%). Au premier tour, Edouard Ferrand n'était arrivé que 3ème et avait fait un score insuffisant pour se qualifier compte tenu de la participation, mais ce score était tout de même très élevé pour l'époque : 19,26%.
Mon pronostic pour l'instant :
En cas de victoire de la droite à la Présidentielle :
Ballottage très favorable à la droite : 1ère, 2ème
Ballottage favorable à la droite, la force du FN m'amenant à être prudent (il perdra en duel mais si la gauche accroche une triangulaire in extremis, il peut gagner en soit) : 3ème
En cas de victoire de la gauche à la Présidentielle :
Ballottage favorable à la droite (avec très léger suspense) : 1ère, 2ème
Acquis au FN : 3ème