de vudeloin » Mar 31 Juil 2012 19:40
Un message sur le sujet ouvert l'autre jour quant aux députés de la première législature de la Cinquième République élus en Algérie.
On rappellera évidemment, dans un premier temps, le contexte très particulier de ce scrutin de 1958.
L'Algérie votait, depuis la Libération, sous la forme du double collège, voyant ses députés désignés en partie par les électeurs d'origine européenne et en partie par les électeurs d'origine « musulmane ».
Le dernier scrutin, celui de 1951, avait été marqué par un renforcement relatif de la droite au sein du collège électoral des Français d'Algérie, et une affirmation de partis sous influence des partis de la métropole pour les électeurs autochtones.
En 1951, le département d'Alger est ainsi représenté par 3 républicains indépendants, 2 gaullistes et un communiste pour ce qui est des Français, face à 1 socialiste, 2 radicaux, 1 MRP et 1 divers droite pour les Algériens.
Celui de Constantine est représenté par 1 gaulliste, 2 radicaux, 1 républicain indépendant et un indépendant (d'ailleurs de droite, puisque représentant des riches colons en Algérie), tandis que la population locale était représentée par 1 socialiste, 2 radicaux, 1 MRP, 1 républicain indépendant, 1 UDSR et 1 gaulliste.
Enfin, sur Oran, la population européenne avait élu un gaulliste (le maire d'Oran, Henri Fouques Duparc), un élu divers droite (nostalgique du maréchal Pétain), un socialiste issu de la Résistance, un républicain indépendant et une communiste.
Les autochtones étaient représentés par 2 radicaux, dont le Docteur Chérif Sid Cara et un UDSR.
En 1956, l'Algérie n'a pas voté, étant depuis plus d'un an le théâtre de la « guerre sans nom » et la situation ne s'est d'ailleurs pas arrangée en 1958, quand vient le moment d'élire la première Assemblée nationale de la Cinquième République.
La guerre s'est enlisée puisque les succès militaires de l'armée française se doublent des échecs diplomatiques internationaux correspondants et le climat local s'est encore alourdi avec les événements de mai 1958 sur le Forum d'Alger et la visite du Général de Gaulle, début juin, ponctuée par le fameux « Je vous ai compris ».
Le climat politique local est délétère : les organisations proches de la cause de l'indépendance sont pourchassées (notamment les communistes algériens), les comités de salut public, sous le double parrainage revendiqué de l'armée et du courant gaulliste, quadrillent la plupart des grandes villes et l'armée se préoccupe elle même beaucoup de l'organisation des opérations électorales.
Le scrutin en lui même est marqué par trois innovations, si l'on peut dire.
Première innovation : le principe du double collège est abandonné au profit du collège unique, regroupant donc les électeurs de toutes confessions et origines, ce qui fait que les élus de chaque circonscription sont désignés sur la base d'une proportion relative (un européen pour deux autochtones en gros) de la population électorale par origine.
Seconde innovation : les femmes sont pourvues du droit de vote
Troisième innovation : l'Algérie voit ses soixante seize arrondissements répartis en dix neuf circonscriptions au total, la dernière, celle de la Saoura ne désignant qu'un élu et les autres un nombre compris entre trois et cinq sièges.
Le scrutin est un scrutin de liste majoritaire qui attribue tous les élus à la liste arrivée en tête, quand bien même cette liste n'aurait pas obtenu la majorité absolue.
Les résultats du scrutin sont à prendre avec les réserves nécessaires, au regard des conditions d'organisation et de l'implication de l'armée dans le déroulement des opérations.
La participation est assez inégale, premier signe de cette implication.
Les données sont les suivantes
Alger : 217 948 inscrits, 128 693 votants (59,05 %), 127 174 exprimés
Alger banlieue : 311 038 inscrits, 212 061 votants (68,18 %), 194 359 exprimés
Blida : 146 217 inscrits, 104 130 votants (71,22 %), 98 077 exprimés
Médéa : 305 304 inscrits, 178 484 votants (58,46 %), 173 628 exprimés
Orléansville : 271 642 inscrits, 193 874 votants (71,37 %), 190 968 exprimés
Tizi Ouzou : 268 962 inscrits, 156 770 votants (58,29 %), 153 551 exprimés
Oran ville : 174 327 inscrits, 123 546 votants (70,87 %), 118 438 exprimés
Oran campagne, Sidi Bel Abbès : 314 335 inscrits, 238 286 votants (75,81 %), 230 917 exprimés
Tlemcen : 152 142 inscrits, 101 533 votants (66,74 %), 98 254 exprimés
Mostaganem : 108 923 inscrits, 82 703 votants (75,93 %), 80 768 exprimés
Mascara : 183 765 inscrits, 132 538 votants (72,12 %), 129 105 exprimés
Tiaret : 172 957 inscrits, 132 977 votants (76,88 %), 132 587 exprimés
Constantine : 253 651 inscrits, 172 025 votants (67,82 %), 162 493 exprimés
Philippeville, Jijel : 225 854 inscrits, 126 318 votants (55,93 %), 119 515 exprimés
Batna : 242 198 inscrits, 142 210 votants (58,72 %), 137 904 exprimés
Bône (Annaba) : 295 644 inscrits, 196 215 votants (66,37 %), 186 580 exprimés
Sétif : 249 466 inscrits, 129 044 votants (51,73 %), 123 455 exprimés
Bougie (Béjaïa) : 214 849 inscrits, 117 430 votants (54,66 %), 115 590 exprimés
Oasis : 186 455 inscrits, 135 949 votants (72,91 %), 125 733 exprimés
Saoura : 77 290 inscrits, 65 082 votants (84,20 %), 64 081 exprimés.
Ce qui fait, sur les circonscriptions de l'Algérois
1 521 111 inscrits, 974 012 votants (64,03 %), 937 757 exprimés
Pour l'Oranais, nous avons
1 106 449 inscrits, 811 583 votants (73,35 %), 790 069 exprimés
Pour le Constantinois, nous avons
1 481 662 inscrits, 883 242 votants (59,61 %), 845 537 exprimés.
Enfin, la partie saharienne de l'Algérie donne
263 745 inscrits, 201 031 votants (76,22 %), 189 814 exprimés.
On le voit, les circonscriptions du Constantinois ont moins voté (c'est là l'effet de la présence du FLN en grande partie, à partir de la Tunisie voisine), et notamment les circonscriptions berbères (Béjaïa, Tizi Ouzou sur Alger) ou acquises de longue date à la cause indépendantiste (Sétif).
Quant au scrutin, il a connu plusieurs listes uniques.
Ce fut le cas dans les circonscriptions d'Orléansville (où la liste était menée par le bachaga Boualam), de Tizi Ouzou (avec une liste composée par un candidat UNR et des candidats du futur groupe Unité de la République), de Tiaret (avec des élus Unité de la République là encore) ou encore dans les Oasis où la liste unique, composée de députés non inscrits, comprenait notamment Sid Hamza Boubakeur, futur Recteur de la Mosquée de Paris et père de l'actuel Recteur, Dalil Boubakeur.
Il y eut un certain nombre d'élections à la majorité relative.
Ce fut le cas pour Alger ville où la liste Lagaillarde (droite) Djebbour (Unité de la République, futur proche de Jean Marie Le Pen), René Vinciguerra, Mourad Kaouah (Unité de la République aussi) l'emporta avec 47 527 voix (37,37 % des suffrages), face à une liste UNIR, plus proche de l'UNR, pourvue de 40 807 voix (32,09 %).
Ce fut le cas pour Alger Banlieue où la liste conduite par Nafissa Sid Cara (l'une des rares femmes élues) et Marc Lauriol ( futur député et sénateur des Yvelines) obtint 61 860 voix (31,83 %) devança de fort peu la liste UNIR, 60 276 voix (31,01 %).
Autre élection serrée sur Oran ville où la liste UNR du maire de la ville, Henri Fouques Duparc, l'un des deux seuls parlementaires de 1951 reconduits en 1958 avec le docteur Sid Cara sur Oran Campagne, réunit 48 466 voix (40,92 %) contre 47 975 voix (40,51 %) pour la liste arrivée deuxième.
Mascara connaît également cette situation avec une liste « Rénovation » composée de candidats proches de l'UNR ou futurs membres d'Unité de la République, l'emporte avec 62 624 voix (48,51 %) contre 59 918 voix (46,41 %) pour la liste arrivée deuxième.
Enfin, sur Philippeville et Jijel, la liste victorieuse obtint 63 294 voix (48,87 %) contre 56 221 voix (43,41 %) pour la liste arrivée deuxième.
Je ne vais pas épiloguer sur toutes les circonscriptions mais je tiens cependant à noter qu'un seul député de sensibilité de gauche fut élu en Algérie en 1958, à savoir William Widenlocher, député de Sétif, membre de la SFIO, et dont la liste pour le moins composite (il y avait des élus de droite sur la même liste) obtint 63 975 voix (51,82 %) sur 123 455, le solde allant à une liste plus « Algérie Française ».
Les élus de Sétif se partageront ensuite : outre l'élu SFIO précité, un UNR (Khelil Benhalla), une Unité de la République (Rebiha Khebtani) et un non inscrit (Ali Bendjelida).
Rebiha Khebtani sera maire de Sétif en 1959, avant l'indépendance et Ali Bendjelida, greffier en cabinet notarial, adhérera à l'UNR ensuite.
Pour autant, contrairement à ses trois autres colistiers, il ne quittera pas l'Algérie et finira son existence comme directeur d'établissement scolaire.
Le socialiste William Widenlocher, pour sa part, s'installera à Nice où il reprendra ses activités de notaire (l'office existe toujours) et s'occupera de retrouver et aider les militants « Pieds Noirs » de la SFIO.
Quelques uns des élus algériens de 1958 ont cependant laissé une trace plus ou moins nette dans l'histoire récente de notre pays.
Outre le recteur Boubakeur, Pierre Laffont, député d'Oran Campagne, directeur de l'Echo d'Oran, fera carrière en France dans l'édition, auprès de son frère, Robert Laffont.
Nafissa Sid Cara sera un temps Ministre du Général de Gaulle, déléguée aux Affaires sociales en Algérie.
Marc Lauriol, comme nous l'avons vu, sera parlementaire des Yvelines, élu dans la circonscription où, par surprise, Michel Rocard avait été élu en 1969.
Le Bachaga Boualam (ou Boualem) sera l'un des responsables harkis et son exil en France s'achèvera par son décès à Mas Thibert, village de la commune d'Arles où de nombreuses familles harkies ont été installées après 1962, dans des conditions qui sont loin d'avoir été idéales, comme cela se produit en pareil cas.
Enfin peut on citer parmi les députés « européens » l'ex radical Léopold Morel, maire de Constantine et directeur du journal local, la Dépêche, devenu prudemment Unité de la République en 1959 et Robert Abdesselam, ancien maire d'El Biar et député d'Alger Banlieue, qui sera surtout connu, après l'indépendance, par son rôle dans les instances dirigeantes de la … Fédération française de tennis et plus encore (les choses étant liées) dans le groupe Lacoste.
Autant le dire tout de suite : pour les députés représentant la population autochtone, la plupart ont connu l'oubli, venant s'ajouter à l'exil (les lieux de résidence et parfois de décès des intéressés traduisent le long chemin des harkis notamment) et pour ceux restés en Algérie, le plus souvent une certaine forme d'indignité nationale, pour le pire si l'on peut dire, et d'indifférence, pour le meilleur...
Comme on peut s'en douter, ceux qui ont choisi l'exil sont souvent ceux qui n'ont pas tout à fait accepté l'indépendance de l'Algérie et notamment les revirements apparents de la politique gaulliste, matérialisés par les affiliations mouvantes allant d'Unité de la République à l'UNR en passant par les non inscrits, ce choix étant notamment opéré par les députés qui resteront proches des ultras de l'Algérie Française, comme Pierre Lagaillarde.