Depuis quand la gauche est-elle dans cet état de mort cérébrale, comme vous dites ?
C’est le fruit de plusieurs évolutions emmêlées.
Il y a d’abord un mouvement continu de professionnalisation politique, où la ressource intellectuelle est de moins en moins valorisée. Exemple typique : il y a quelques années, Pierre Moscovici, qui avait une image d’intellectuel, est allé expliquer à Libération qu’il était un homme d’appareil. Comme s'il valait mieux apparaître comme un apparatchik que comme un intello !
Il y a ensuite le mouvement de technocratisation. Les énarques ont pris de plus en plus de poids dans la définition de ce qu’est la politique. Ils occupent à la fois les postes de hauts fonctionnaires, les principaux postes politiques, et aussi une part du pouvoir économique. Là s’est forgée une vision très particulière, très fragmentée. On découpe ainsi dans la réalité des cases dites “techniques” : “l’immigration”, “l’emploi”, “le déficit budgétaire”, “la délinquance”... On segmente les problèmes sans établir de rapports entre eux. On examine des petits bouts de tuyauterie de machineries sociales dont on ignore la globalité.
Ensuite, aucun cadre globalisant n’est venu remplacer le marxisme en déclin à partir du début des années 80. Je ne regrette pas le poids trop exclusif des références marxistes dans les années 50-70, mais la globalisation qu’elles apportaient.
Dernier élément : ce que l’historien François Hartog appelle “le présentisme”. Les sociétés traditionnelles avaient pour référence le passé, les sociétés modernes (au sens des Lumières) étaient tournées vers l’avenir via le progrès, et aujourd’hui une sorte de présent perpétuel a remplacé tout ça, sans point d’appui ni dans le passé ni dans l’avenir pour juger de ce qui arrive. De fait, la politique devient de plus en plus une marionnette de l’immédiateté.
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