de vudeloin » Dim 5 Fév 2012 13:24
L'autre aspect, bien souvent ignoré du grand public, ou à tout le moins de quelques uns de ceux qui se font aujourd'hui, en 2012 (cette référence historique me semble essentielle parce qu'en 1958; l'image du sénateur endormi dans son confortable fauteuil était très prégnante), les contempteurs du bicamérisme, c'est que le volume et la durée des débats parlementaires ont considérablement crû depuis les débuts de la Cinquième République.
Il faut dire qu'avec une loi pour chaque fait divers, ou presque, le quinquennat qui s'achève a, de ce point de vue, battu largement les records...
Toujours est il qu'au tournant des années 50 60, le Sénat siégeait autour de 400 heures par an, en deux sessions (pour l'nfo de tous, la session unique, censée rationaliser le travail parlementaire n'existe que depuis 1995) qui duraient du 1er octobre à Noel et du 1er avril au 30 juin.
Un jour de session de printemps, c'était quatre à cinq heures de séance tandis qu'un jour de session d'automne pouvait durer sept à huit heures.
Pour une raison très simple, c'est que les règles d'adoption de la loi de finances (le Sénat n'a que 20 jours, et non 40 comme l'Assemblée pour procéder à l'examen du budget et son adoption) ouvraient, naturellement, le risque d'ouverture de séances de nuit.
La politisation croissante du Sénat, notamment à partir de 1969 et la volonté affirmée d'Alain Poher d'en faire un outil au service du courant libéral et démocrate chrétien va changer la donne.
Dans le contexte d'une Assemblée où la droite est dominée par le RPR, le Sénat, où le RPR n'est encore qu'un groupe mineur de la majorité, va, de plus en plus souvent, hériter de « premières lectures ».
Il atteint 575 heures de séance publique en 1975, 610 heures en 1978, plus de 674 en 1979 et 777 en 1980, année où la lutte entre Giscard d'Estaing et Chirac atteint son paroxysme, notamment dans le fameux recours contre la loi de finances pour 1980.
L'année 1981 est le point de départ d'une inflation de la durée des travaux en séance publique, parce que la majorité de droite du Sénat fait du Luxembourg une sorte de Fort Chabrol face à la politique du gouvernement de gauche.
Le Sénat siège 131 jours en 1982 (dont 31 jours de session extraordinaire), 105 en 1983 et 121 en 1984.
Devenu un enjeu politique majeur, il culmine à 928 heures 20 minutes de débat en 1986, année du retour de la droite au pouvoir, en 129 jours de séance, puisque les débats sur la privatisation des entreprises publiques et, aussi, la loi sur la liberté de communication engageant celle de TF1 occupent un temps majeur de l'activité.
Les sessions 1989, 1990, 1991, dépassent les 700 heures de débats, tandis que la session extraordinaire de 1993, causée par l'alternance, dure près de 100 heures en 14 jours de séance.
En 1994, marquée par la discussion de la loi Pasqua sur l'aménagement du territoire, on dépasse les 813 heures de séance.
Mais on n'a encore rien vu !
Car voici que Philippe Seguin, alors Président de l'Assemblée Nationale, oeuvre pour la mise en place de la session unique, destinée, selon lui, à faciliter le contrôle de l'activité du Gouvernement et à donner sens à un travail parlementaire moins sujet à l'urgence et à la pression des évènements.
Et, là , franchement, je rigole ! :)
D'abord pour remarquer que la gauche n'a que peu fait appel à la procédure de la session extraordinaire entre 1997 et 2002, le faisant, sur la période, pour 8 jours en tout et pour tout dont 7 pour la session de juillet 1997 ayant suivi l'élection de mai juin.
Par contre, depuis 2002, ça y va !
125 jours de débats et plus de 900 heures de débat sur la session 2002 – 2003 !
127 jours et 987 heures de débat l'année suivante !
128 jours et 978 heures de débat en 2005 – 2006 !
142 jours et 1 083 heures de débat en 2008 – 2009, dans un contexte où la procédure d'urgence ou la procédure accélérée (ne riez pas) est invoquée à 34 reprises sur la discussion des projets et/ou propositions de loi !
La part des travaux dits de contrôle ? 167 heures, soit quelque chose comme 15 % !
Pour 2009 – 2010, on atteint même 1127 heures de séance, au cours de 143 jours d'activité, avec 186 heures et quelques de débats de contrôle (on reste dans les mêmes eaux) soit seulement 35 heures de plus que le temps consacré à l'examen du budget...
En 2010 – 2011, le temps de séance s'est fixé à 1056 heures et demi, sur 135 jours de séance, la seule session ordinaire s'approchant des 1 000 heures de débat dont le quart en séances de nuit;
Quant aux travaux de contrôle parlementaire, organisés en périodes précises depuis la révision de 2008, ils sont toujours aux alentours de 160 heures (15 % ou peu s'en faut du temps de séance)...
Je rappelle, à ce stade, que le Règlement des Assemblées, dans le droit fil de la Constitution, fixe à 120 jours le nombre de jours de séance de la session unique (article 28 de la Constitution).
Rassurez vous, il n'est pas violé, puisque des jours supplémentaires de séance peuvent être tenus, après accord des Présidents de chaque Assemblée.
Ceci dit, tout cela a au moins une conséquence : celui d'accroître les coûts de fonctionnement du Sénat, certaines années (ne riez pas) ayant vu la dotation budgétaire annuelle s'inscrire en dessous des dépenses constatées.
Le problème, en fait, est bel et bien celui de l'inflation législative, du « trop de lois tue la loi », la session extraordinaire, devenue très ordinaire, se contentant, bien souvent, de boucler l'examen des textes inachevés en session ordinaire.
Il y a donc inflation de lois et inflation de la procédure d'urgence, devenue procédure accélérée.
Ainsi en 2010 – 2011, dernière session achevée, on a adopté 66 lois dont 42 projets de loi et 24 propositions de loi, hors conventions internationales.
21 textes, c'est à dire la moitié des projets de loi, ont fait l'objet d'une déclaration de procédure accélérée (ex urgence), une accélération d'ailleurs toute relative puisque la durée moyenne d'examen d'un texte est de 298 jours...
Et je ne parle évidemment pas des problèmes liés à la simple application de textes comprenant x ou y dispositions réglementaires qui peinent souvent à être promulguées...
Avec un effet détestable sur l'opinion publique et qui frappe singulièrement l'actuel Président de la République et son gouvernement : l'impression de s'agiter en plein vent pour ne pas changer grand chose au quotidien des gens !
A vrai dire, pour certains aspects, j'aime autant que certaines dispositions contenues dans les textes examinés depuis 2007 n'aient pas trouvé application et que les 931 réformes du quinquennat Sarkozy (si l'on en croit Eric Brunet) sont, pour une bonne part, comme des coups d'épée dans l'eau.
Avant de se demander si le bicamérisme est nécessaire à la France (c'est une vraie question), peut être devrait on, d'abord, s'interroger sur ce que l'on a fait de l'outil parlementaire depuis 1958...