de vudeloin » Ven 3 Juin 2011 21:53
Pour ce qui va nous intéresser désormais, ce sera la performance de Jean Lecanuet, le candidat centriste de l'élection présidentielle de 1965 qui apparut, d'une certaine manière, comme une sorte d'alternative de droite modérée au gaullisme et dont certains ont pu penser qu'il avait été la première manifestation d'une campagne électorale à « l'américaine « , la jeunesse relative de l'intéressé s'apparentant au cas du déjà regretté Président Kennedy pour les USA.
Jean Lecanuet a pour lui d'être un peu plus jeune que les autres candidats : âgé de 45 ans au moment de l'élection, il est alors conseiller général et Sénateur de Seine Maritime, élu sur Rouen qui sera bientôt la ville dont il assumera la charge la plus élevée ( il succédera au printemps 68 au CNI Bernard Tissot, mort en fonctions ).
Collaborateur de plusieurs Ministres MRP sous la Quatrième République, une fois secrétaire d'Etat, Lecanuet n'a donc pas encore pour lui l'usure de la pratique gouvernementale en première ligne, si l'on peut dire.
Il n' a pas eu la même carrière que François Mitterrand, son aîné de trois ans et demi, pas celle de Tixier Vignancour, déjà élu en 1936, ou même celle de Pierre Marcilhacy, sénateur de Charente depuis alors 17 ans...
Et, bien entendu, Jean Lecanuet avait juste environ trente ans de moins que le Général de Gaulle, à peu de choses près ce qui séparait un jeune résistant quasi anonyme ( qu'il fut en région Nord ) du chef de la France Libre...
Jean Lecanuet était membre du Mouvement Républicain Populaire qui vit, au milieu des années 60, ses dernières heures, ayant perdu, par la force du schéma institutionnel de la Cinquième République, la pertinence que pouvait lui donner son caractère de force motrice des « gouvernements de troisième force « associant SFIO mollettistes, radicaux, centristes, démocrates chrétiens les plus divers et indépendants masquant mal l'expression politique d'une droite sortie du purgatoire des années d'épuration de la Libération.
1958, avec le Gouvernement de large rassemblement autour de De Gaulle, a consacré le partage des tâches entre indépendants et gaullistes de l'UNR et 1962, avec la séquence référendaire, amené la primauté de l'UNR, reléguant les centristes au rôle subalterne de force d'appoint.
La candidature de Jean Lecanuet, sous les apparences de la nouveauté, est donc la préfiguration de ce que nous allons connaître avec l'UDF chère à Valéry Giscard d'Estaing.
Lecanuet est en effet soutenu par le MRP, qu'il va bientôt transformer en instrument politique de sa propre aventure, avec la naissance du Centre Démocrate, et va recueillir le soutien du Centre National des Indépendants et Paysans, c'est à dire de ceux des Indépendants qui n'ont pas suivi Valéry Giscard d'Estaing dans son soutien au gaullisme sur les questions du temps, Algérie Française ou révision constitutionnelle de 1962.
Un attelage pour le moins étonnant, de démocrates chrétiens, d'hommes de droite et d'agrariens qui enserrent, en quelque sorte, par la gauche comme par la droite le courant gaulliste incarné par l'UNR et ses alliés ( pour le moment ) giscardiens.
Et une tentative de rassemblement des forces modérées et conservatrices non gaullistes qui s'apparente, immanquablement, au vieux débat traversant la droite française entre ses divers courants ( légitimistes versus orléanistes, libéraux versus autoritaires, etc...)
Le candidat Lecanuet peut de fait s'appuyer sur un certain nombre de relais et de parlementaires, notamment.
Il y a notamment les 55 députés centristes de l'Assemblée, plus les élus proches du CNIP qui constituent un premier ensemble de partisans.
Et il y a aussi un Sénat où l'on compte 38 élus du MRP et du Centre démocratique et 19 élus du Centre républicain d'action rurale et sociale, qui regroupe une bonne part des proches et membres du CNIP.
Nous allons maintenant regarder les endroits de notre beau pays où la performance du candidat centriste fut intéressante, c'est à dire dépassa assez nettement les 15 % des suffrages ( sa moyenne nationale étant de 15,6 % environ )
Par commodité, nous verrons la situation par département.
Dans l'Ain, Lecanuet atteint 21,7 % sur le siège de Bourg en Bresse et 19,7 % sur celui de Belley.
Il décroche 16 % des voix sur le bassin de Vichy et voit ses scores tourner autour de 16 % dans les deux circonscriptions des Hautes Alpes.
Il atteint 16,6 % sur la seconde circonscription des Alpes Maritimes ( celle de Jacques Médecin ) et 17,1 % sur le siège de Cannes Antibes.
Il atteint 19 et 18,2 % dans les deux circonscriptions de Tournon Annonay et de Largentière Aubenas et dépasse les 16 % sur Mézières Rethel et Sedan Vouziers.
Dans l'Aube, il dépasse les 17 % sur le siège de Troyes Bar sur Aube.
Il atteint également 24,6 % dans la circonscription de Rodez et 26,6 % sur le siège de Millau Saint Affrique, où il devance d'ailleurs le candidat de la gauche, François Mitterrand.
Il est, évidemment, moins influent sur le siège de Villefranche de Rouergue Decazeville, où l'électorat du bassin houiller assure une majorité relative au candidat de gauche.
Il obtient de 20,2 à 25,3 % des voix dans les circonscriptions du Calvados, département certes voisin de son département d'élection mais également largement marqué par les idées centristes, devançant partout le candidat de gauche, sauf sur Caen et son agglomération ouvrière.
Il obtient 17,4 % sur le siège d'Aurillac et 19,5 % sur celui de Mauriac Saint Flour.
Il réalise des performances intéressantes en Charente Maritime : 16,3 % sur Rochefort, 18,9 % et 17,1 % sur Saint Jean d'Angély et Saintes Jonzac ( la Saintonge pour tout dire ).
Jean Lecanuet obtient également de 19,1 à 21,2 % en Côte d'Or, département d'influence importante du CNIP, dont sont issus quelques unes de ses personnalités.
Il se situe entre 16 et 19 % dans les circonscriptions des Côtes du Nord, où le MRP conserve une certaine influence.
Il dépasse les 20 % dans le Haut Doubs, obtient de bons scores dans l'Eure, avec notamment plus de 27 % sur le siège de Bernay, près de 20 % sur le siège de Louviers ( on est à chaque fois près de Rouen ), flotte entre 16 et 19 % en Eure et Loir, et se situe entre 15 et 24,3 % dans le Finistère.
Dans ce département breton, il devance le candidat de la gauche sur le Léon et contribue aux grands contrastes d'influence respective du Général de Gaulle et de François Mitterrand.
Ainsi, De Gaulle atteint il 66 % des voix au premier tour sur la 3e circonscription ( Landerneau ) quand il doit se contenter de 41,6 % dans la 6e circonscription ( Châteaulin ).
Lecanuet dépasse les 17 % dans le Gers, département de faible implantation gaulliste puisque Mitterrand y dépasse, sur les deux sièges, les 44 % au premier tour.
Il ne dépasse les 16 % en Gironde que dans les deux circonscriptions de Bordeaux, celle de Langon et celle de Blaye, où il tire parti de la présence d'élus de sensibilité CNIP ( plus de 20 % dans la 10e circonscription, qui couvre le Blayais ).
Il réalise, sans surprise, de 17,7 à 23,9 % des voix dans les circonscriptions d'Ille et Vilaine, devançant le candidat de la gauche sur Vitré, Fougères et Redon, dans un contexte où De Gaulle obtient la majorité absolue dans quatre des six sièges du département ( les mêmes plus celui de Saint Malo, les deux sièges découpés sur Rennes faisant exception ).
Jean Lecanuet dépasse également les 16 % sur les sièges d'Issoudun La Châtre et du Blanc, ainsi que dans les trois sièges de l'Indre et Loire découpés au delà de Tours centre.
Il atteint ainsi les 20 % sur le siège entre Chinon, Joué les Tours et Richelieu dont nous avons déjà parlé par ailleurs.
Il ne dépasse les 16 % dans l'Isère que dans sur les trois sièges du Nord Isère ( Vienne Nord et Sud, Bourgoin La Tour du Pin ), dépasse les 19 % dans le Jura ( soutien discret d'Edgar Faure avec qui il avait travaillé ? ), atteint 18 % sur Blois et 22 % sur Romorantin et la Sologne.
Dans la Loire, avec le soutien des indépendants, Lecanuet obtient des scores importants, obtenant 25,8 % dans la 3e circonscription ( celle de Saint Chamond, c'est à dire le siège d'Antoine Pinay ) et dans les très catholiques 6e et 7e circonscriptions (Charlieu et Montbrison ), où le score de 26 % est atteint, plaçant le candidat centriste devant le candidat de la gauche.
Score élevé évidemment en Haute Loire, avec plus de 27 % sur le siège du Puy et près de 26 % sur celui de Brioude, la seule différence étant que Lecanuet est second sur le Puy et juste derrière Mitterrand sur l'autre siège.
Scores de 19,8 à 29 % dans les circonscriptions de Loire Atlantique où Lecanuet devance Mitterrand sur les sièges d'Ancenis, Châteaubriant, La Baule et Pornic Guérande.
En clair, Lecanuet est devant le candidat de la gauche dans les zones rurales du département et plutôt devancé dans les villes comme Nantes et Saint Nazaire.
Un bon score dans le Loiret : 19 % sur le siège de Pithiviers ( Beauce et Gâtinais ), un score honorable entre 16 et 17 % dans le Lot ( où la performance de De Gaulle est très moyenne ), et proche en Lot et Garonne, pour des raisons identiques.
En Lozère, Lecanuet dépasse les 17 % sur le siège de Mende, 18,8 % dans l'autre siège, où il dépasse le score de Mitterrand.
En Maine et Loire, Lecanuet obtient des moyennes élevées : de 23,3 à 28,1 % ( circonscription de Cholet, où fut longtemps élu le CNIP Maurice Ligot ).
21 à 25 % dans les quatre premières circonscriptions de la Manche où Lecanuet devance, bien entendu, le candidat de la gauche.
Il tourne autour des 20 % sur Châlons Vitry et Epernay, et se situe entre 25 et 30 % sur les trois sièges de la Mayenne, où le candidat centriste dépasse nettement le candidat de la gauche.
37 504 voix pour Lecanuet en Mayenne, 20 383 pour François Mitterrand.
En Meurthe et Moselle, comme prévu, les cinq premières circonscriptions ( Nancy, Lunéville, Toul ) donnent de 16,6 à 19,5 % des voix au candidat centriste, mais le Pays Haut moins de 10 %..
19,5 % pour Lecanuet sur le siège de Nancy Saint Nicolas de Port.
16 et 19 % sur les sièges de Verdun et Bar le Duc, signe d'une certaine implantation centriste et performance logique dans le Morbihan, autre département breton de tradition catholique.
Les scores du candidat centriste vont de 15,2 % ( sur Lorient, sans surprise ) à 20,5 % sur le siège de Pontivy, tandis que Lecanuet arrive second sur le siège de Vannes.
Plus faible résultat en Moselle ( seule la 2e circonscription donne plus de 15 % au candidat centriste ), ce qui peut surprendre puisqu'il s'agit d'un département où le MRP avait été fort influent avec Robert Schuman.
Dans le Nord, seules les deux circonscriptions de la Flandre intérieure ( Bergues et Hazebrouck ) ont donné un score élevé au candidat centriste.
Scores importants dans l'Orne de la candidature centriste, qui dépasse, là encore, le score du candidat de la gauche.
Jean Lecanuet fit entre 18 et 20 % dans les Pyrénées Atlantiques actuelles ( alors Basses Pyrénées ), dépassant même le candidat de la gauche sur la 3e circonscription (Pays Basque intérieur ).
Résultats évidemment assez bons dans les deux départements alsaciens où Lecanuet dépasse les 20 % partout sauf dans une circonscription du Bas Rhin et où il devance Mitterrand sur tous les sièges.
Scores intéressants pour lui encore sur Lyon, la Haute Savoie ou encore les circonscriptions bourgeoises de la Seine ( dans les quartiers huppés de Paris, Neuilly sur Seine, par exemple ).
Performance honorable, mais sans plus, de Lecanuet dans son département de Seine Maritime : 22,2 % sur la 1ere circonscription ( Rouen ), 23,8 % sur la 5e (Fécamp) et 27,1 % sur la 10e (pays de Bray).
Il se retrouve finalement devancé par François Mitterrand dans 8 circonscriptions sur 10.
La Seine et Marne donne, sauf sur Chelles Lagny, de 15 à 19 % des votes au candidat centriste tandis que la Seine et Oise, comme on pouvait s'y attendre, lui donne ses meilleurs scores sur les sièges huppés comme Versailles et Saint Germain en Laye ).
Le score est également élevé sur les sièges de Parthenay et Thouars Bressuire dans les Deux Sèvres, terres d'implantation centriste et indépendante.
Enfin, Lecanuet fit un bon score en Vendée, obtenant notamment plus de 28 % dans la circonscription des Herbiers ( c'est là où Philippe de Villiers se fit élire député ensuite...).
Sur le département, on compte 218 590 suffrages exprimés.
De Gaulle fit 112 640 voix, soit 51,5 %.
Lecanuet réalisa 52 448 voix, soit 24 % et Mitterrand dut se contenter de 37 960 suffrages, soit 17,4 %...
Je ne sais pas vous, mais pour peu que vous soyez un lecteur attentif de ce forum, vous constaterez que, comme par hasard, l'influence de Lecanuet recoupe assez nettement les zones d'influence de la démocratie chrétienne, ce qui donne bien des raisons de constater que c'est bel et bien la reconstruction de la droite modérée, non gaulliste, qui fut l'élément clé de la candidature Lecanuet.
En 1973, pour info, les députés centristes de l'Assemblée nationale furent élus dans les circonscriptions suivantes : Paris 7e ( Frédéric Dupont ), Paris 14e ( Claudius Petit ), Paris 16e ( Mesmin, Stehlin ), Antony Montrouge ( Henri Ginoux ), Bourg en Bresse ( Paul Barberot ), Château Thierry ( André Rossi, celui ci était cependant radical valoisien ), Vichy ( Gabriel Péronnet, également radical valoisien ), Gap ( Pierre Bernard Reymond ), Nice II ( Jacques Médecin, un non inscrit assez particulier ), Rodez ( Jean Briane ), Bayeux ( François d'Harcourt, CNI ), Guingamp ( Edouard Ollivro ), Lannion ( Pierre Bourdellès ), Louviers ( Rémy Montagne ), Condom ( Pierre de Montesquiou, père de l'actuel sénateur Aymeri de Montesquiou ), Lesparre Médoc ( Aymar Achille Fould ), Vitré ( Pierre Méhaignerie ), Dole ( Jacques Duhamel, alors souvent Ministre ), Aire sur l'Adour ( Jean Marie Commenay ), Vendôme ( Jean Desanlis ), Saint Etienne Nord ( Michel Durafour, plutôt radical ), Saint Chamond ( André Chazalon ), Firminy ( Roger Partrat ), Le Puy Yssingeaux ( Jacques Barrot ), Villeneuve sur Lot ( Edouard Schloesing, plutôt radical ), Saumur Sud ( Jean Bégault, PSD), Cholet ( Maurice Ligot, CNIP ), Saint Lô ( Jean Marie Daillet ), Epernay ( Bernard Stasi ), Nancy ( Jean Jacques Servan Schreiber ), Ploermel ( Loic Bouvard ),Hennebont ( Paul Ihuel puis Yvon Le Cabellec après le décès du premier ), Metz I ( Jean Kiffer ! ), Thionville Est ( Maurice Schnebelen RI puis Henri Ferretti Centriste ), Forbach ( Anne Marie Fritsch ), Sarreguemines ( Jean Seitlinger ), Saint Amand les Eaux ( Georges Donnez, PSD ), Clermont Crépy en Valois ( Robert Hersant ), Mortagne l'Aigle ( Roland Boudet ), Molsheim ( Jean Marie Caro ), Saverne ( Adrien Zeller ), Colmar ( Julien Hausherr ), Mulhouse ( Emile Muller, PSD ), Villeurbanne ( Etienne Gagnaire ), Caluire Limonest Rillieux ( Frédéric Dugoujon ), Luxeuil ( Jean Jacques Beucler ), Mâcon ( Philippe Malaud, CNIP ), La Flèche ( Raymond Dronne ), Albertville ( Joseph Fontanet ), Rouen Darnétal ( Jean Lecanuet ), Clères Pavilly ( André Martin ), Parthenay ( Jacques Fouchier; CNI ), Thouars Bressuire ( Albert Brochard ), Abbeville ( Max Lejeune, MDSF et ancien Ministre ), Châtellerault ( Pierre Abelin ), Saint Pierre de la Réunion ( Marcel Cerneau ), Nouvelle Calédonie ( Roch Pidjot ) et Polynésie Française ( Francis Sanford ).
Les deux derniers se rapprocheront de la gauche, Roch Pidjot étant élu de l'Union Calédonienne, le parti de Francis Burck et de Jean Marie Tjibaou et Francis Sanford du RDPT, parti proche des thèses indépendantistes.