de vudeloin » Dim 30 Oct 2011 18:20
Permettez moi d'être un peu surpris, chers amis lecteurs et contributeurs, de ne pas encore avoir vu quelqu'un mettre un petit commentaire sur le sommet de Bruxelles qui s'est conclu par un enième plan européen de sauvetage de l'euro.
Les négociations ont pourtant été tendues et pour le moins difficiles et le résultat des courses appelle plusieurs observations.
La première, et non la moindre, c'est tout de même que des centaines de milliards supplémentaires sont déclarés mobilisables pour assurer la solvabilité de la zone euro, puisque le fonds de solidarité financière devrait parvenir à 1 440 milliards d'euros, en lieu et place des 440 initialement engagés.
La France, dans l'hypothèse d'un renforcement des moyens de ce fonds, devrait d'ailleurs mettre la main à la poche, même si, de fait, c'est plutôt notre contribution formelle qui devrait augmenter.
Pour l'heure, si les 440 milliards devaient être mis en jeu, la France devrait lever le quart de la somme concernée qui, ne l'oublions pas, est prêtée avec intérêt aux demandeurs en lieu et place des créances ainsi amorties et consolidées.
Si la hausse du montant du fonds de solidarité se confirme, on comprend aisément pourquoi on sollicite désormais d'autres pays pour financer l'affaire, et notamment les pays émergents ( comprenez la Chine dans un premier temps ), puisque, dans le cas contraire, ce sont des sommes supplémentaires qu'il nous faudrait lever sur les marchés, nonobstant le fait que nous tirions quelque avantage, sous forme d'intérêts versés, de la mobilisation de ces sommes.
Le problème de savoir si nous n'allons pas nous lier les mains avec ces nouveaux bailleurs de fonds un peu particuliers se pose t il vraiment ?
A dire vrai, si la zone euro n'avait pas du constater un petit 1,8 % de croissance cette année, quand la République populaire présente un taux de 10,3 %, nous n'en serions certainement pas là ...
Car là semble bien la question.
Plus les choses se sont compliquées sur les marchés financiers, plus les politiques budgétaires et économiques des pays de l'Euroland se sont enfermées dans des logiques d'austérité et de réduction des dépenses publiques dont nous connaissons désormais les conséquences
Nous en avons en effet l'illustration aux limites de la caricature avec la Grèce, où la politique d'austérité associée aux premiers plans de sauvetages a gravement enfoncé ( comme prévu par les tous les Cassandre de l'altermondialisme et de l'hétérodoxie économique de manière générale ) le pays dans des difficultés insurmontables.
Mais nous en avons aussi l'image en France où la politique budgétaire menée par l'Etat, accompagnée par la maîtrise des dépenses sociales et la réduction des dépenses, notamment d'équipement, des collectivités locales, conduit pour l'heure à une révision à la baisse de la croissance 2011 et des prévisions 2012.
N'oublions pas que le second trimestre de cette année a été marquée par une croissance zéro et que l'INSEE considère que la France est désormais en récession.
Et c'est bien là la seconde remarque essentielle, de mon point de vue.
C'est que le mode de construction de l'euro, et la définition des politiques économiques qui vont avec montre de plus en plus des signes préoccupants d'essoufflement.
Les plans d'austérité, qui sont tombés les uns après les autres en France, en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie n'ont pas réellement redressé les comptes des administrations publiques et ont surtout réduit le dynamisme du potentiel de croissance, déjà passablement limité, des pays de l'Euroland.
Les comptes de la France semblent s'améliorer, mais il faut juste préciser que cette amélioration tient plus de la non reconduction de certaines des mesures d'aide aux entreprises mises en oeuvre en 2009 ou en 2010 que de la véritable relance de l'activité.
Ainsi, comme l'Etat avait fait jouer en 2009 nombre de créances des entreprises, conduisant à la baisse à moins de 21 milliards d'euros du produit de l'impôt sur les sociétés, le redressement des comptes doit aussi au fait que, cette année, ce sont 41 milliards qui sont attendus au titre de cette ressource.
Et, malgré le non remplacement d'un départ en retraite sur deux des agents du service public appelés à faire jouer leur droit à pension, l'Etat continue de connaître un déficit primaire ( solde budgétaire global – service de la dette + dépenses d'équipement ) qui demeure relativement élevé, dépassant nettement les 30 milliards d'euros cette année.
De surcroît, nous sommes également confrontés, comme l'ensemble de la zone euro, à la persistance de la faiblesse des dépenses de recherche développement, malgré la réforme du crédit d'impôt recherche ( ou peut être à cause, justement...), ce qui obère d'autant nos capacités de développement et de croissance ultérieurs.
Autre élément instructif sur le sommet de Bruxelles : le très important abandon de créances consenti par les banques vis à vis de la Grèce.
Le montant de cet abandon de créances (100 milliards d'euros) me semble devoir être mis à l'actif de l'extrême mobilisation populaire des Grecs eux mêmes contre les politiques d'austérité dont ils sont aujourd'hui les victimes expiatoires.
Que les marchés financiers, et les banques et compagnies d'assurance, au premier chef, aient finalement accepté l'idée que la Grèce ne pouvait plus payer est une chose importante.
Qu'on ne s'y trompe pas : les banquiers savent pertinemment que cette situation crée, du point de vue des opinions publiques européennes, un précédent particulièrement dangereux.
Imaginons que les Portugais, les Espagnols, les Irlandais ou les Italiens aient la même vigueur protestataire que les Grecs et que les banquiers soient contraints de procéder au même effacement de créances, et nous verrons dès lors un certain nombre de lignes bouger...
Pour l'heure, le milieu bancaire fait passer un double message : un, le sinistre grec est relativement circonscrit ( la Fédération Bancaire Française a rappelé, dans un communiqué publié dans bien des journaux la semaine dernière, que les engagements de nos banques en Grèce représentaient 0,12 % de leur bilan ) ; deux, la situation est vraiment très spéciale ( un contexte politique local qu'on ne maîtrise pas ? ) et l'on ne pouvait pas faire autrement...
Mais, dès lors, on a envie de se demander : cela voudrait il dire que le dossier grec était finalement secondaire dans la zone euro et que, de deux choses l'une, ou l'on a cherché à affoler les opinions publiques pour justifier de politiques budgétaires récessives et d'austérité, ou le mal est plus profond que cela et c'est l'ensemble de la construction même de l'Union Economique et Monétaire qui tremble sur ses fondations.
C'est mon sentiment et je vais l'évoquer en quelques lignes.
L'Union Economique et Monétaire a intéressé des pays aux caractéristiques fort différentes, que leur communauté d'adhésion à l'Union Européenne n'a cependant pas éloigné de la concurrence entre les Etats et les économies.
Marché ouvert aux importations du monde entier comme destiné à alimenter une part déterminante des exportations du commerce mondial, l'Europe organise d'abord une compétition entre ses pays membres qui fait singulièrement de l'Allemagne, avec ses quatre vingt millions d'habitants et son arrière boutique, c'est à dire les pays d'Europe de l'Est faisant partie de sa zone d'expansion et d'influence, le pivot de la puissance économique, et singulièrement industrielle de l'Europe.
Le PIB de l'Allemagne, ne l'oublions pas, c'est 3 306 milliards de dollars en 2010.
Celui de la Tchéquie, de la Slovaquie, de la Pologne, de la Hongrie, des trois Pays Baltes, de la Roumanie, de la Slovénie et de la Bulgarie réunis, c'est un peu moins de 1 290 milliards de dollars, c'est à dire moins pour ces dix pays d'Europe centrale et orientale que pour l'Espagne seule...
Ce sont les entreprises allemandes qui ont largement investi dans les PECO et qui ont fait des villes industrielles de ces pays leurs pourvoyeurs exclusifs en pièces à assembler en Allemagne et en produits finis à distribuer sur l'ensemble du continent.
La France, pour sa part, se retrouve avec ses travers.
Nous avons constitué des entités financières particulièrement importantes, autour de nos banques et de nos compagnies d'assurance, mais dont l'allocation des ressources ne favorise que partiellement les activités productives, nos points forts étant, figurez vous, l'ingéniérie financière sophistiquée et la gestion de patrimoine.
De plus, comme je l'ai déjà indiqué, nous ne réalisons que de faibles efforts en matière de recherche et développement, et encore faut il souligner que ce qui nous sauve en la matière est l'engagement de la puissance publique, au travers des établissements publics universitaires ou assimilés (CNRS) plus que de par l'engagement des entreprises privées.
Et, dans le domaine industriel, nous avons réussi à mener une politique fiscale qui a incité nos grands groupes et nos entreprises les plus performantes à délocaliser une bonne part de leur production à l'étranger, quitte à la voir aujourd'hui revenir sous la forme d'importations infra communautaires ( cas de Renault avec sa filiale roumaine Dacia qui diffuse chez nous les produits de la marque Logan ).
Toujours est il que nous sommes restés en concurrence avec ceux qui étaient nos partenaires, à commencer par l'Allemagne et qu'une telle situation ne peut que mettre en péril l'édifice entier.
Ajoutez à cela que nous avons, au sein même de l'Union, des acteurs qui jouent un jeu complexe ( l'Angleterre plate forme internationale de la finance off shore, le Luxembourg et son secret bancaire, l'Autiche qui copie la Suisse en la matière ) et vous comprendrez pourquoi la concurrence l'emporte sur la coopération et conduit à ce que nous constatons désormais au niveau de l'euro.
A noter que ce qui a fait faillite aussi, en Grèce comme en Espagne, est une certaine forme de modèle de développement économique qui tendait à transformer ces pays en zones touristiques à vocation européenne, ce modèle s'accompagnant naturellement de la minéralisation forcenée des espaces disponibles...
Et de la croissance d'une bulle immobilière qui ne pouvait qu'éclater dangereusement à un moment donné...
A l'aune des politiques d'austérité qui se profilent et se définissent un peu partout, provoquant de légitimes manifestations de colère de la population, l'Europe me semble assez mal partie pour sortir de la spirale du déclin qui risque fort de voir d'autres pays la supplanter dans son rôle moteur dans l'économie mondiale.
Il y a un décalage de 5 à 6 points de croissance entre la moyenne mondiale, notamment portée par les BRICS, et celle de l'UE.
En 2010, l'UE avait un PIB global de 16 107 milliards de dollars.
Les BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud ) de 11 030 milliards de dollars...
Qu'en sera t il en 2020 ?
Un dernier point, un peu en annexe, si l'on peut dire, celui de la recapitalisation des banques, dont on a présenté le caractère quasi inévitable pour quelque chose comme 108 milliards d'euros.
Première observation : la somme concernée vise l'ensemble des banques européennes et, bien entendu, pas seulement les établissements français.
Un lien apparent a été entretenu entre les abandons de créances sur la dette publique grecque et cette recapitalisation, la seconde venant en quelque sorte compenser les premiers.
Une sorte de recapitalisation garantie pour les banques faisant en fait payer aux Etats, par le biais d'une avance de fonds, fut elle à titre onéreux, le coût de leurs largesses vis à vis de la Grèce.
Quand bien même nous avons déjà indiqué que ces créances auraient probablement du être provisionnées, il faut bien voir que la recapitalisation vise en fait autre chose.
C'est que la régulation ( appelons là ainsi, même si elle n'est pas l'exacte description des choses ) du secteur financier passe, singulièrement, par le renforcement des règles prudentielles des banques et assurances et notamment par l'atteinte des critères de fonds propres définis par la convention de Bâle.
On parle même aujourd'hui des règles Bâle III ( Basel Three en version anglaise ou «globish » ) où le niveau de fonds propres doit être fixé, désormais, à 9 % du total de bilan.
C'est à dire que les banques doivent avoir pour 100 euros engagés dans quelque financement que ce soit, 9 euros de ressources garanties.
Il n'y a pas trente six manières de renforcer les fonds propres d'une banque : veiller à une bonne allocation de la ressource et, singulièrement, faire en sorte que les prêts accordés le soient à des clients, particuliers comme entreprises, suffisamment solvables.
Vous mesurez très vite ce que peut avoir comme conséquence cette sélectivité du crédit, notamment dans un contexte de déprime économique relative...
Mais c'est là un autre sujet, peut être...