En tant que "spécialiste" de la politique colombienne (mon principal intérêt de recherche académique est la Colombie), permettez moi de faire quelques petits ajouts sur certain propos, aucunement critiques.
Herimene a écrit:Il est clair que son électorat naturel était majoritairement opposé à une telle initiative.
Vraiment, Santos n'a pas d'électorat naturel. C'est un pure produit de l'élite de Bogotá, peut-être même son exemple le plus stéréotypé, un homme ambitieux mais avec un très faible écho populaire - voire, par exemple, sa 'pré-candidature' désastreuse en 1998, avec 1-2% dans les sondages à l'époque. En 2010, il récupère la plus grande part de l'électorat uribiste de 2006 - il est clairement élu avec "les voix d'Uribe" plutôt que sur sa propre personne. En 2014, son électorat c'est les machines clientélistes (et corrompues) peu fréquentables mais électoralement nécessaires (sur la côte caraïbe surtout), une base propre (mais limité) dans l'opinion publique et, au second tour, une très grande partie de l'électorat de gauche, du moins les électeurs de gauche moins axées sur les questions économiques.
cevenol30 a écrit:Il y a aussi que le désarmement des FARC et la destruction de leur arsenam a déjà commencé, c'est donc plus compliqué pour recommencer la guérilla. Notons aussi qu'il y a eu 3 mouvements de guérilla en Colombie: le M-19 qui a déposé les armes et a réintégré la vie politique (le maire de Bogota en vient), les FARC et l'ELN guévariste, moins importante, qui est toujours en activité.
L'ex-maire de Bogotá, le mandat (turbulent) de Gustavo Petro ayant terminé en décembre 2015. Il est, par ailleurs, un probable présidentiable en 2018 (il avait été candidat de la gauche en 2010). Les ex-membres réintégrées du M-19 se retrouvent même dans le Centre démocratique d'Uribe.
La constellation des groupes guérillas inclut également l'EPL, d'origine maoïste, largement démobilisé en 1991 mais avec un groupuscule toujours en état de nuire, dans la région stratégique du Catatumbo. Les processus de paix de 1990-1991 concernaient également des groupes encore plus petits: le MAQL, un groupe de résistance indigène du Cauca, et quelques groupuscules dits socialistes/communistes.
ploumploum a écrit:Reste à savoir comment le nouveau texte sera adopté ou non. (voie parlementaire ou nouveau référendum ?)
Toujours incertain, sans doute en attente des déclarations (finales) des leaders du NON. Santos recherche le consensus, mais il est prêt à faire sans le consensus, notamment sans Uribe. Il faut dire que la "crédibilité" du NON s'est un peu réduite depuis le 2 octobre: l'entrevue du directeur de campagne du NON (uribiste) Juan Carlos Vélez Uribe admettant que la stratégie du NON était axée sur provocation de la haine populaire, la déformation du texte de l'accord et des messages ciblés par région ("le castro-chavisme", "Timochenko président", "on sera le Vénézuela", "l'argent des pensionnés pour les FARC" et la fameuse "idéologie du genre" etc.), les propos de Francisco Santos, ex-vice président d'Uribe (et cousin-ennemi du président) et fidèle membre du CD, disant que certains membres de son parti n'étaient pas, tout simplement, vraiment en faveur de la paix. Cela rends plus réaliste un scénario de ratification malgré le refus d'Uribe.
Trois options:
-Un deuxième plébiscite*: option jugée peu probable, mais toujours possible. Le gouvernement et ses partisans ne semblent pas chaud - "la polarisation continuera". Ironiquement, quelques partisans du NON, qui étaient contre l'idée du premier plébiscite au départ, sont du coup en faveur d'un deuxième plébiscite...
-"Ratification-implémentation via le Congrès": ratification assurée et rapide, implémentation lente. Pour comprendre : avant le plébiscite, le Congrès avait adopté l'"Acte législatif pour la paix", permettant une approbation "fast-track" (rapide) des 50+ lois et amendements constitutionnels nécessaires pour la mise en oeuvre de l'accord, mais le déclenchement du "fast-track" nécessite une "ratification populaire". En attendant le verdict de la Cour constitutionnelle sur l'"Acte législatif pour la paix", l'implémentation de l'accord via le processus législatif normal serait lent, très lent, surtout que l’échéancier 2018 approchera dès l'été 2017 et qu'une réforme tributaire importante doit aussi être approuvé d’ici le nouvel an. Sans doute, pour le moment, l'option la plus probable. Le président du Sénat (et du Congrès) Mauricio Lizcano (Partido de la U), allié du pouvoir, est en faveur.
-"Cabildo abierto": un "mécanisme de participation démocratique" au niveau municipal selon les lois 134 de 1994 et 1757 de 2015. Un
cabildo abierto c'est la convocation d'une assemblée citoyenne dans chaque municipalité, sur demande de 5/1,000 des électeurs inscrits. Les partis du gouvernement et en faveur du processus de paix détiennent une majorité sur quasiment l'ensemble du territoire - et les municipalités gérées par l'uribisme sont généralement petites, donc financièrement dépendante sur le bien vouloir du pouvoir central. C'est un processus très peu connu, mais il serait sécuritaire pour le gouvernement (mais peut-être lent et un peu usine à gaz - plus de 1000 municipalités en Colombie), et permettrait le "fast-track". L'ex ministre de la justice Yesid Reyes, un des négociateurs de la renégociation à la Havane, est en faveur.
* Selon la constitution et les lois, il y a une différence légale entre plébiscite et référendum - le premier réfère à l'approbation populaire d'une décision politique du Président, le second réfère à l'approbation/rejet d'une loi, projet de loi, amendement constitutionnelle qui peut également (théoriquement) être d'initiative populaire. L'utilisation du mot référendum n'est pas approprié, pour être perfectionniste.
Ceci dit, avec toutes les objections dont il est tenu compte (et l'avertissement aux électeurs concernant la participation, on devrait le savoir pourtant: quand tu ne participes pas, il peut se passer n'importe quoi), ça devrait "logiquement" passer cette fois...
La Colombie est fondamentalement un pays abstentionniste, et ce depuis le Front national (1958-1974) / la présidence ratée d'Alfonso López Michelsen (1974-1978), exception faite de l'espérance - infondée - pour la paix en 1998, avec la participation aux élections nationales toujours au dessous de 50% depuis 2002; la participation est nettement plus forte aux élections locales - 60% en 2015. Mais cela veut plus ou moins dire que le noyau abstentionniste reste aux environs de 40%, mais avec des très grande variations régionales dans la participation aux différentes élection, notamment en ce qui concerne la côte caraïbe, dut surtout aux dynamiques clientélistes.
Au plébiscite d'octobre, la principale cause de la très forte abstention, notamment sur la côte caraïbe, était la démobilisation des machines clientélistes du gouvernement, comme au premier tour des présidentielles en 2014 (part. 40%) - en fait, le coefficient de détermination (R2) entre la participation départementale au plébiscite et le premier tour en 2014 était de 0.90, contre seulement 0.24 avec les sénatoriales en 2014 (part. 44%), élections ou les réseaux clientélistes des candidat(e)s fonctionnent au maximum. Au cas d'un deuxième plébiscite, le gouvernement, comme au deuxième tour en 2014, assurera la mobilisation (au moins à "vitesse moyenne") des machines politiques de la Costa caribe, mais cela ne garantit pas automatiquement le succès - le plébiscite d'octobre avait vu une sur-performance du NON (sur le vote Zuluaga/Uribe du 2e tour 2014) dans certaines régions - les Santanders, Valle del Cauca et l'Atlántico.