Eco92 a écrit:De fait, il y a une notion de protection du droit, menacé directement dans plusieurs pays occidentaux, donc à refuser de le protéger on peut se demander pourquoi, et plusieurs des opposants à cette inscriptions ont été clair sur leur opposition philosophique à l'avortement : Ravier ou Retailleau sont clairs (et cohérents) à ce sujet, ce n'est pas une manipulation intellectuelle de dire qu'ils sont anti-avortement.
Sur le non-conservatisme du Sénat évoqué par Ploumploum je nuancerai quand même, contrairement à l'AN le Sénat avait rejeté ce projet en 2022 par exemple, mais oui leur conservatisme cette fois a sans doute été surjouée. Un article de Dalloz revient sur l'acceptation de cette réforme par le Sénat, c'est intéressant de voir l'évolution (et les adaptations) dans un temps assez court :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/s ... -sur-l-ivg
Avant d'affirmer que telle ou telle personne est "pour" ou "contre" l'avortement, encore faudrait-il un minimum sourcer l'affirmation selon laquelle Retailleau et Ravier sont opposés au droit pour une femme à interrompre sa grossesse et donc par conséquent à la loi Veil de 1975.
Si vous avez une source fiable, je suis preneur (et je n'ai aucune raison de les défendre, loin de là ). Mais je doute qu'elle existe. En revanche il est plus probable qu'ils ne soient pas extatiques devant l'idée de prolonger à l'infini (au-delà de 14 semaines) le délai de l'interruption volontaire pour raisons non médicales, et d'une manière générale, de relativiser cet acte, ce qui, d'après mon expérience, est l'opinion de nombreux Français, au premier rang desquels les femmes. Ce n'est pas la même chose. J'ai plutôt tendance à comparer l'avortement et la guerre : un mal parfois nécessaire. Comme en diplomatie, il arrive que ce soit la seule option restante même si à la fin, il y aura une victime. C'est la raison pour laquelle les individus et la société doivent tout mettre en oeuvre pour prévenir le pire, et que je suis assez mal à l'aise d'entendre que l'IVG doit devenir une valeur fondamentale de la société.
Mais sur ce sujet comme sur d'autres, je suis frappé de voir à quel point notre débat public se permet de placer des intentions ou même des propositions à des partis/élus (de toutes tendances) quand bien même ces derniers ne se seraient jamais prononcés. Et si l'on s'en tenait plutôt aux programmes, actes, votes et déclarations publiques ?
Sur cette réforme constitutionnelle plus généralement, il y a en effet des manipulations intellectuelles, approximations et un manque de culture juridique de la part des dirigeants politiques, des journalistes et des associations, qui nuit profondément à un débat éclairé.
1 - La rédaction retenue par les chambres est en fait sans grand intérêt, ne devant ni inquiéter ceux (dont moi-même) qui se posent des questions éthiques sur la potentielle extension du délai d'avortement (et donc l'hypothèse d'un verrou constitutionnel), ni provoquer l'extase des défenseurs du droit, même prolongeable, à l'avortement. L'article 34 se verra simplement adjoindre, à la liste des domaines de la loi,
« les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. ». Il ne s'agit ni du préambule ni de l'article 1. C'est une réforme cosmétique visant à satisfaire des segments électoraux dans un contexte ou Macron est accusé de se rapprocher de la droite.
2 - Plus gênant, l'argument que vous avancez, retenu par Macron, la gauche et les associations féministes, selon lequel "le droit à l'avortement a été remis en cause dans d'autres pays" devant conduire à une réforme de la Constitution en France pour le protéger une bonne fois pour toute, est complètement aberrant pour au moins deux raisons :
2.1 - Que la Cour Suprême de la fédération états-unienne ait décidé récemment que la législation sur l'avortement soit du ressort non plus de l'Etat fédéral mais des Etats fédérés (car c'est de cela qu'il s'agit précisément) par la décision "Dobbs v. Jackson Women's Health Organization", suscite un débat chez les américains est bien compréhensible. Que le Parlement polonais ait décidé de réserver le droit à l'avortement aux cas de viol ou de danger pour la mère est une affaire... polonaise ! Aux Etats-Unis, une grand partie de la population dans les états conservateurs est opposée franchement à l'avortement. C'est ainsi. La Pologne, même après des décennies de communisme, connaît une forte influence du catholicisme dans la société. Soit, c'est leur affaire.
Il est certainement intéressant en tant que juriste de se pencher sur le droit public américain, (d'ailleurs comme on peut le voir sur ce lien, une décision de la Cour suprême américaine est d'un autre niveau par sa longueur et ses références que celles du Conseil Constitutionnel français...
https://www.supremecourt.gov/opinions/2 ... 2_6j37.pdf). Mais est-ce trop demander que de laisser les débats américains aux Etats-Unis ?
Car il est totalement invraisemblable que des débats étrangers, venant de sociétés aux fonctionnements et valeurs complètement opposés aux nôtres, s'importent en France. C'est déjà suffisamment détestable de se voir imposer tous les jours, par les deux parties, le conflit israélo-palestinien, pour ne pas en plus avoir à modifier notre texte fondamental au motif de mouvements d'opinions de sociétés situés à des milliers de kilomètres de chez nous. C'est du bon sens. La société française n'est pas celle du puritanisme protestant américain. Ce n'est pas parce qu'on peut, grâce à internet, savoir en un instant ce qu'il se passe à l'autre bout du monde que nous vivons pour autant dans une société mondiale. Il faut savoir garder sa raison et respecter les cultures nationales.
2.2 - Je suis navré de rappeler une réalité politique et sociale française, mais il n'y a, actuellement et depuis longtemps, aucune force politique significative ni même aucun mouvement d'opinion mesuré statistiquement, allant dans le sens d'une suppression du droit à l'avortement. Je sais que certains ont besoin de ce carburant fantasmé pour justifier leurs idées et activités, mais il n'en reste pas moins que c'est la réalité. Oui il y a quelques associations ou groupuscules, soit opposés, soit invitant les femmes à faire le choix de garder l'enfant (et en quoi est-ce scandaleux ??). Mais d'une part cela reste marginal, et d'autre part, quand bien même, la liberté d'opinion et d'expression existe encore dans ce pays. Même si ce n'est pas mon avis je suis capable de tolérer qu'on soit franchement opposé à l'avortement. Au jeu démocratique de faire le reste (et il le fait très bien quand les censeurs ne s'en mêlent pas).
3. - Enfin, pour ce qui nous concerne, nous Français, j'ai l'impression que plus personne ne sait ce qu'est une Constitution. Elle sert précisément à déterminer les pouvoirs publics. S'agissant des valeurs, les seules y figurant sont celles du préambule et de l'article 1, il s'agit de grands principes généraux sur les droits de l'homme, la laïcité, l'égalité devant la loi, et la souveraineté nationale. En tout cas c'était ainsi en 1958. Et puis il existe le "bloc de constitutionnalité" regroupant des normes implicites comme le préambule et les textes en référence comme la DDHC, mais aussi les PFRLR, les PVC ou OVC. A la rigueur, le droit à l'avortement aurait plutôt sa place dans ses derniers.
L'ajout du droit à l'IVG dans l'article 34 empêchera en fait le pouvoir réglementaire d'intervenir dans ce domaine. La belle affaire !
On a donc bien compris que ce qui compte c'est la portée symbolique : celle de voir marqué noir sur blanc les mots "interruption volontaire de grossesse" dans la Constitution, car sinon, pourquoi ne pas ajouter une série d'autres "droits" à cet article 34, notamment les principes du bloc de constitutionnalité ?
Je note que dans la France post-moderne et post-démocratique dans laquelle nous vivons, la tendance des gouvernements et des élites de plus en plus autoritaires consiste à masquer les remises en cause continues des libertés publiques dont ils sont à l'origine en faisant de la mousse sur les "droits individuels". Car personne ne peut dire que les libertés publiques, qui ont autrefois fait la fierté de notre pays, progressent. Le terrorisme, "l'urgence sanitaire", la construction européenne, la dette publique, l'environnement ou la politique étrangère (et bientôt la guerre ?) sont autant d'arguments bien commodes pour rogner une à une, subrepticement ou spectaculairement, nos libertés fondamentales chèrement acquises : expression, information et opinion, droit de se déplacer et de respirer, droit d'user de son argent et de son patrimoine, droit de propriété, droit de manifester... La France, bien aidée par un système politique de plus en plus concentré et autoritaire, est un pays d'avant-garde en matière d'atteinte aux libertés. Mais à quoi bon les exercer, puisqu'on a le mariage homosexuel et le droit à l'IVG ?
C'est la raison pour laquelle cette réforme est hypocrite. D'ailleurs tant qu'à réformer la Constitution et à importer tous les débats du monde, pourquoi ne pas s'inspirer de la Constitution de la Suède qui mentionne en son article 8
"Chaque citoyen, dans ses relations avec les autorités publiques, est protégé contre toute privation de liberté. Il jouit par ailleurs de la liberté de se déplacer dans le royaume et de le quitter." . Mais quelque chose me dit que cette garantie intéressante, en revanche, ne fera pas l'objet d'un projet de loi constitutionnelle ni d'une promotion médiatique...