La vie politique au Royaume-Uni

[Républicain67]

Combien de pays au monde peuvent changer leur hymne national selon la personnalité de leur chef d'État ?

Plus sérieusement, avec le décès Elizabeth II, c'est semble-t-il la dernière personnalité publique à avoir activement participé à la guerre contre l'Allemagne nazie qui s'éteint (certes à un niveau modeste puisqu'elle n'a eu 18 ans qu'en 1945).

Il me semble que le Royaume-Uni soit le seul. Pour info, il a partagé jusqu'en 1918 la même mélodie avec l'hymne national allemand de l'Empire wilhelmien "Heil Dir im Siegeskranz". Les deux hymnes ont en commun d'être des odes au monarques. Je ne sais pas qui a plagié l'autre.

[Corondar]

Sacré baptême du feu pour la toute nouvelle première ministre Liz Truss : ça n'était jamais arrivé auparavant que le Royaume-Uni change de premier ministre et de monarque la même semaine, ni le même mois d'ailleurs. Il faut remonter à 1830 pour trouver un monarque et un premier ministre qui changent de dépositaire la même année (le Duc de Wellington et George IV en l'occurrence).
L'extrême longévité du règne qui s'achève (70 ans, ce n'est pas rien, je luis sais gré de ne pas avoir battu le record de 72 ans détenu par Louis XIV) fait que très peu de Britanniques peuvent se targuer d'avoir connu un autre souverain qu'elle. Elle était incontestablement une figure de stabilité (institutionnelle mais aussi patriotique et émotionnelle) pour la nation britannique.
Lui succéder en tant que symbole ne sera pas une mince affaire pour Charles III. Ce dernier, en tant qu'héritier de la Couronne, s'était distingué par le passé par un franc-parler peu protocolaire sur certains sujets (il n'a ainsi jamais caché ses sympathies écologiques). Il sera intéressant de voir si en tant que monarque il s'astreint à une certaine neutralité ou si il continue publiquement à s'exprimer. D'autant que la volonté affichée de Truss de relancer la fracturation hydraulique et les forages gaziers et pétroliers pourrait entrer en collision avec les convictions personnelles du souverain.
Autre élément qu'il va falloir surveiller : la réaction des pays du Commonwealth, voire même des nations composant le Royaume (l'Ecosse notamment). En effet, Elizabeth II faisait office de figure constituante cimentant l'union. Certains pays du Commonwealth pourraient désormais être tentés d'assumer plus fermement des velléités d'indépendance ? L'Ecosse aussi peut-être ?
On notera que les cheminots et les postiers suspendent leurs grèves actuelles pour permettre aux Britanniques de pouvoir aller rendre hommage à Londres à la dépouille de la souveraine. Clairement, une page se tourne pour le Royaume-Uni, à une époque où il est déjà dans la tourmente et doit faire face à des difficultés importantes. God save the King ?

[Tirnam]

Les premiers jours effectifs (en mettant de côté les 11 jours de deuil suite au décès d'Elisabeth II) d'exercice du pouvoir de Liz Truss se révèlent catastrophiques.

Vendredi dernier le ministre des finances a révélé devant la chambre un "mini-budget", présenté comme un plan de croissance l'annonce de 45 milliards de baisse d'impôts financés par de l'emprunt. Ce plan reprend les promesses lors de l'élection interne de Liz Truss de baisser les impôts, mais il va encore plus loin qu'attendu, avec notamment la suppression de la dernière tranche d'imposition sur le revenu.

Le fait que ce plan est financé via de l'endettement (qui s'ajoute déjà à l'endettement Covid et à celui pour financer le gel des tarifs de l'énergie), sans avoir été contrôlé, comme il est de coutume au Royaume-Uni, par un organisme indépendant, l'Office for Budget Responsability a entraîné une réaction extrêmement négative des marchés financiers, la livre a chuté brutalement, jusqu'à tomber à son plus bas niveau historique contre le dollar, les taux d'intérêt sur les obligations de l'Etat britannique ont flambé, et l banque d'Angleterre a été obligée d'intervenir directement sur les marchés en achetant de la dette de l'Etat pour faire baisser les taux d'intérêt qui menaçaient les fonds de pension britannique. La banque d'Angleterre devra également prochainement augmenter de façon significative ses taux directeurs (actuellement l'estimation est que ces taux atteindront 6%).

Le gouvernement est critiqué de toute part, par l'opposition évidement (le parti travailliste profitant en plus que l'évènement a lieu durant sa conférence de rentrée), par les économistes et par le FMI (de manière assez humiliante pour un pays du G7). Mais pour l'instant Liz Truss et son ministre des finances refusent de reconnaitre que la crise vient de leur programme fiscal et persistent dans leur politique.

Face à cet événement, que certains comparent au Mercredi Noir de 1992, quand le gouvernement conservateur a du faire face à une crise de la livre sterling et avait décidé de sortir la monnaie britannique du système monétaire européen, et qui avait enlevé aux yeux des électeurs britanniques toute crédibilité pour gérer l'économie, l'effet dans l'opinion est dévastateur.
Le parti travailliste recueille désormais une avance considérable dans les sondages, du jamais vu depuis les années 1990.
Le dernier sondage YouGov accrédite les travaillistes de 54% d'intention de vote, contre 21% pour les conservateurs soit 33 points d'avance.

Les conservateurs qui avaient poussés Johnson à la démission en pensant que celui-ci leur assurait une défaite en 2024 doivent être assez désemparés, d'autant qu'il est difficile d'imaginer un nouveau changement de PM.

[Corondar]

La manœuvre de Truss sur ce budget (qui baisse massivement les impôts pour les plus riches en le finançant par la dette) est tout bonnement hallucinante. Soit c'est de l'amateurisme assez énorme, soit c'est de l'incompétence caractérisée.
Et le pire c'est que les conséquences d'un tel projet étaient très prévisibles, à tel point que Sunak (ancien chancelier de l'échiquier et adversaire malheureux face à Truss pour devenir premier ministre) annonçait de manière très prophétique le scénario qui s'est déroulé ici dès la fin août.
https://www.spectator.co.uk/article/ris ... -the-pound
Truss qui n'avait sans doute pas un capital politique énorme vient de le dilapider toute seule en à peine quelques semaines. Chapeau l'artiste...
Le bilan c'est que l'économie du Royaume-Uni qui était déjà celle du G7 la plus fragile devrait s'enfoncer dans la récession assez rapidement ?

[Tirnam]

Eh bien pour Truss la débâcle est totale.
Face à la réaction des marchés financiers, de l'opinion publique et de ses propres parlementaires elle avait déjà du reculer il y a deux semaines sur l'abolition de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu.
La banque d'Angleterre avait prévenu, son intervention pour calmer les marchés prendrait fin aujourd'hui, avec le risque de voir à nouveau les taux d'intérêt flamber et la livre chuter. La situation était intenable, quasiment mise en minorité au sein de son propre parti, Truss a du à nouveau faire un fameux "U-turn", sa proposition phare, l'annulation de la hausse du taux d'imposition sur les sociétés (prévue sous Johnson), est enterrée. Dans le même temps elle a mis fin aux fonction de son Chancelier de l'Echiquier qui doit assumer le rôle de bouc-émissaire (non pas qu'il ne soit pas responsable, mais Truss partageait ses positions), qui devient l'un des chanceliers de l'échiquier au mandat le plus court (le Royaume-Uni aura connu, d'ailleurs, 4 ministres des finances en 4 mois).

Conséquence de toute cette histoire il se confirme que le Labour atteint les sommets historiques qui ont conduit Blair au pouvoir en 1997, un dernier sondage donnait 19% aux conservateurs, l'un des plus mauvais score enregistré par ce parti dans un sondage.
La popularité de Liz Truss est à peine 15%, des scores dignes d'Hollande dans ses plus mauvais jours.

Voilà donc Liz Truss, à peine un peu plus d'un mois après son arrivée au pouvoir, sans ligne politique, sans alliés, sans avenir. Elle est désormais à la merci de ses députés lesquels, quand ils ne complotent déjà pas pour la faire tomber, lui dictent ses décisions à coup de déclarations publiques.

[PhB]

Dans une tribune du Monde (pour les abonnés mais on peut lire le début), Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po, constate que le Brexit a paradoxalement réduit la marge de manœuvre politique et économique Royaume-Uni qui se retrouve isolé et pointé du doigt par le FMI.

[stephed]

Conséquence de toute cette histoire il se confirme que le Labour atteint les sommets historiques qui ont conduit Blair au pouvoir en 1997, un dernier sondage donnait 19% aux conservateurs, l'un des plus mauvais score enregistré par ce parti dans un sondage.
.

Les sondages par circonscription sont en effet catastrophiques pour les conservateurs. Si les élections avaient lieu cette semaine, les travaillistes remporteraient 453 sièges (soit prés de 2 fois plus qu'ils ont de sortants).

https://electionmaps.uk/nowcast

[Corondar]

Dans une tribune du Monde (pour les abonnés mais on peut lire le début), Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po, constate que le Brexit a paradoxalement réduit la marge de manœuvre politique et économique Royaume-Uni qui se retrouve isolé et pointé du doigt par le FMI.

Il sera difficile de statuer sur les conséquences exactes du Brexit dans la situation actuelle de nos voisins d Outre Manche, mais ce qui est certain c'est que malgré leur sortie de l UE, le Royaume-Uni ne résiste pas mieux à la crise que les membres de l Union, au contraire même : le pays semble frappé par une plus grande inflation et une plus forte crise économique que le continent.
Quant à Truss, il faut quand même applaudir la performance : réussir à se saborder à ce point là en si peu de temps, c'est presque du génie politique à ce niveau là.

[Draume]

Les conservateurs risquant une lourde défaite en cas d'élections anticipées, le plus probable est que l'on aura des élections générales que fin 2024. D'ici là, le bateau tanguera

[Corondar]

Les conservateurs risquant une lourde défaite en cas d'élections anticipées, le plus probable est que l'on aura des élections générales que fin 2024. D'ici là, le bateau tanguera

En effet, paradoxalement, plus Truss est dans l abîme de l impopularité et moins elle et son groupe seront tentés d aller à des élections anticipées.
Plus largement, je pense aussi que le système anglais tel qu'il fonctionne montre aussi des signes de crise institutionnelle : le fait que le choix de changer de premier ministre se fasse via le vote des députés du parti majoritaire et des militants de ce parti est assez problématique dans le sens où il peut créer un gros souci de légitimité pour le nouvel occupant du poste.