de vudeloin » Lun 15 Aoû 2011 14:45
Pour ouvrir une des parties du débat sur les finances publiques qui ne va pas manquer de peser sur le débat politique général, je vous gratifie de suite de quelques articles un peu anciens sur le sujet...
Une part essentielle du débat budgétaire de l’année 2007 va être marquée par la question des ‘ marges de manœuvre ‘ dont dispose le Gouvernement au regard des critères du pacte de stabilité, notamment en termes d’endettement public et de déficit budgétaire.
Pour mémoire, nous rappellerons que le taux d’endettement considéré comme ‘ soutenable ‘ au regard des critères européens se situe à 60 % du produit intérieur brut marchand et que les déficits publics ne peuvent excéder 3 % de ce même PIB.
Pour autant, la situation actuelle ( dépassement des limites dans les deux cas de figure ) appelle naturellement à porter un regard rétrospectif sur les processus qui ont pu conduire à l’accroissement des difficultés budgétaires de l’Etat.
Des choix fiscaux anciens faisant ressentir leurs effets sur le long terme
Depuis plusieurs décennies, et en tout cas depuis 1985, la politique fiscale de l’Etat a été fondée, en grande partie, sur un allégement sensible de la sollicitation des entreprises au financement de l’action publique.
Parmi les mesures prises depuis cette date, notons la baisse régulière et progressive du taux de l’impôt sur les sociétés, la remise en cause de l’assiette de la taxe professionnelle, la simplification de la taxe sur la valeur ajoutée avec la suppression du taux majoré ainsi que l’insertion dans notre législation fiscale de nombreuses dispositions dérogatoires au droit commun sur l’ensemble de ces taxes et impôts.
Pour ne retenir qu’une seule mesure, celle de la réduction de l’impôt sur les sociétés, son impact, sur la durée, en termes budgétaires pour le moins, est tout à fait significatif.
Si l’on postule la perte de recettes fiscales ‘ acceptée ‘ par l’Etat au titre de cet impôt depuis seulement 1995, les sommes en jeu sont importantes.
Ce sont en effet 511,5 milliards de francs courants de recettes fiscales qui ont été perdus entre 1995 et 2001, somme auxquels viennent s’ajouter 50,87 milliards d’euros courants pour la période 2002 – 2004.
Ramenés aux euros constants, c'est-à -dire à la valeur 2005, ce sont ainsi 138,96 milliards d’euros qui ont été perdus au titre des recettes de l’impôt sur les sociétés.
Cette somme représente, doit on le souligner, 12 à 13 % de l’encours de la dette publique actuelle et trois années de déficit budgétaire…
Cette estimation ne prend pas en compte, convient il de le souligner, l’impact des mesures de complexification de l’impôt sur les sociétés ( dépenses fiscales diverses liées à la nature des entreprises, à la politique d’aménagement du territoire, aux secteurs d’activités concernés ) dont l’évaluation pourrait constituer un important complément de mesure de la situation réelle des comptes publics.
Notons à ce propos qu’au titre de l’exercice budgétaire en cours, tous impôts confondus, la dépense fiscale consentie en faveur des entreprises s’élèverait en 2006 à 15,5 milliards d’euros pour ce qui concerne les seules dépenses chiffrées.
Elle ne prend également pas en compte l’impact des mesures prises en matière de taxe professionnelle dont l’évaluation, même corrigée de l’effet sur le produit de l’impôt sur les sociétés, conduirait également à un sensible accroissement des transferts financiers réels entre Etat et entreprises.
Pour ne prendre, ceci dit, qu’un exemple, les 9 milliards d’euros dépensés par l’Etat ( même réduits d’un tiers ) pour compenser la suppression de la base taxable des salaires et le plafonnement de la TP à la valeur ajoutée pourraient être aisément multipliés par dix ou quinze pour avoir une idée de l’effet de ces mesures, sur la durée, sur le niveau de l’endettement public.
Des dépenses publiques ‘ rigides ‘ quelque peu envahissantes
Parmi les dépenses publiques réalisées par l’Etat, il est de coutume de se plaindre de la part des dépenses de fonctionnement des administrations publiques, représentatives des traitements des agents et des frais de fonctionnement des services publics.
Or, manifestement, ce ne sont pas nécessairement ces dépenses là qui ont connu ces dernières années, le dynamisme le plus significatif.
Ainsi en est il de la dépense publique pour l’emploi.
En 1992, le budget de l’Etat comportait exactement 6 milliards de francs de dépenses au titre de la dépense publique pour l’emploi.
Nous sommes parvenus, aujourd’hui, à un montant supérieur à 22 milliards d’euros, financé par transfert de ressources fiscales à l’ACOSS, c'est-à -dire un montant plus de vingt fois supérieur à ce qu’il était en 1992.
Sous les effets conjugués des mesures Balladur, de la ristourne Juppé, du dispositif de Robien, des lois Aubry et enfin, des mesures Fillon, des sommes de plus en plus conséquentes ont été consacrées par l’Etat au financement d’une politique de l’emploi, pour l’essentiel appuyée sur des exonérations de cotisations sociales des entreprises.
De 1992 à 2004, la somme totale dépensée à ce titre par l’Etat s’élève, en euros constants, à 141,96 milliards d’euros, c'est-à -dire un montant proche de celui observé plus haut en matière de perte de produit d’impôt sur les sociétés.
Il représente donc, tout à fait naturellement, la même proportion de l’encours de la dette publique, et, là encore, trois années de déficit budgétaire.
On notera d’ailleurs, pour aller plus loin, que le budget de l’Etat est également largement ponctionné par le financement des conséquences sociales des politiques d’emploi menées dans les entreprises.
La progression continue du coût du RMI, celle des aides personnelles au logement, celle de l’allocation adulte handicapé, le dynamisme de la prime pour l’emploi sont autant de charges que le budget général assume ( ou fait assumer via un transfert de fiscalité pour le RMI ) au regard de la persistance des difficultés sociales de la population.
Pour une évaluation sociale des politiques fiscales et budgétaires
De fait, sur la base de ces éléments, on peut se demander s’il n’y a pas lieu d’interroger l’efficacité et la pertinence des mesures prises de longue date pour, de manière assez générale, favoriser la croissance par la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises, développer leur compétitivité, ou réduire le ‘ coût du travail ‘, quitte à laisser à charge de la collectivité publique des dommages collatéraux sociaux découlant de ces politiques dans la pratique et la vie quotidienne.
L’évaluation doit donc être poursuivie.
Elle peut porter sur la réalité de l’impact de la baisse de l’impôt sur les sociétés, et notamment l’incidence qu’elle a pu avoir entre 1985 et 1995 ou encore sur le coût global de la politique d’allégement de la taxe professionnelle, largement mise en œuvre à compter de 1986.
Elle peut également porter sur l’impact des dépenses de solidarité ou sur la quotité de la dépense fiscale consentie en faveur des entreprises.
Mais elle doit surtout être appréciée au regard de la réalité de la croissance économique qui a pu découler ( ou ne pas découler ) de ces choix budgétaires et fiscaux, notre pays ayant d’ailleurs connu depuis 1985 plusieurs phases de ralentissement sensible de la croissance, voire de récession avérée.
Enfin, s’agissant de la dette, il convient de souligner qu’elle ne peut être considérée isolément, une part de cette dette publique étant détenue par des résidents Français tandis qu’elle constitue un des leviers importants de l’épargne financière des ménages, comme des entreprises.
Mais la question est posée : si l’on veut la réduire, ne doit on pas interroger et remettre en question quelques uns des choix opérés depuis vingt ans ?