Plus d'une semaine après le déclenchement de l'offensive russe (qui n'a toujours pas entraîné de la part de Moscou une déclaration officielle de guerre, rappelons le quand même, Poutine et les médias russes continuant à parler "d'opérations"), on peut peut-être déjà tenter un premier bilan :
1) au niveau des conséquences les plus terribles et immédiates, à savoir les morts, il est difficile de se faire une idée précise. Les chiffres donnés par chacun des belligérants doivent évidemment être pris avec des pincettes, mais on peut sans doute affirmer sans trop s'avancer qu'il y a plus de pertes côté ukrainien que côté russe, puisque 100% des conflits sont en Ukraine, et que les pertes russes ne sont que militaires, là où les Ukrainiens cumulent pertes militaires et civiles.
Sur ce dernier élément, il est là aussi assez évident au vu des images des bombardements (assez intenses et réguliers sur plusieurs grandes villes) et des édifices (y compris d'habitations) détruits, que la "promesse" du président russe de protéger au maximum les civils était une vaste fumisterie (personnellement je trouve que ça se rapprochait déjà du doigt d'honneur magistral à peine cette promesse formulée par l'intéressé, mais bon...). Pour un bilan chiffré et précis, autant dire que c'est pour l'heure quasiment impossible. On se contentera de noter que la Russie a attendu un moment avant de reconnaître officiellement des pertes de son côté.
Il est d'ailleurs tout à fait possible qu'on ait jamais les chiffres réels. Côté russe, Moscou parle de 500 soldats tués, Kiev de 9 000. La réalité doit sans doute se situer entre ces deux extrêmes ?
Côté ukrainien, c'est nettement plus compliqué de faire un bilan global des pertes recensées dans tout le pays via les bombardements et les avancées des troupes russes (qui semblent aussi rencontrer des résistances civiles auxquelles elles répondent par la force). Au niveau des décès civils confirmés officiellement on est sur plusieurs centaines, mais il est tout à fait possible que ce chiffre soit très nettement sous-évalué, et qu'on soit sans doute plutôt proche des quelques milliers ? Quant aux pertes militaires, l'Ukraine communique encore moins que la Russie sur le sujet, le problème étant d'ailleurs que le pays étant la zone de conflit, il est difficile de classer certains tués civils qui l'auront été dans des combats contre l'armée russe. Mais là aussi, étant donné la supériorité militaire russe par rapport à l'outil militaire ukrainien, je ne pense pas trop m'avancer en supposant qu'il y a plus de pertes militaires côté ukrainien que côté russe ?
Mais sur cet élément là , il est assez évident (et attendu vu le contexte) que la Russie a déjà perdu la guerre de l'information et des chiffres : en dehors de la propagande du Kremlin, on peut difficilement objecter que l'invasion et les bombardements sont 100% russes, et que les pertes ne sont imputables qu'au choix du seul chef d'un des belligérants.
https://www.bfmtv.com/international/asi ... 30422.htmlChef qui en est désormais à attaquer des centrales nucléaires (au mépris de la convention de Genève, mais là aussi, j'imagine qu'il n'est plus à ça près, et que ça ne doit pas l'empêcher de dormir la nuit ?). J'imagine que le risque potentiel d'un nouveau Tchernobyl (très faible selon les experts nucléaires, espérons qu'ils aient raison sur ce point) pèse peu face à l'enjeu de priver l'Ukraine d'électricité ?
https://francais.radio.cz/attaque-de-la ... ns-87438272) concernant l'avancée de l'offensive et la réalité du rapport de force, c'est peut-être encore plus dure de se faire une idée que sur le bilan humain. Il est désormais acquis que l'offensive est très large dans son acception géographique, avec un front très étendu, des bombardements, des troupes au sol, des blindés, et les problèmes d'acheminement de l'intendance qui vont avec.
Si il est impossible de se faire une idée précise du rapport de force, là aussi, en dehors de la propagande du Kremlin, si jamais le président russe avait caressé l'espoir de voir la pays tomber sous sa coupe après quelques jours de combats, il semblerait que cet espoir ait pu être légèrement exagéré ? L'armée ukrainienne résiste (jusqu'à quand ?) et les civils aussi, forçant l'armée russe à assiéger des villes entières (on parle de villes très étendues géographiquement, souvent bien plus que sur nos modèles d'Europe occidentale, Kiev étant ainsi 8 fois plus vaste que Paris en superficie). Et c'est là où le "plan" du président russe me parait voué à l'échec : même si les forces militaires ukrainiennes devaient tomber, comment la Russie pourrait-elle contrôler un état aussi vaste (l'Ukraine est plus grande que la France, elle est le pays le plus grand d'Europe) et peuplé (44 millions d'habitants) ? Tous les éléments pour faire de l'Ukraine un bourbier pour l'armée russe en cas d'occupation (courte ou prolongée ?) étaient déjà réunis avant même l'attaque (c'est cet élément qui me faisait croire, à tort, que Moscou ne se lancerait pas dans une telle offensive, il faut croire que j'ai surestimé le pouvoir de raisonnement du chef du Kremlin sur ce coup là ?).
Là aussi, il est difficile de ne pas constater que la Russie a déjà perdu la guerre de l'image et de l'opinion : les rôles de l'agresseur-Goliath et de l'agressé-David semblent devoir ne plus bouger. Il faut dire aussi que Zelensky n'a pas aidé sur ce point précis en décidant de rester dans sa capitale assiégée pour devenir le porte-drapeau de la lutte de son pays face à l'invasion étrangère (je pense que le chef du Kremlin avait sans doute là aussi espéré que le président ukrainien prendrait la poudre d'escampette vers des zones moins dangereuses dès l'avancée des troupes russes sur Kiev confirmée, il a dû être fort désappointé, ou pas d'ailleurs, qui sait, peut-être que là aussi je me trompe sur le pouvoir de raisonnement du président russe, et qu'il rêve en réalité de faire exécuter Zelensky devant les caméras si jamais il tombait entre les mains de l'armée russe ?).
https://www.francetvinfo.fr/monde/europ ... 92656.html3) l'élément où on est plus certain de la réalité des chiffres et du phénomène, c'est sur les flux de réfugiés qui quittent les zones de conflits.
Plus d'un million d'Ukrainiens ont fuit leur pays en 7 jours, pour la plupart vers les pays limitrophes (Pologne et Roumanie essentiellement, mais ces flux de populations vont sans doute s'étendre partout en Europe).
https://www.lexpress.fr/actualites/1/mo ... 69104.htmlPour le moment l'Europe joue la carte de l'aides aux réfugiés (précisons que les Ukrainiens jouissent déjà de certaines facilités de circulation dans le cadre des accords de Schengen).
4) au niveau des sanctions contre la Russie, c'est tout azimut et, après un démarrage jugé un peu "tendre", on est désormais bien obligé de constater que ça tape fort, au niveau économique, sportif, médiatique, financier, avec des conséquences incalculables, pas que pour la Russie mais aussi pour l'économie mondiale. Je ne suis pas sur que cela fera plier Poutine, mais au moins ça a le mérite d'entraîner tout de même des conséquences négatives pour lui et son pays. Cela peut surtout dégrader sa situation en interne d'ailleurs (à court, moyen ou long terme).
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/que ... e-20220228En interne d'ailleurs, Moscou sort l'artillerie lourde aussi contre toute personne qui a le courage d'objecter à la guerre. Là aussi d'ailleurs, je m'étonne un peu tout de même de l'incohérence de la propagande du Kremlin qui répète depuis des mois que Russes et Ukrainiens sont frères, et que jamais ô grand jamais Poutine ne voulait envahir l'Ukraine, que ce n'était là que propagande fasciste occidentale.
https://www.francetvinfo.fr/monde/europ ... 91778.htmlBref, le président russe a réellement ramené le spectre de la guerre sur le continent européen à une échelle et une ampleur auxquelles notre vieux continent n'était plus habitué depuis longtemps.
Des pourparlers sont en cours entre Russes et Ukrainiens depuis plusieurs jours, sans grand succès pour le moment (au moins ils se parlent c'est déjà ça, même si on notera que les Russes n'envoient que des seconds couteaux dans ces "négociations", au contraire des Ukrainiens). Je ne conjecture plus trop sur les buts de guerre réels du président russe. Si son but ultime est que Kiev reconnaisse l'annexion de la Crimée et du Donbass, ça fait cher pour une reconnaissance officielle d'une situation qui était déjà de fait. Si c'est l'annexion pure et simple de l'Ukraine ou sa vassalisation par Moscou, je ne suis pas sur qu'il l'obtienne ? Si c'est la transformation de force de l'Ukraine en une zone "neutre", là aussi ça me parait désormais encore plus improbable maintenant. L'invasion russe ne fait que renforcer le nationalisme ukrainien et sa volonté farouche de s'extraire de la menace russe.
Le maître du Kremlin est en train de confirmer en temps réel que la seule chose qui l'empêche d'attaquer un pays c'est son appartenance à l'OTAN, et il menace désormais carrément la Finlande et la Suède si ces deux pays devaient avoir l'idée d'envisager de rejoindre l'OTAN (là aussi de manière très contre-productive pour Moscou, puisqu'une pétition sur le sujet de l'adhésion à l'OTAN a réuni plusieurs dizaines de milliers de signatures d'électeurs Finlandais, enclenchant à court terme un débat officiel sur la question au sein du parlement finlandais).
https://www.lesoleil.com/2022/03/03/le- ... 06503bb33bEt là j'aimerais revenir sur les débats selon lesquels la Russie aurait le droit ou la légitimité de se sentir menacée par l'OTAN, ce qui justifierait donc éventuellement son attaque contre l'Ukraine aujourd'hui.
On parle beaucoup de la promesse formulée à l'époque de Clinton de ne pas élargir l'OTAN aux pays d'Europe de l'Est. Déjà je rappelle que Clinton c'était engager à "temporiser" tout nouvel élargissement, pas à les interdire. Et cette "promesse" de temporisation n'a fait l'objet d'aucun acte ou traité officiel. Mais à mon sens, le problème n'ait pas que cette promesse n'ait pas été tenue, mais qu'elle ait été faite. De quel droit Bill Clinton pouvait ainsi s'engager sur le choix futur de pays souverains et indépendants ? Car oui, lors de la chute de l'URSS et du bloc de l'Est en 1989-1991, tous ces pays sont redevenus ce qu'ils n'étaient plus depuis plusieurs décennies : des pays souverains et indépendants.
Alors on peut m'objecter que ces pays auraient demandé leur intégration dans l'OTAN contraints et forcés, sous pression des Américains, mais là aussi, les faits sont têtus et ce n'est pas ce qu'il ressort des livres d'histoire. Avant d'entrer dans l'OTAN, tous les pays de l'Est ont fait un lobbying intensif et très rapide en ce sens. L'exemple le plus connu est celui du groupe de Vilnius. Mais la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque avaient déjà rejoint l'OTAN en 1999, mettant les bouchées doubles pour rejoindre (de leur plein gré) cette alliance.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_de_VilniusJe rappelle aussi qu'à ce jour, des pays comme la Suède, la Finlande, l'Irlande et l'Autriche ne font pas parties de l'OTAN, signe que cette adhésion n'ait en rien une contrainte ou une obligation pour tous les pays européens. C'est bien un choix formulé par des pays souverains. Et je ne vois pas de quel droit la Russie serait fondée à exiger de ses pays frontaliers qu'ils abandonnent leur souveraineté au profit de la seule souveraineté de Moscou en exigeant d'eux que la Russie leur dicte leurs politiques étrangères. On entend ici ou là que l'Ukraine, voire les Pays Baltes devraient se transformer en de nouvelles Suisse, des pays indépendants et neutres.
Déjà , je ne suis pas certain que ce soit ce que Moscou veut, en tout cas, quand on voit comment Moscou a satellisé les gouvernements biélorusses, kazaks et soutenu des régimes séparatistes (Abkhazie, Transnistrie...), j'ai un peu de mal à avaler le concept que le chef du Kremlin se satisferait réellement d'une "neutralité" de ces pays. Il vise plutôt clairement un retour de ces pays dans son giron, sous une forme ou une autre.
Mais surtout, le statut qu'a la Suisse aujourd'hui, elle l'a car elle l'a voulu et instauré en tant que nation souveraine et indépendante. On fait quoi si aucun des pays d'Europe de l'Est mentionnés précédemment n'a envie d'opter pour un statut équivalent ? En quoi la souveraineté de ces pays là devrait s'effacer devant la souveraineté russe ? Au nom de la loi du plus fort ? Au nom de je ne sais quelle domination militaire ancestrale ?
Je ne sais pas trop jusqu'à quel point on pourrait blâmer les USA dans le conflit actuel. Ce que je sais en revanche, c'est que depuis 1989-1991, la Russie n'a absolument rien fait pour apaiser les craintes de ses anciens satellites qui craignaient comme la peste d'être contraints à retourner par la force et contre leur volonté dans cette "satellisation".
Au lieu d'envahir l'Ukraine pour l'empêcher de rejoindre l'OTAN, la Russie devrait peut-être s'interroger sur pourquoi autant de pays qu'elle dominait jadis veulent rejoindre l'OTAN ?
Après, je ne suis pas naïf, bien sur que les pays d'Europe orientale sont aussi soumis à l'impérialisme US, mais il s'avère que les pays d'Europe de l'Est font le calcul qu'il vaut mieux l'impérialisme relativement doux (en tout cas pour ces pays là , les USA fait plus dans le "soft power" que dans l'invasion à l'irakienne) que celui terriblement concret (ancien, et documenté par des décennies, voire des siècles de relations sanglantes et meurtrières) d'un voisin immédiat.
En tout cas, étant le citoyen d'un pays ayant la chance de ne pas avoir à subir le voisinage immédiat du pays en question, je ne me permettrais pas de juger des desiderata des pays d'Europe de l'Est en la matière, et il ne me viendrait pas à l'idée de leur interdire de rejoindre les alliances ou les institutions internationales de leur choix au seul motif de devoir préserver l'ego et la puissance d'un autre pays qu'eux. Et c'est pas parce que la Russie a des armes nucléaires et qu'elle peut nous couper le gaz qu'il faut sacrifier les pays d'Europe de l'Est en les obligeant à faire ce qu'ils refuseraient éventuellement.
Et cela ne m'empêche pas de dire beaucoup de mal non plus des USA quand ils font n'importe quoi, car ça leur arrive aussi (à la France aussi d'ailleurs). Mais sur la question de l'Europe de l'Est et de l'OTAN, j'ai du mal à voir en quoi le dossier russe serait fondé, et en quoi les USA auraient commis une erreur.
Le souci n'est pas que l'OTAN s'étende à l'Est, le souci est que la Russie n'a pas avalé la séquence 1989-1991 et qu'elle tente de revenir là dessus pour reconstituer un empire qui appartient au passé. Si la Russie voulait regagner de l'influence en Europe de l'Est, il y avait des tas de manière différentes pour essayer d'y parvenir, et, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle s'y est très mal prise. La Russie n'a jamais convaincu ses anciens satellites qu'ils pouvaient établir avec elle une relation de confiance apaisée et sereine.