de Corondar » Mar 1 Fév 2022 17:31
J'ouvre ce sujet de discussion suite aux échanges intéressants (mais totalement hors sujet) ayant eu lieu dans le topic sur les sondages de la présidentielle 2022.
Le but du présent topic est d'analyser les tensions frontalières entre l'Ukraine et la Russie, et les implications dans les diplomaties internationales de ces tensions.
Quand j'aurais le temps j'essayerai de rapatrier certains posts du sujet des sondages vers celui-ci, histoire de reposer les bases. Bon débat à toutes et tous.
Je me permets un petit rappel d'éléments : la Russie a annexé la Crimée en 2014 suite à une invasion terrestre. Les tensions entre les 2 pays sont anciennes. Rappelons aussi que l'Ukraine est divisée en 2 parties : une partie occidentale anti russe (qui, il faut bien le reconnaitre, a subi pas mal de pogroms et de répression lors des années tsaristes, puis soviétiques) et une partie orientale nettement plus russifiée.
On pourrait je pense faire un parallèle avec la Belgique, mais dans un contexte interne nettement plus violent. L'Ukraine est incontestablement devenu un "terrain de jeu" entre les diplomaties occidentales et la diplomatie russe.
Ce serait à vérifier (si ça se trouve je dis une grosse bêtise, mais c'est je crois un souvenir de mes années de fac d'histoire), mais il me semble aussi que lors de la chute de l'URSS, l'Ukraine faisait parti des républiques socialistes disposant de l'arme nucléaire, et qu'elle a consenti à rendre cet arsenal à l'époque, en échange d'un accord russe de respecter l'inviolabilité de ses frontières (incluant bien la Crimée dans le partage).
Depuis l'Ukraine a aussi émis le projet de rejoindre l'OTAN, ce que la Russie n'est pas du tout prête à consentir. Et cette situation rend aussi très nerveux des pays comme la Pologne, la Finlande et les Pays Baltes, lesquels perçoivent (eux aussi pour des raisons historiques) la politique russe de ces dernières années comme un irrédentisme annexionniste.
Sur ce dernier point, je suis assez partagé. Il est évident que Poutine a des rêves de grandeur tsariste, qu'il vend surtout en interne pour asseoir son autorité et sa côte de popularité. Dans le cas de la Crimée, il y avait tout un tas d'éléments internes et géopolitiques qui jouaient dans sa décision d'annexer. Je ne me prononce pas quant à la régularité ou non du référendum post annexion : pour moi, ce genre de référendums devraient avoir lieu avant l'annexion plutôt qu'après. Il est possible qu'une très nette majorité de la population de Crimée était favorable au rattachement, il aurait mieux valu leur poser la question avant l'invasion plutôt qu'après (mais je doute que Kiev y aurait consenti).
Pour les tensions actuelles, Poutine flexe les muscles en massant des troupes à la frontière. Je doute qu'il planifie réellement une invasion. Poutine est beaucoup de choses, mais il n'est pas bête : même une invasion limitée au Donbass coûterait cher (en pertes humaines et en moyens économiques), laquelle aurait des répercussions à mon avis très négative pour lui dans tout un tas de domaines (l'économie russe en pâtirait, avec en plus de grosses sanctions internationales, et les pertes humaines importantes pourraient impacter à la baisse sa côte de popularité). Et même si le Donbass est majoritairement pro-russe, le rapport de force interne est sans doute nettement moins massif que pour la Crimée.
A mon avis, les gesticulations russes actuelles ont pour but principal de faire pression sur l'Ukraine et l'OTAN pour leur faire comprendre que l'adhésion à l'OTAN serait un chiffon rouge inacceptable pour Moscou. Il est évident que Moscou tente d'intimider l'Ukraine et l'OTAN. Le souci c'est que quand vous accumulez des troupes de part et d'autres d'une frontière (les Ukrainiens le faisant aussi en réponse, avec un armement qui finance largement le complexe militaro-industriel US), un incident et une situation qui dégénère est toujours possible. J'espère qu'on aboutira pas à ça.
Quant aux Polonais, aux Finlandais et aux Baltes, vu leur histoire compliquée avec les Russes, je ne peux pas leur en vouloir de ne pas faire confiance à Poutine juste sur sa bonne foi éventuelle. Eux ils souhaitent aussi faire de cette crise ukrainienne un chiffon rouge mais dans l'autre sens : ils souhaitent envoyer comme message que la Russie n'a pas à faire pression sur des pays limitrophes quant à leurs choix et orientations diplomatiques et stratégiques.
Bref, en ce qui me concerne, l'Ukraine est un sac de nœuds, une poudrière potentielle. Je ne pense pas que Poutine ait réellement comme projet l'invasion du pays, mais je pense aussi qu'il sous-estime gravement le risque d'escalade, et qu'il surjoue un peu sa main.
Cette situation confirme aussi l'effacement de l'Europe sur la scène internationale, car elle est divisée sur le sujet et n'a pas les moyens de ses ambitions éventuelles.