de vudeloin » Ven 20 Mai 2011 20:22
Avant d’examiner la situation des différents élus SFIO du Nord en 1936, un petit rappel sur les rapports de forces politiques issus des urnes dans ce département.
Car si les partis du Front Populaire obtiennent 20 des 24 députés du département, ils sont également très influents en termes de voix.
La poussée en faveur du PCF a permis à celui-ci de passer de 2 à 6 élus dans le département, en prenant deux sièges à la SFIO mais aussi deux sièges à la droite.
La SFIO n’est pas en reste, comme nous allons le voir…
En termes de suffrages, on compte 500 234 bulletins exprimés dans les urnes nordistes, sur un total de 569 468 inscrits, c'est-à -dire, tout de même, un taux de 87,84 % de suffrages exprimés !
Signe d’une évidente politisation d’un électorat limité pourtant aux seuls hommes majeurs âgés de plus de 21 ans…
A gauche, le PCF obtient 104 804 suffrages (20,95 %), un nombre de voix et un pourcentage élevé qui fait du département un des points forts du Parti.
Les voix du Nord représentent en effet plus de 7 % des suffrages communistes de métropole et cumulées avec les votes du Pas de Calais, dépassent le dixième des suffrages en question.
La SFIO est le parti politique le plus influent du département.
Le Parti aux trois flèches réalise en effet 161 540 voix dans le Nord (32,29 %) devenu place forte du socialisme.
Ce qui donne au Nord une autre particularité : celle d’être, en 1936, un département où la SFIO et le PCF dépassent ensemble la majorité absolue des suffrages.
Plus de 8 % des électeurs socialistes de 1936 habitent dans le Nord.
Les radicaux sont en voie de disparition dans un département où ils ont maintes fois peiné et totalisent 31 521 suffrages (6,30 %) score très nettement inférieur à leur moyenne nationale et qui ne leur offre aucun élu de la mer à l’Escaut…
Les divers gauche, enfin, réalisant 10 132 voix (2,02 %) complètent une gauche de Front Populaire dépassant les 60 % dans le département.
Le bloc de droite du département dispose de 45 483 suffrages (9,09 %) et souffre de la présence d’un courant de centre droit plus influent, ayant obtenu 146 425 voix (29,27 %) mais que la presse de l’époque ( notamment Le Temps ) constitue de manière un peu hétéroclite en associant à l’intérieur radicaux de droite, républicains indépendants et membres du parti démocrate populaire.
Un PDP qui groupe quelques forces dans la Région mais ne disposera en 1936 d’aucun élu dans le Nord Pas de Calais.
Passons donc à la SFIO, dont nous avons qu’elle avait perdu deux sièges, entre Douai et Valenciennes, face au PCF.
Dans l’Avesnois, la première circonscription, organisée autour du chef lieu d’arrondissement, est détenue depuis 1932 par Léo Lagrange.
Léo Lagrange n’est pas nordiste d’origine ( il est né à Bourg, en Gironde ), et il a fait ses études à Paris ( lycée Henri IV, hypokhâgne, étudiant en droit et à Sciences Po après un stage d’un an dans l’armée où il s’est engagé à dix sept ans ) et il n’est arrivé dans le Nord qu’en 1930.
A ce moment là , le siège est détenu par Louis Loucheur, maintes fois Ministre depuis le début des années 1910 et auteur de la fameuse loi Loucheur qui crée de fait le régime des habitations à bon marché ( HBM devenues plus tard HLM ), c'est-à -dire les logements sociaux à loyers modérés qui vont progressivement constituer le nouveau tissu urbain des villes françaises, à commencer par les portes de Paris et les espaces rendus disponibles par l’arasement des « fortifs « et l’annexion des villages au nouveau Paris.
Sans parler de la nécessité de réduire la « zone « , c'est-à -dire les bidonvilles sans confort construits eux aussi dans les franges de la ville, là où nous avons aujourd’hui une bonne partie du tracé du périphérique parisien…
Louis Loucheur, qui avait commencé sa carrière comme chef d’entreprise ( la fameuse Société Générale d’Entreprises ou SGE, filiale importante de la Générale des Eaux bien des décennies après ), siège sur les bancs de la gauche radicale, c'est-à -dire, en fait, plutôt du côté des gouvernements d’alliance regroupant radicaux et hommes de droite ou socialistes repentis durant les années 20…
Il aura ainsi travaillé autant avec Poincaré que Millerand ou encore Briand.
Et aura manifesté une certaine attention aux questions sociales, puisque, outre la loi sur les HBM, figurent aussi à son actif des textes sur les assurances sociales.
Mais Louis Loucheur meurt en 1931 et la droite ne dispose pas, sur place, d’un candidat ayant les mêmes qualités que lui.
Léo Lagrange est donc élu, arrivant en tête au premier tour avec 7 570 voix ( plus de 40 % des suffrages ) et est élu au second avec près de 700 suffrages d’avance sur le second.
En 1936, Léo Lagrange, dont la personnalité s’est affirmée ( il prend notamment une part importante aux débats lors de la révélation du scandale Stavisky ), arrive de nouveau en tête au premier tour en réalisant 8 167 voix, contre 7 492 voix au second candidat et 1 078 voix au candidat PCF.
Il est élu sans coup férir au second tour avec 9 258 voix contre 7 635 voix pour son adversaire.
Léo Lagrange est nommé sous secrétaire d’Etat aux Loisirs et aux Sports dans le gouvernement Blum.
C’est là qu’il va mettre en œuvre une politique audacieuse et populaire de développement des activités de plein air et de sport, dont nous connaissons encore aujourd’hui bien des manifestations.
Léo Lagrange parvient ainsi à mettre en place les fameux billets de « congés payés « pour les transports ferroviaires, les principes de tarifs familiaux dans bien des lieux de vacances, se rapprochant des syndicats d’initiative et des offices de tourisme surpris notamment par l’accroissement du nombre de vacanciers lié à la mise en place des congés payés.
Il aide aussi au développement des auberges de jeunesse ( dont on rappellera qu’elles furent, au départ, inspirées en grande partie par le catholicisme social ), du camping populaire, de la pratique décentralisée des activités culturelles.
Il jette les bases de l’organisation des sports en France, récusant la domination du sport spectacle, et créant ce qui sera plus tard le Comité national olympique et sportif français, mais aussi l’Institut National des Sports et de l’Education Physique.
Enfin, avec les « clubs de loisirs «, il lance l’amorce de ce que seront les Maisons des Jeunes et de la Culture après la guerre.
C’est un Ministre de son temps et qui, sous bien des aspects, fait entrer la France dans le XXe siècle.
Bien que non mobilisable, Léo Lagrange redeviendra militaire pendant les premiers mois de la guerre.
Et c’est d’ailleurs ainsi qu’il disparaît prématurément, tué dans un village de l’Aisne, Evergnicourt, à une distance finalement assez courte de la région nordiste qui l’avait élu.
La Fédération des clubs Léo Lagrange, qui porte son nom, n’a pas à voir de prime abord avec son œuvre mais elle fut, et encore aujourd’hui, l’un des vecteurs de formation de nombreux cadres socialistes.
Les deux autres députés SFIO de l’Avesnois sont moins connus que Léo Lagrange et c’est peut être dommage.
Le second était Maurice Deudon, député sortant républicain socialiste ( il adhérera à la SFIO pour les élections de 1936 ) et maire de Maubeuge.
Elu en 1932 avec une nette majorité ( 11 820 voix sur 21 233 votants pour lui contre 6 094 pour son premier adversaire ), Maurice Deudon sera reconduit dans ses fonctions en 1936.
Mis en ballottage, il est élu avec 14 020 voix contre 7 928 au candidat de la droite.
Médecin de formation et de profession, il participera activement à la mise en œuvre du programme du Front Populaire, mais finira, comme tant d’élus de la XVIe législature, par voter les pleins pouvoirs à Pétain.
L’invasion allemande, en mai 40, le contraint à se réfugier dans le Sud de la France, et il sera connu, pendant la guerre, comme le médecin du maquis en Dordogne.
Toutefois, son inéligibilité ne sera jamais relevée et il n’aura plus d’activité politique après la Libération.
Le troisième député d’Avesnes, c’est Eugène Thomas, élu sur le secteur du Quesnoy ( entre autres ).
Jeune instituteur, il est élu en mai 1936 en délogeant de sa position le député radical socialiste sortant Lacourt, qu’il domine avec 7 667 voix contre 6 719.
( la circonscription est manifestement plus rurale que d’autres…)
A peine âgé de 33 ans, Eugène Thomas voit le programme du Front Populaire se réaliser en grande partie et apporte son concours à l’adoption de textes sur l’allongement de la scolarité à 14 ans, la création de l’Office du blé et j’en passe.
Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier par les Allemands sur la Somme mais parvient à s’évader sans toutefois participer à la réunion du 10 juillet 1940 sur la révision constitutionnelle accordant les pleins pouvoirs à Pétain.
Opposé au régime de Vichy, Eugène Thomas est l’un de ces résistants de la première heure, honneur de la SFIO, à avoir contribué à reconstituer la mouvance et le courant socialistes dans sa région et avoir mené des actions de Résistance à l’ennemi.
Il sera arrêté en 1943 par la Gestapo, torturé et emprisonné pendant neuf mois avant d’être déporté à Buchenwald où il fondera une section socialiste des déportés.
( un camp où existait également une organisation communiste particulièrement active avec le futur Ministre Marcel Paul, entre autres )
Eugène Thomas finit d’ailleurs par participer, au sein de l’organisation clandestine du camp, distant de quelques kilomètres de la ville de Weimar, au comité des intérêts français où il côtoie l’ancien chef de cabinet de Pierre Cot au Ministère de l’Air, Frédéric Manhès, l’ex député socialiste républicain de l’Eure Albert Forcinal et Marcel Paul, déjà nommé, qui sera l’un des Ministres communistes de la Libération et le père de la nationalisation du gaz et de l’électricité ).
Il est donc libéré, avec ses camarades, en avril 1945, par les troupes américaines, avancées jusque dans ce qui fut la villégiature du conseiller aulique Johann von Goethe et était devenu l’un des synonymes des persécutions nazies.
Dès la fin 1945, Eugène Thomas est de nouveau élu député du Nord, sur les listes de la SFIO, dans la troisième circonscription où la force du PCF est la plus importante, ce parti étant mené dans ce secteur par Henri Martel.
Il siégera au Palais Bourbon jusqu’à la fin de la Quatrième République, après une carrière ministérielle qui fera de lui « le « Ministre des PTT de l’époque, mandat exercé en effet à de multiples reprises entre juin 45 et janvier 1959.
A noter qu’ayant été ministre d’un gouvernement De Gaulle à la Libération, c’est aussi en qualité de ministre d’un ministère De Gaulle, qu’il achèvera ses fonctions ministérielles, marquées par le premier développement du réseau téléphonique dans notre pays.
Mais son vainqueur sera aussi gaulliste, en la personne de Paul Bécue, député UNR, soutenu par le MRP, les indépendants et les radicaux, et qui représentera cette partie du Nord jusqu’en 1967.
Allons maintenant à Dunkerque où nous attend le député SFIO, maire de Dunkerque, Charles Valentin.
Avocat âgé de 55 ans au printemps 36, Charles Valentin a attendu son heure.
Sa première candidature date de 1910 où il se contente de 2 540 voix sur 18 974 exprimés.
En 1928, il se retrouve au second tour face à Félix Coquelle, le sortant URD maire de Rosendael, qui ne l’emporte que par 11 539 voix contre 10 332.
La partielle, organisée en novembre 28 après le décès de Félix Coquelle, voit le succès du républicain de gauche Vincent, victorieux avec 10 318 voix contre 10 034 pour Charles Valentin.
L’écart s’est donc réduit et en 1932, la lutte entre les deux candidats reprend.
Vincent l’emporte avec 13 164 voix contre 12 481 voix pour Valentin.
Ces trois échecs, avec un écart inférieur à 1 500 voix à chaque fois, montrent à quel point la façade maritime de la Flandre voit s’affronter des forces d’importance proche, les ouvriers du secteur portuaire s’opposant à l’univers des armateurs et des commerçants qui s’affairent dans les deux ports de Dunkerque et Gravelines.
Le chirurgien dentiste Maurice Vincent sera toutefois battu par Charles Valentin.
En 1936, le candidat de la SFIO arrive en tête au premier tour avec 12 390 voix contre 12 222 au candidat de la droite.
Avec le soutien des voix communistes, en progression dans ce secteur, Charles Valentin est clairement élu, faisant 15 142 voix contre 12 392 au sortant.
Il sera dès lors un député socialiste SFIO attentif au sort des travailleurs de la marine, et au respect des droits des salariés et des droits syndicaux en général.
Il décède cependant, de manière un peu prématurée, en septembre 1939.
Un détour par Cambrai, maintenant où le PS obtient les deux élus de l’arrondissement.
Le premier est relativement connu, il s’agit de Raymond Gernez.
Jeune ébéniste de 30 ans au moment des élections, secrétaire de section SFIO et militant ardent, Raymond Gernez se présente sur la 1ere circonscription du Cambrésis, qui avait déjà voté SFIO en 1932 pour élire d’abord Maurice Camier, un ouvrier mutilé du travail qui mourut à 49 ans en 1933 puis Louis Brodel, un autre élu socialiste, également prématurément disparu en janvier 1936.
Raymond Gernez n’arrive pas en tête au premier tour où c’est un candidat radical de droite, Deltour, qui vient en tête avec 11 288 suffrages.
Le jeune SFIO obtient 6 702 voix, devançant un candidat communiste, Adolphe Glay, maire d’Avesnes les Aubert ( qu’il gratifiait peu de temps avant encore de « braillard moscoutaire « ) 4 486 voix, et Moithy, membre des radicaux Camille Pelletan, 2 291 voix.
Raymond Gernez l’emporte au second tour, grâce au rassemblement des voix de gauche, avec 13 375 voix contre 12 382 au candidat radical de droite.
Bien qu’il vote les pleins pouvoirs à Pétain, il entre dès le début de la guerre dans la Résistance à l’ennemi, et on retrouve sa trace dans de nombreuses actions de résistance dans le Nord comme dans le Sud de la France, notamment du côté de la Provence où son maquis contribue à l’avancée des troupes alliées.
Contrairement à ses prédécesseurs sur le siège, il va gérer pendant de longues années sa ville, Cambrai ( de 1945 à 1977 ) et rester député du Nord, quelque soit le mode de scrutin, de la Libération à 1973.
Raymond Gernez, s’il a voté les pleins pouvoirs à Pétain, a donc fait exception et son comportement pendant la guerre lui a évité, du point de vue de la SFIO, de connaître l’indignité de la mise à l’écart.
Pour autant, il fut de longues années un élu socialiste de tendance assez modérée, très souvent favorable à la troisième force et, surtout, anticommuniste virulent.
Opposé au programme commun et ayant subi l’affront d’avoir été devancé sur Cambrai par le candidat communiste, il laissera peu à peu ses mandats ( députation en 1973, mairie en 1976, conseil général en 1979 ), non sans avoir aussi, quitté un PS dont il ne partageait pas l’option d’Union de la gauche.
A preuve le fait que son retrait en 1973 conduisit à l’élection de Jacques Legendre, l’actuel sénateur UMP du Nord et ancien Ministre, en lieu et place du candidat communiste qui semblait pouvoir être élu sur les résultats du premier tour.
Je crois, sans me tromper de beaucoup, qu’une bonne partie de ceux qui lui succédèrent à la mairie de Cambrai en 1977 étaient déjà élus au sein de son équipe de 1971.
L’autre élu du Cambrésis fut Auguste Beauvillain.
Cet élu, déjà relativement âgé en 1936 ( il était né en 1879 ), était représentant en vins, et était devenu maire de la petite ville ouvrière de Caudry, dans l’actuel canton de Clary, ville consacrée à l’industrie de la dentelle et notamment à cette forme particulière qu’est le tulle.
Il fut élu en remplaçant sur ce siège en partie rural un radical de droite, ancien juge et haut fonctionnaire, Maurice Deligne.
Ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, Auguste Beauvillain fut maintenu dans ses fonctions de maire de Caudry par le régime de Vichy jusqu’à son arrestation, dans le courant de l’année 1942 par les Allemands.
Frappé d’indignité nationale du fait de son vote de juillet 40, sa peine fut relevée en 1947 mais il se contenta, alors, de se présenter comme simple conseiller municipal dans la ville dont il avait été le premier édile pendant 23 ans.
Il ne nous reste désormais que le cas des sept élus SFIO de l’arrondissement lillois.
L’un est très connu, il s’agit de Roger Salengro, alors maire de Lille et élu de la 2e circonscription de Lille, correspondant à la partie Sud, Sud Ouest de la ville.
Après des études brillantes, Roger Salengro, qui a eu la malchance de naître en 1890, se retrouve confronté à la loi de trois ans et à son entrée dans la vie militaire dès 1912 qui va le conduire à connaître en 1915 les épreuves du champ de bataille puis celles de la captivité en Allemagne, suite à sa capture par les Allemands sur le champ de bataille de Champagne ( cet incident donnera lieu à la cabale sur sa « prétendue « désertion qui aura tant d’incidences sur la fin de sa vie et amènera son suicide ).
Rentré en France peu de temps après l’armistice, Salengro reprend ses activités politiques et choisit de rester fidèle à la « vieille maison «, revenant à Lille pour réorganiser la SFIO et prenant, à 35 ans, dès 1925, la suite du maire socialiste Gustave Delory.
Il est élu pour la première fois député en 1928, l’emportant avec 668 voix sur son adversaire de droite.
En 1932, il est reconduit dans ses fonctions dès le premier tour avec 2 800 voix d’avance sur le second.
En 1936, Salengro est réélu au premier tour, en battant son adversaire de plus de 4 000 voix.
Devenu le Ministre de l’Intérieur de Léon Blum, il joue un rôle essentiel dans la crise sociale qui suit la victoire électorale du Front Populaire et qui amène la CGT, réunifiée en 1935, à conduire des luttes syndicales sous la forme inédite de l’occupation d’usines.
Salengro est à la fois le socialiste qui soutient l’action des travailleurs et fait tout pour que les discussions de Matignon portent leurs fruits et le ministre de l’Intérieur qui maintient l’ordre public.
A ce titre, il est en action pour la dissolution des ligues factieuses, ce qui lui vaut la haine tenace des députés comme Ybarnegaray, Des Isnards ( le député de droite du 8e arrondissement parisien ), Xavier Vallat ( le député de droite ardéchois ) ou encore de Taittinger, député du 1er arrondissement, porte parole à peine voilé des Camelots du Roi au Palais Bourbon et qui glissera dans la collaboration pendant la guerre.
C’est à cette occasion que la presse de droite et notamment le journal satirique Gringoire, se déchaîne contre Salengro, victime notamment des attaques du Prix Goncourt 1922 Henri Béraud, passé de l’extrême gauche à l’extrême droite pendant les évènements de février 34 et qui finira par glorifier l’Allemagne nazie et par écrire des textes et des articles où l’anglophobie le disputera à l’antisémitisme.
La presse de droite, à l’époque, qu’il s’agisse des journaux comme le Jour ou l’Echo de Paris, mais surtout des Gringoire, Je suis partout et autres Action Française, diffuse à des milliers d’exemplaires, voire des centaines de milliers.
Comme nous l’avons vu, l’un des adversaires locaux de Salengro, le député Becquart, va reprendre à son compte les accusations portées par la presse de droite et d’extrême droite.
Bien que lavé de tout soupçon par un vote solennel de la Chambre, Salengro se suicidera le 18 novembre 1936.
Il sera remplacé dans les fonctions de député de Lille Sud Ouest par son cadet de quatorze ans, Henri Salengro, élu sans coup férir en janvier 37 avec près de 4 000 voix d’avance sur le candidat de droite.
Mobilisé pendant la guerre de 39 40, Henri Salengro, en permission, votera la révision constitutionnelle de juillet 1940.
Le second député SFIO de Lille, dans la 3e circonscription, fut Louis Masson, un ancien ouvrier imprimeur de 60 ans qui délogea le député de droite sortant, Coutel, en le battant par 8 961 voix contre 8 540 dans une circonscription difficile…
Absent le 10 juillet 1940, Louis Masson n’aura pas laissé d’empreinte essentielle comme député, et reste plus connu comme élu local.
Il décède pendant la guerre, en 1942.
Dans la 4e circonscription, orientée autour de Lille Sud Est, les socialistes font élire Charles Saint Venant, l’emportant de plus de 5 000 voix sur son premier concurrent.
Il succède ainsi au sortant SFIO Alexandre Bracke Desrousseaux, qui ne se représentait pas.
Fils lui-même d’un ancien député socialiste, Charles Saint Venant, militant depuis l’âge de 16 ans, devient maire de Lille à la suite de la tragique disparition de Roger Salengro.
Il vote la loi constitutionnelle donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, un vote qui semble avoir mis un terme à sa carrière politique.
Dans la 5e circonscription, organisée notamment autour de Lomme et Haubourdin, les socialistes font élire Eugène Dereuse, fils d’ouvrier, cafetier à Lomme et conseiller général, vaincu en 1932 par le sortant de droite Guillaume des Rotours, fils et petit fils d’une famille de députés du Nord.
A la vérité, Guillaume des Rotours, élu républicain de gauche, était apparenté par cousinage aux Plichon que nous avons vu précédemment à Bailleul comme aux Diesbach dont nous parlerons plus tard pour le Pas de Calais.
Cet élu de droite fut élu sénateur lors d’une partielle en 1935 où il battit le maire socialiste de Douai Charles Goniaux, dont nous verrons qu’il fut battu lors des législatives du printemps 36 par le candidat communiste Henri Martel.
Le siège, laissé vacant, fut donc récupéré par la SFIO et le brave Eugène Dereuse, enfin victorieux, avec 11 070 voix contre 9 296 voix pour son adversaire de droite, pourtant arrivé en tête au premier tour mais victime du rassemblement des voix de gauche.
Déjà sexagénaire, Eugène Dereuse interviendra peu et son nom apparaît dans la liste des parlementaires ayant donné les pleins pouvoirs à Pétain.
Même s’il apporte aide et soutien aux réfractaires du STO, Eugène Dereuse ne reviendra pas dans la vie politique, du fait de son inéligibilité liée au vote de juillet 40.
Il décèdera en 1953 dans sa ville de Lomme.
L’élu de la 6e circonscription est d’un autre profil.
Il s’agit en effet d’Augustin Laurent, qui fut longtemps l’un des élus les plus importants de la SFIO du Nord.
Né d'une famille de mineurs, Augustin Laurent s'engage à 18 ans, en 1914, et se bat sur le front pendant 46 mois. Il est décoré de la Croix de guerre. Après l'armistice, il devient secrétaire de mairie et prend une part active au mouvement socialiste dans le Nord. Il remporte son premier succès électoral en 1931, année de son entrée au Conseil général du Nord.
Aux élections générales de 1936, il est candidat du Front populaire dans la 6e circonscription de Lille. Il est élu au second tour par 11.980 voix contre 9.169 à son concurrent immédiat, sur 21.565 suffrages exprimés. A la Chambre, il s'inscrit au groupe socialiste S.F.I.O. Il fait partie de la commission de la législation civile et criminelle, de celle du travail, enfin de la commission d'assurance et de prévoyance sociales.
Il prend par la même occasion le siège à un radical de droite.
En 1938, il intervient dans la discussion du projet de loi tendant à l'institution de l'office national interprofessionnel du blé ; du projet de loi relatif à la propriété culturale ; du budget des Travaux publics. En 1939, il dépose une proposition de loi tendant à assujettir les ouvriers et employés des usines travaillant les produits de distillation de la houille à la caisse autonome des retraites des ouvriers mineurs et une proposition de loi tendant à la création d'un conseil de prud'hommes dans tous les chefs-lieux de canton.
En juillet 1940, il se solidarise avec les parlementaires qui refusent d'accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Absent de Vichy le jour du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940, Augustin Laurent manifeste aussitôt son opposition au nouveau régime, et entre parmi les premiers dans les rangs de la Résistance. Dès octobre 1940, il écrit des articles pour L'Homme libre, publication clandestine dirigée par son ami Jean Lebas, à laquelle succédera Quatrième République à la fin de l'année 1941. Courageux, discret et efficace, Augustin Laurent devient secrétaire à l'organisation dans le comité exécutif clandestin du parti socialiste, dont il coordonne l'activité entre la zone d'occupation et la zone libre. Après avoir échappé d'extrême justesse à une arrestation, Augustin Laurent rejoint Lyon en 1942 ; il y siège au comité politique du mouvement Libération-Sud, et prend la tête du réseau France au combat. Augustin Laurent accomplit alors d'incessants aller-retours entre le Nord et le Lyonnais, assurant liaisons, transmissions d'ordres et renseignements, tout en participant à la rédaction, au tirage et à la diffusion de journaux clandestins.
Sollicité pour représenter le parti socialiste au sein du CNR, et encouragé dans cette voie par Léon Blum, Augustin Laurent décline la proposition, afin, dit-il, de mieux concentrer ses efforts sur l'organisation de la Résistance dans le Nord ; c'est à André Le Troquer qu'échoit alors cette responsabilité. En janvier 1944, Augustin Laurent s'établit définitivement à Lille ; il y dirige les activités du comité départemental de libération, changeant sans cesse de logement pour échapper aux recherches de la Gestapo.
Le jour de la libération de Lille, Augustin Laurent, entouré de quelques FFI, prend possession au nom de la République de l'Hôtel de la préfecture. Porté à la tête de la fédération socialiste du Nord, il reprend les rotatives du journal collaborationniste Le Réveil du Nord et créé Nord Matin, dont il assume jusqu'en 1979 la direction politique.
Son action dans la Résistance et son poids dans l'appareil socialiste lui valent d'être appelé par le général de Gaulle le 10 septembre 1944 pour prendre les fonctions de ministre des PTT du Gouvernement Provisoire de la République Française. Augustin Laurent présente sa démission le 27 juin 1945, invoquant les séquelles d'une opération chirurgicale, mais faisant peu mystère de son irritation croissante devant les orientations et les méthodes du général de Gaulle.
Déjà membre de l'Assemblée consultative provisoire, Augustin Laurent se présente le 21 octobre 1945 aux élections pour la première Assemblée nationale Constituante, à la tête de la liste SFIO dans la 2e circonscription du Nord. La liste recueille 124 360 voix sur 451 443 suffrages exprimés, et emporte trois des neuf sièges à pourvoir ; la liste du MRP conduite par Maurice Schumann obtient quatre sièges, et la liste communiste d'Arthur Ramette les deux derniers.
Augustin Laurent est nommé membre de la Commission du travail et de la sécurité sociale et de la Commission des affaires étrangères. Il est l'auteur de plusieurs textes, parmi lesquels deux rapports au nom de la Commission du travail, déposés le 13 décembre 1945 et le 12 février 1946, dans lesquels il plaide avec force pour que soient enfin respectés la loi du 21 juin 1936 limitant à quarante heures par semaine la durée légale du travail et le décret du 27 octobre 1936 fixant le régime des heures supplémentaires : les nécessités de la reconstruction, assurément impérieuses, ne sauraient toutefois justifier que l'on s'affranchisse du principe d'une juste rémunération des heures de travail accomplies au-delà de l'horaire légal.
Avec ses collègues du groupe socialiste, le député du Nord vote les nationalisations et approuve, le 19 avril 1946, le projet de Constitution de la IVe République ; le texte est cependant rejeté par le référendum du 5 mai 1946, ce qui rend nécessaire la convocation d'une nouvelle Assemblée nationale Constituante.
Les élections se tiennent le 2 juin 1946 ; Augustin Laurent conduit de nouveau la liste de la SFIO, qui consolide ses positions, avec 128 900 voix sur 457 801 suffrages exprimés, et retrouve ses trois élus.
Augustin Laurent est de nouveau nommé membre de la Commission du travail et de la sécurité sociale. Il intervient à deux reprises à la tribune de l'Assemblée, le 18 et le 24 septembre 1946 ; déplorant l'incapacité du gouvernement à enrayer les mécanismes inflationnistes et à mettre un terme au marché noir, il se prononce en faveur d'une politique des prix souple mais vigilante : « je pense, moi, que la liberté est un meilleur moyen, qui n'est, sans doute, pas absolu. Je pense que cette liberté doit être contrôlée par l'Etat qui doit en sanctionner les excès ».
Augustin Laurent approuve le nouveau projet de Constitution, voté par l'Assemblée le 28 septembre 1946, et ratifié par référendum le 13 octobre. Il sollicite de nouveau le renouvellement de son mandat lors des élections législatives du 10 novembre. La liste socialiste perd un peu de terrain, avec 113 298 voix sur 453 725 suffrages exprimés ; ses trois députés sortants sont certes réélus, mais dix sièges étaient cette fois à pourvoir, contre neuf lors des consultations précédentes.
Augustin Laurent retrouve la Commission du travail et de la sécurité sociale ; il siège aussi à la Commission des boissons, et est appelé à figurer sur la liste des jurés de la Haute cour de justice. En décembre 1946, Léon Blum l'appelle dans son gouvernement, avec le titre de ministre d'Etat. Il y demeure quelques semaines, jusqu'à la mise en place officielle de la IVe République ; il déclinera par la suite plusieurs propositions de portefeuille ministériel, entendant se consacrer pleinement à ses mandats électifs et à ses responsabilités au sein du parti socialiste.
L'activité parlementaire d'Augustin Laurent témoigne de son intérêt pour les problèmes sociaux. Il dépose ainsi, le 18 mars 1947, une proposition de résolution destinée à modifier le régime des prestations familiales ; le 10 mars 1949, il est l'auteur d'une proposition de résolution destinée à augmenter le taux de l'assistance à domicile versée aux vieillards, infirmes et incurables ; le même jour, il dépose une autre proposition de loi visant à obtenir, pour les travailleurs indépendants les plus modestes, l'exonération des cotisations aux caisses d'allocations familiales.
A l'Assemblée, Augustin Laurent incarne la tradition du socialisme guesdiste, dont le Nord fut l'une des premières terres d'élection.
En 1946, Augustin Laurent est aussi élu président du conseil général du Nord. C'est d'ailleurs pour mieux se consacrer à l'action locale qu'il choisit de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat lors des élections législatives du 17 juin 1951.
Après avoir été élu conseiller municipal de Lille en 1953, il en devient maire en 1955, la reprenant des mains des républicains sociaux ; il administre la ville avec une majorité de Troisième force (SFIO, MRP et Indépendants), et l'engage dans une politique urbaine qui se concrétise notamment par la rénovation du vieux quartier Saint-Sauveur - l'actuel quartier de la mairie.
Parlementaire, ministre, élu local, Augustin Laurent est aussi un homme de parti. Secrétaire depuis 1945 de la puissante fédération socialiste du Nord, il échoue en septembre 1946 contre Guy Mollet dans la lutte qui les oppose pour l'accession au poste de secrétaire général de la SFIO ; mais soucieux avant tout de l'unité du Parti, il soutient loyalement, par la suite, le député du Pas-de-Calais. Augustin Laurent n'est toutefois pas homme à renier ses convictions : favorable à la CED, il s'élève en 1952 contre ceux qui, dans son propre parti, s'acharnent à saborder le projet ; il s'oppose en 1956 à Guy Mollet lors de l'affaire de Suez, puis en 1965 à Gaston Defferre, dont il récuse, au nom de l'unité du groupe socialiste, le projet de « grande fédération ». Agé déjà de soixante-sept ans, Augustin Laurent se démet en 1963 de ses fonctions de secrétaire de la fédération du Nord ; quatre ans plus tard, il se retire des instances dirigeantes de la SFIO.
Hostile au cumul des mandats, Augustin Laurent abandonne en 1967 la présidence du conseil général du Nord à Albert Denvers, avant de prendre, deux ans plus tard, la présidence de la Communauté Urbaine de Lille. Il quitte cette présidence en 1971, la confiant à Arthur Notebart ; de même, refusant « d'attendre que ses forces s'endorment sous le beffroi », il cède en 1973 son fauteuil de maire à son premier adjoint, Pierre Mauroy.
Désormais simple spectateur de la vie politique, Augustin Laurent reste passionné par l'évolution d'un parti dont il fut, plusieurs décennies durant, l'un des principaux animateurs. Il décède le 1er octobre 1990 à Wasquehal, dans le département du Nord ; Michel Rocard, alors Premier ministre, salue la mémoire de ce « militant fidèle, qui a parfaitement incarné les vertus du socialisme nordiste à travers les vicissitudes de l'Histoire ».
( ces éléments, trouvés sur le site de l’Assemblée, permettent d’ailleurs de préciser quelques éléments sur les élections ultérieures ).
Dans la 7e circonscription, les socialistes mènent à la députation Jean Lebas, maire de Roubaix, déjà élu en 1932.
L’élection de Jean Lebas est la plus nette de toute sa carrière avec plus de 6 400 voix de majorité.
Jean Lebas qui, comme d’autres élus SFIO , a été longtemps anticommuniste, doit au report des voix PCF son élection brillante.
Jean Lebas est un des ministres essentiels du Front Populaire, tout simplement parce que Léon Blum le choisit comme Ministre du Travail, ce qui signifie que c’est sous sa responsabilité que sont rédigées les lois instituant les congés payés, la semaine de quarante heures, les conventions collectives ou encore la généralisation des assurances sociales.
Jean Lebas quittera ses fonctions de Ministre du travail en 1937, devant le refus du Sénat de laisser au gouvernement les moyens exceptionnels de sa politique.
Il sera ensuite Ministre des PTT, jusqu’en 1938 où les ministères de Front Populaire sont de plus en plus radicaux et de moins en moins socialistes.
Engagé dans la Résistance ( notamment pour permettre aux aviateurs anglais abattus de retourner dans leur pays ), Jean Lebas sera arrêté en mai 1941 par la Gestapo puis incarcéré à la prison de Loos et ensuite envoyé en Allemagne.
Il connaît la forteresse à Charlottenburg, à côté de Berlin avant d’être condamné aux travaux forcés par un tribunal allemand et placé dans le camp de Sonnenburg.
Il y meurt de maladie et de privations en mars 1944.
Cette destinée tragique, qui ne sera connue en France qu’après la Libération, fera l’objet d’une cérémonie commémorative officielle en 1951…
Enfin, dans la 8e circonscription du Nord, également organisée autour de Roubaix, la SFIO va obtenir la réélection du docteur Léandre Dupré.
Médecin du peuple, promoteur de nombreux dispensaires d’hygiène dans la ville de Roubaix ( historiquement marquées par les courées, ces habitats ouvriers lépreux et insalubres dédiés aux ouvriers des filatures et des tissages ), Léandre Dupré fut adjoint au Maire de Roubaix ( de fait Lebas ) tout en étant député SFIO élu en 1932 face à Thellier, le candidat des patrons du textile, battu alors de près de 4 000 voix et fut réélu en 1936 face à Derycke, battu de plus de 6 000 voix.
Ne prenant pas part au vote du 10 juillet, Léandre Dupré se retrouvera dans le Midi ( en l’occurrence replié sur Sète ) pendant la guerre.
Fort âgé ( il avait déjà 65 ans en 1936 ), il sera appelé à siéger dans la délégation provisoire de la ville de Roubaix mise en place à la Libération.
C’est d’ailleurs à ce titre qu’il sera, de nouveau, élu local de la cité textile, en redevenant adjoint au Maire en 1945 et 1947.
Un mandat que son décès en 1951, à l’âge de 80 ans, ne lui permettra pas d’achever.
Comme on le voit, la destinée des élus socialistes de 1936 dans le Nord a été fort variable.
Au tragique destin de Salengro ou de Lebas, répondent les longues carrières de Raymond Gernez ( pourtant favorable au vote donnant les pleins pouvoirs à Pétain ) et d’Augustin Laurent ( l’un des 80 ayant voté contre et ayant pris une part active à la Résistance ).
Et nous avons les quasi anonymes, Beauvillain, maintenu dans ses fonctions par Vichy ou Dereuse, disparu de la vie publique après guerre, sans parler de Charles Saint Venant, qui ne semble plus avoir joué le moindre rôle après la Libération, et dont le nom figure pourtant dans l’annuaire des rues de Lille.
Pour un motif très simple : c’est que son père, portant le même patronyme, fut aussi élu de Lille…
Et nous avons aussi les relations souvent complexes avec les communistes, l’autre grande famille de la gauche nordiste.
Parce que bon, 1936 marque peut être le grand succès de la SFIO sur Lille ( 7 élus sur les 10 de l’arrondissement ) mais deux sièges sont perdus ailleurs au profit du PCF dans le Valenciennois et cela ne peut convenir…
Bref, bien des éléments d’un débat dont nous retrouvons les traces encore aujourd’hui…
Un regard sur la géopolitique nordiste montre d’ailleurs que les rapports de forces de 1936, l’influence des uns et des autres trouve encore écho aujourd’hui...