de vudeloin » Sam 7 Mai 2011 16:36
La mise en ballottage de De Gaulle fut elle vraiment une surprise ?
C'est évidemment cette question pour le moins étonnante que l'on peut poser à la lecture immédiate des faits qui implique, par conséquent, de poser quelques étapes et jalons dans l'analyse que l'on peut produire, a posteriori, sur un événement politique d'importance.
Encore que nous n'avions rien vu puisque trois ans et demi après le premier tour de cette élection, un referendum mal goupillé, imparfaite traduction des aspirations exprimées dans la fureur créatrice de mai 68, conduira au départ du Commandeur, et à modifier notre calendrier électoral, d'ailleurs, en plaçant désormais l'élection présidentielle au printemps.
Situation qui sera complétée, à son corps défendant ou plutôt sans défense, par le pauvre Georges Pompidou, héritier du Grand Siècle et que Moisan croquait chaque semaine en Régent dans le Canard Enchaîné...
Pour en revenir à la fin de l'automne 65, il me semble qu'il faut s'arrêter quelques instants sur des chiffres un peu antérieurs.
Les premiers, ce sont ceux du referendum de 1962 sur l'élection au suffrage universel direct du Président de la République.
Ce vote, essentiel, est organisé le 28 octobre 1962, et se présente sous des auspices complexes pour De Gaulle.
Le front constitutionnel qui l'avait soutenu en 1958 s'est largement fissuré et il n'a, pour le soutenir, que les militants, élus et adhérents de l'Union pour la Nouvelle République, son parti, et ceux des Républicains Indépendants, en scission du CNIP et regroupés autour de Giscard d'Estaing.
Face à lui, opposition de la gauche, depuis les communistes, opposés au « pouvoir personnel « et dont la position se traduira par principe par le refus de participer à l'élection, sinon « contraints et forcés « en 1969, mais aussi la SFIO ou le PSU;
Au centre gauche et au centre, la majorité des radicaux et le MRP sont également opposés au projet tandis qu'à droite, CNIP et extrême droite proche de l'OAS, composée de quelques uns des déjà nostalgiques de la France coloniale qui fourniront ensuite une bonne partie des troupes du Front National dix ans plus tard, sont également en opposition.
Malgré tout cela, le OUI l'emporte et recueille au total 13 510 516 voix contre 7 974 538 NON.
Une nette majorité ( plus de 5,5 millions de voix tout de même ) qui donne une légitimité réaffirmée au Général.
Sauf que, dans un contexte et une configuration politique différents, la ratification des accords d'Evian avait recueilli 17 866 423 OUI quelques mois plus tôt contre seulement 1 809 074 NON.
Quelques semaines plus tard, les cartes sont rebattues à l'occasion des législatives de novembre 1962., où le parti gaulliste, l'UNR, va clairement afficher sa primauté à l'intérieur de la droite, en réduisant la présence des autres forces alliées depuis 1958 ( CNIP et MRP notamment ).
Le premier tour se traduit d'abord par le vote de 18 333 791 suffrages exprmiés.
On se situe donc en dessous du nombre de suffrages observés lors du referendum (21 485 054 ), signe, peut être, d'une certaine lassitude des électeurs ou d'une forme de résignation...
La campagne référendaire, provoquée par un conflit institutionnel ( De Gaulle n'ayant pu faire passer sa réforme au Parlement avait opté pour l'organisation du referendum et la dissolution anticipée de l'Assemblée nationale ), avait sans doute occulté le scrutin législatif et le résultat favorable au projet élyséen a pu provoquer une forme de réflexe légitimiste.
Sauf que les résultats ne sont pas tout à fait à la hauteur et traduisent en fait des rapports de forces plus complexes.
A gauche, le PCF obtient 4 003 553 suffrages et 21,84 %, ce qui constitue un progrès sur 1958 et se traduira, compte tenu des accords de désistement avec la SFIO, par un renforcement de la représentation du Parti, passant de 10 à 41 députés.
La SFIO obtient pour sa part 2 298 729 suffrages et 12,54 %, signe de son tranquille et serein déclin.
D'autant que le PSU, avec 427 467 voix et 2,33 %, n'est pas sans influence à l'époque.
Ce qui nous donne une gauche « affirmée « à 6 729 749 voix et 36,71 %.
Les radicaux, pour leur part, poursuivent eux aussi leur déclin, en obtenant 1 429 649 voix, soit 7,79 %.
Il faudra, le moment venu, regarder dans cet ensemble la part des radicaux proches de la gauche ( autour de Maurice Faure ou de René Billères ) de ceux proches de la droite.
Les soutiens du gaullisme sont de deux ordres.
D'une part, l'UNR, qui affirme sa primauté à droite avec 5 855 744 voix et 31,94 % des voix ( 10 points d'avance sur le PCF, seconde force politique du pays ), une situation qui mènera ce parti, par le jeu du scrutin à deux tours et du découpage, à disposer de 233 sièges dans la nouvelle Assemblée Nationale.
Ensuite, les Républicains indépendants de Giscard d'Estaing, dotés de 1 089 348 voix, soit 5,94 % des suffrages.
C'est à dire qu'avec 6 945 092 voix et 37,88 % des voix, le bloc favorable au pouvoir ne fait que peser autant que la gauche « certifiée « .
Au centre, reste le MRP, en lente mais sûre décrue, qui ne se trouve plus en situation de présenter des candidats dans tous les départements et qui obtient 1 665 695 voix, soit 9,08 % des suffrages.
Dans l'opposition de droite au gaullisme, avec les blessures vives de l'Algérie française, on trouve enfin le CNIP, riche de 1 404 177 voix, soit 7,66 % des votes et des candidats d'extrême droite pour 159 429 voix et 0,87 %.
A ce stade, il ne faut pas oublier que Mitterrand aura le soutien de la gauche et de la majorité des radicaux, tandis que Lecanuet aura celui du MRP et du CNIP lors de la présidentielle de 1965.
C'est à dire que notre candidat rouennais avait, en 1965, comme un « talon « de 2,5 à 3 millions de voix à sa disposition.
De même que Mitterrand pouvait compter sur un « talon « proche de 7 millions de voix et De Gaulle sur autant.
A la nuance près que le OUI avait dépassé les 13 millions de suffrages au referendum...
Ce qui veut juste dire que De Gaulle aura un nombre de voix situé entre l'influence de ceux qui le soutiennent et le volume des OUI du referendum et que Mitterrand, mine de rien, fera trois millions de voix de plus que le nombre des suffrages favorables au NON lors du referendum...
Il y a donc eu des reclassements dès 1965 au sein de chaque famille politique, et il y a eu, aussi, une évolution de l'électorat.
Parce que, pour ceux qui l'auront noté, on est tout de même passé de 18,3 millions de bulletins validés en novembre 1962 lors des législatives à 24,2 millions en décembre 1965, ce qui veut tout de même dire que l'on compte à peu près 33 % de votants en plus...
Ce n'est pas rien et cela veut dire, notamment, que les générations plus nombreuses des années 40 commencent à parvenir à la citoyenneté, sans compter ( je comprends que cela en soit ainsi pour les moins de quarante ans d'aujourd'hui ) que la France des années 60 change, et change vite, notamment parce qu'elle s'urbanise et qu'elle s'urbanise partout...
Et que la France qui travaille est de moins en moins rurale et de plus en plus industrielle.
La suite au prochain numéro...