Elections de 1981

[vudeloin]

Revenons au sujet et parlons un peu du Parti socialiste, parce que, mine de rien, c'est tout de même ce parti qui a gagné les élections présidentielle et législatives du printemps 1981.

Nous rappellerons pour aller un peu vite que le 10 juin 1971, François Mitterrand, avec ses amis de la Convention des Institutions Républicaines, petit groupement politique de moins de 10 000 supporters, adhère au Parti socialiste en phase de constitution, sur la base du Nouveau Parti socialiste lancé deux ans avant au Congrès d'Issy les Moulineaux par Alain Savary et de la dissolution de l'ancienne SFIO de Guy Mollet...

Le même jour ou presque, dans les salons de l'hôtel «  Duc d'Enghien «  situé à peu de distance du gymnase Léo Lagrange d'Epinay où se déroule le Congrès de l'unité des socialistes, François Mitterrand reçoit l'accord de Pierre Mauroy, patron des socialistes du Nord et de la Fédération Léo Lagrange, de Gaston Defferre et de sa puissante fédération des Bouches du Rhône et du CERES, le club de réflexion et d'audace intellectuelle des jeunes loups du socialisme comme Jean Pierre Chevènement, Georges Sarre ou Didier Motchane pour devenir le lendemain le Premier secrétaire du nouveau Parti Socialiste.

Un homme politique, quelque peu expérimenté, se retrouve hors jeu dans cette affaire là : c'est Robespîerrot, c'est à dire Guy Mollet, dont la démarche politique va être nettement battue en brèche par un nouveau PS dont l'Union de la gauche constituera à la fois l'outil et la fin de l'action politique à venir.

La signature du Programme Commun de gouvernement, avec le PCF, rejoint ensuite par le Mouvement des Radicaux de Gauche, mais aussi par des organisations syndicales comme la CGT ou la FEN, constitue une première étape dans ce processus.

Le résultat encourageant des élections législatives de 1973, la performance du candidat unique de la gauche, François Mitterrand, en mai 1974, les succès aux cantonales de 1976 et aux municipales de 1977 ont constitué les jalons de l'avancée électorale pour le moins du Parti.

Pour autant, le PS a aussi connu un renforcement de son organisation, fondé en particulier sur l'adhésion massive de militants syndicaux et politiques venus d'ailleurs lors des Assises du socialisme en 1974.
Et singulièrement le ralliement d'une grande partie du PSU, en particulier de personnalités comme Michel Rocard ou encore Robert Chapuis.

Ces adhésions et ce renforcement ont conduit, pour ceux qui l'auraient oublié, à la structuration de courants divers au sein du Parti socialiste, dont l'émergence du «  rocardisme «  à la fin des années 70 et, spectaculairement, lors du Congrès de Metz en 1980, traduisent aussi des différences d'appréciation sur les voies politiques à mener pour parvenir au pouvoir ou les contenus à donner à l'alternative politique représentée par la gauche.

La montée en puissance du courant rocardien ( incarné par l'intéressé lui même, devenu maire de Conflans Sainte Honorine et député des Yvelines, mais aussi par des hommes comme Jean Pierre Sueur ou encore Alain Richard, ainsi qu'une bonne partie des adhérents et responsables socialistes de l'Ouest ou de l'Est de la France ) se traduit par un score relativement élevé de la motion Rocard lors du Congrès de Metz, où se pose même; de manière un peu insidieuse peut être, la question de la validité de la candidature de François Mitterrand pour 1981.

Point d'orgue de cette évolution : Michel Rocard annonce, depuis sa mairie de Conflans Sainte Honorine, sa candidature à l'élection présidentielle.

Mais rien n'arrête la volonté mitterrandienne qui annonce sa candidature, malgré tout, et emporte évidemment l'adhésion majoritaire des socialistes.

Notons aussi, en attendant la suite, que le candidat PS publia alors, pour constituer autant de réponses aux attentes présumées de l'électorat un ensemble de 110 propositions dont quelques unes sont devenues emblématiques de l'alternance politique ( abolition de la peine de mort ) et d'autres ont attendu un peu plus longtemps pour devenir réalité ( trente cinq heures par exemple )...

Mais on peut toutefois penser que sa victoire procède d'abord et avant tout d'avoir été le produit de l'émergence et du renforcement d'une organisation politique pour le moins mal en point jusqu'alors et dont le déclin avait été une réalité entre 1956 ( dernière année où la France avait voté en faveur d'un Premier ministre socialiste ) et 1971, le point le plus bas étant marqué par les 5,01 % de la candidature Defferre de 1969.

Peut être que l'aggiornamento du PS, épousant plus précisément ce qui montait dans l'opinion publique, cultivant notamment les champs idéologiques ouverts par les évènements de 1968, avait constitué l'élément principal du succès de 1981 et donné la preuve que, même tombé au plus bas, un parti, dès lors qu'il représente un courant d'opinion durablement présent dans les mentalités collectives, peut fort bien rebondir...

[vudeloin]

Comme nous sommes le 26 avril, replaçons nous trente ans en arrière et voici les résultats du premier tour de l’élection présidentielle.

Premier élément : la participation s’avère significative et dépasse les 80 %, signe évident de l’importance que l’électorat accorde à cette élection désormais cardinale dans le modèle institutionnel français.

Second élément : si le candidat sortant arrive en tête, il réalise une performance inférieure à celle qu’il attendait.

Pire même pour Valéry Giscard d’Estaing : alors qu’il a accordé le droit de vote à 18 ans ( ce qui n’a pas peu contribué à l’accroissement du nombre des électeurs inscrits de 30,6 millions en 1974 à 36,4 millions en 1981 ), il obtient un nombre de suffrages inférieur à celui réalisé le 5 mai 1974, lors du premier tour de l’élection faisant suite au décès de Georges Pompidou.

Troisième élément : une évolution sensible se fait sentir à gauche, où le candidat du PCF, Georges Marchais, enregistre une sensible réduction du nombre des voix communistes ( notamment au regard des législatives 1978 ) tandis que la primauté du PS, et de son candidat François Mitterrand s’affirme dès le premier tour.

En 1974, les résultats avaient été les suivants :

François Mitterrand avait obtenu 11 044 373 voix
Valéry Giscard d’Estaing 8 326 774
Jacques Chaban Delmas 3 857 728

A gauche, Arlette Laguiller avait obtenu 595 247 voix et Alain Krivine 93 990.
Le candidat écologiste ( le premier à se présenter, l’agronome René Dumont, auteur du fameux livre « L’Afrique Noire est mal partie « ) avait réuni 337 800 voix.

Au centre, Emile Muller, maire social démocrate de Mulhouse, avait obtenu 176 279 voix, tandis que les deux candidats fédéralistes européens Jean Claude Sebag et Guy Héraud avaient réalisé 42 007 et 19 255 voix.

Du côté des inclassables, le royaliste Bertrand Renouvin avait obtenu 43 722 voix, issus autant des milieux monarchistes légitimistes que d’électeurs disons divers gauche.

Enfin, à droite et à l’extrême droite, Jean Royer avait réalisé 810 540 voix, bien plus que Jean Marie Le Pen qui avait du se contenter de 190 921 suffrages.
Le 26 avril 1981, les résultats officiels, publiés dans le Journal Officiel du 30 avril, qui entérine les candidatures de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand pour le second tour sont les suivants :

Inscrits 36 398 859
Votants 29 516 082
Suffrages exprimés 29 038 036
Majorité absolue 14 519 019

Arlette Laguiller 668 057
Huguette Bouchardeau 321 344
Georges Marchais 4 456 932
François Mitterrand 7 505 960
Michel Crépeau 642 777

Brice Lalonde 1 126 254

Valéry Giscard d’Estaing 8 222 432
Jacques Chirac 5 225 846
Michel Debré 481 821
Marie France Garaud 386 623

Sur l’élection de 1974, la position de VGE est fragilisée : il fait en effet environ 100 000 voix de moins qu’au premier tour d’alors tandis que Chirac dépasse nettement le score de Chaban en réalisant près d’un million quatre cent mille voix de plus.

De plus, sur sa droite, le total Debré Garaud s’avère moins élevé que le total Royer Le Pen de 1974, montrant à la fois la capacité d’attraction de la candidature Chirac, relativement plus forte à droite que celle de Chaban en 1974 ( et cela doit sans doute beaucoup à l’engagement de Jacques Chirac en faveur de VGE alors ) et le fait que le score global de VGE est « bonifié « par l’absence de ces deux candidats non issus du courant gaulliste.

A gauche, outre le succès du candidat socialiste, la situation est aussi plus simple qu’en 1974.

Le 5 mai 1974, malgré le bon score de François Mitterrand, la gauche était restée en retard sur la droite pour environ 1,6 million de voix, écart qui se réduira au second tour par apport de nouveaux votants et sans doute le soutien de la majorité des électeurs de René Dumont.

En 1981, le total gauche atteint 13 595 070 voix tandis que le total droite 14 316 722 voix, soit une différence d’un peu plus de 720 000 voix, avec une difficulté de plus pour VGE : la droite ne dispose que de la majorité relative des bulletins exprimés et les trois autres candidats de droite présents sont en désaccord avec sa politique européenne.

La droite, si elle a rassemblé environ 1 million de nouveaux électeurs sur 1974, le doit donc à des candidats eurosceptiques tandis que la gauche a réuni plus d’1,8 million de nouveaux électeurs.

Comme en plus, Brice Lalonde a fait plus que tripler les voix de René Dumont, le second tour ouvre donc clairement une fenêtre de tir pour François Mitterrand.

[Jean-Philippe]

Je me souviens avoir entendu VGE raconter s'être fait passer pour un électeur gaulliste en quête de consigne de vote pendant l'entre deux tours. Il aurait téléphoné à une permanence du RPR de l'ouest parisien pour savoir ce qu'il fallait faire : alors qu'il disait hésiter pour le vote blanc, on lui aurait dit qu'il fallait voter Mitterrand.
C'est surprenant, mais je suis tenté de le croire.

[ploumploum]

@ Jean Philippe, selon wikipédia, Pierre Joxe aurait confirmé ce processus de voter pour Mitterrand, notamment en pouvant appeler des adhérents du RPR dont la liste était donné par Pasqua (ce qui parait aujourd'hui comme incroyable notamment avec le problème sur les primaires du PS)
Sinon je pense que cette histoire est plausible du fait du ton peu enthousiaste de Chirac lors de sa déclaration de consignes de vote (voir vidéo ) mais aussi de l'animosité entre les deux branches de la majorité et de la cassure entre VGE et Chirac depuis 1976
(Il me semble que VGE espérait mieux du 1 er tour, c'est à dire de dépasser la barre des 30 % que prévoyait pourtant les sondages)

[Zimmer]

selon wikipédia

Je constate qu'il est de plus en plus souvent fait référence à Wikipédia, sur ce forum, ce qui était très rarement le cas auparavant. Il faut faire attention à ne pas en abuser car ce n'est pas toujours une source d'information très précise et fiable.

Oui, il est de notoriété publique que certains dirigeants du RPR de l'époque auraient appelé en sous-main à voter Mitterrand le 10 mai 1981... tout comme certains dirigeants du PCF auraient prôné le vote Giscard d'Estaing (le fameux "vote révolutionnaire à droite"). Cela avait notamment été confirmé par Pierre Juquin, quelques années plus tard, après qu'il eût été exclu du PCF.

Dans la réalité, je pense et j'ai pu avoir quelques sources "issues du terrain" de part et d'autre, que la grande majorité des sympathisants du RPR comme du PCF, ainsi que celle des adhérents de base de ces deux partis, ont donné leur suffrage au candidat le plus proche de leur sensibilité (Giscard d'Estaing pour le RPR, Mitterrand pour le PCF). Du côté du RPR, il y avait aussi ce qu'on appelait des "gaullistes de gauche" qui ont appelé (eux, sans se cacher) à voter Mitterrand au second tour, mais c'était là davantage une affaire de convictions réelles que de stratégie dans un jeu de billard à trois bandes.

[vudeloin]

Comme j'ai tendance à penser qu'il faut regarder une certaine histoire politique par le bon bout, je vais me faire le plaisir de vous procurer la liste des résultats du premier comme du second tour par département ( ce qui donnera une première vision des choses ).
Ensuite, sur le vote révolutionnaire ( voter blanc au lieu de Mitterrand pour un adhérent du PCF ) ou le vote d'avenir ( voter pour Mitterrand quand on avait voté Chirac au premier tour ), je crois que tout cela est très, très secondaire...
Même si cela a pu arriver, pour des raisons qui appartiennent à chaque électeur dans le secret de l'isoloir, me semble t il...
Pour donner un exemple, peut être qu'il était difficile de voter Mitterrand pour un militant communiste qui avait connu la guerre d'Algérie, quand ledit Mitterrand avait été Ministre de l'Intérieur et de la Justice en disant ou en faisant, à l'époque, des choses parfaitement insupportables du point de vue de ce militant.
La même appréhension pouvait fort bien habiter un militant chiraquien profondément gaulliste se souvenant que les Républicains indépendants n'avaient pas forcément été très Résistants pendant la guerre de 39 -45, pas plus qu'ils n'avaient soutenu la régionlisation et la réforme du Sénat en 1969...
Mais nous verrons, chiffres et données en mains, ce que cela a pu donner.
Quant à Wikipédia, nous laisserons cette intéressante encyclopédie parfois un peu cyclopéenne ( j'y ai contribué sur certains sujets, donc...) là où elle est et nous essaierons, autant que possible, de nous faire notre idée sur tout cela...

[Zimmer]

Ensuite, sur le vote révolutionnaire ( voter blanc au lieu de Mitterrand pour un adhérent du PCF )

Autant pour moi... Concernant le PCF, c'est plutôt d'un vote blanc ou nul dont il était question, que d'un vote Giscard d'Estaing.

[vudeloin]

Pas de souci ZImmer, ensuite quelques militants ayant pris des coups de trique dans les années 50 parce qu'ils manifestaient contre la guerre d'Indochine ou celle d'Algérie, on peut comprendre qu'ils aient eu quelque réticence à voter Mitterrand, qui fut Ministre notamment au moment de l'affaire Maurice Audin ou de l'exécution de Fernand Yveton...
La culture politique est parfois affaire personnelle et la grande Histoire rejoint souvent l'histoire de la vie de chacun, ce qui peut motiver telle ou telle attitude à un moment donné.
Et, d'ailleurs, combien de ceux qui avaient voté Mitterrand sans problèmes et sans le moindre doute en 1981 ont pu en avoir en 1988 ?
Dans le même ordre d'idées, il y a sans doute quelques giscardiens qui, en 1988, n'ont pas reporté leurs voix sur Chirac au second tour, pensant ainsi lui faire payer la facture de 1981...
Personnellement, je ne condamne ni n'approuve aucun de ces choix qui participent du libre arbitre de l'électeur.
Mais tout cela, c'est un peu juste l'écume des choses, parce que les forces qui ont mené Mitterrand au pouvoir en 1981 étaient sans doute plus puissantes et plus dynamiques que l'image qu'on pourrait se faire d'une vaste machination d'appareils, le RPR appelant à faire battre Giscard en sous main et une partie de l'appareil du PCF ne votant pas Mitterrand.
Tout cela ne fut, in fine, que de peu de poids et joua sans doute sur quelques centièmes de pour cent.
Même si la Corrèze, ayant voté à 43 % au premier tour pour Chirac, mit Mitterrand en tête au second.
Question ; l'électorat chiraquien de Corrèze était il forcément de droite ?

[Zimmer]

Ce qui a été dit aussi, c'est que le PCF n'avait pas forcément intérêt à ce que la gauche arrive au pouvoir dans un contexte où il venait de se retrouver affaibli électoralement par rapport au PS. D'ailleurs, le déclin du PCF s'est poursuivi et accentué dans les années qui ont suivi 1981. De la même façon, la réélection éventuelle de Giscard d'Estaing n'était pas nécessairement souhaitable pour un Chirac qui visait alors le leadership à droite.

Nous sommes cependant d'accord sur ce qui suit.

Mais tout cela, c'est un peu juste l'écume des choses, parce que les forces qui ont mené Mitterrand au pouvoir en 1981 étaient sans doute plus puissantes et plus dynamiques que l'image qu'on pourrait se faire d'une vaste machination d'appareils, le RPR appelant à faire battre Giscard en sous main et une partie de l'appareil du PCF ne votant pas Mitterrand.
Tout cela ne fut, in fine, que de peu de poids et joua sans doute sur quelques centièmes de pour cent.

[marc joseph]

bien que je n' avais que 15 ans à l' époque je me souviens très bien de cette élection présidentielle !
une anecdote qui m' avait marqué :
France 3 marseille qui ouvre un soir à 19h00 avec des images du stade vélodrome empli par plus de 40 000 spectateurs , le tout avec un speaker qui annonce ' alors que l' OM viend d' être placé en liquidation judiciaire , Georges Marchais rassemble des dizaines de milliers de personnes au stade vélodrome !!'
je me souviens aussi du ballet des car affrétés par les militants PCF à quelques dizaines de mètres de chez moi , et enfin de la - devenue célèbre - réplique de Mitterrand lorsq'on lui demanda s'il prendrait ou non des ministres communistes dans son gouvernement : ' ce seront des ministres Français !!!