Imaginons l'après-Covid-19

[Marcy]

Selon Sophie des Déserts, dans un article paru sur "Paris Match", le chercheur Carlos Moreno avait fait une modélisation mathématique de la propagation du Covid19 et tenté - en vain - d'alerter l'Elysée, via un conseiller qu'il connaît (et qui a souhaité resté anonyme, on comprend aisément pourquoi : la discipline au sommet de l'Etat est quasi-militaire, on ne révèle pas les choix et les hésitations éventuelles de l'exécutif ; je reviendrai ensuite dans ce message sur le mythe du président-dieu tout puissant et infaillible) :

https://www.parismatch.com/Actu/Sante/C ... he-1681059

Si Carlos Moreno n'est pas le seul à avoir calculé la vitesse de diffusion du coronavirus (ce forum fait état d'autres études sur le même sujet), l'article me semble surtout intéresssant par ce qu'il révèle d'inaccessibilité du pouvoir : le médecin Philippe Klein, qui était à Wuhan, a eu aussi beaucoup de mal à se faire entendre - jusqu'à la décision de lancer le confinement, annoncée le 16 mars à 20h. Dit en termes simples, le gouvernement a longtemps fait le pari que les statistiques ne seraient pas aussi catastrophiques que l'estimaient certains chercheurs (et les précédents montraient ce qui était alors considéré comme une surréaction, en particulier pour la grippe H1N1) et qu'il fallait éviter une catastrophe économique perçue, elle, comme beaucoup plus certaine. C'est un pari que continue (toujours) de faire Jair Bolsonaro, malgré les précédents qui se multiplient dans de nombreux autres pays.

Tout d'abord, même si "Paris Match" n'est pas la revue la plus réputée pour des analyses scientifiques, Sophie des Déserts - que je suis un peu par ailleurs - fait un travail sérieux, malgré un goût pour les sujets sensationnalistes - mais la recherche du scoop est une tendance lourde des médias contemporains, sinon des médias tout court.

Je ne polémiquerai pas sur la réaction inadaptée et l'impréparation de l'exécutif français : cela a déjà été largement dit ailleurs.

Ce qui retient ici mon attention est l'inaccessibilité du pouvoir, pour moi renforcée par les (ou inhérente aux) mécanismes de la Cinquième République :
- un président quasi-monarque de droit divin par la grâce de l'élection au suffrage universel direct (et quelle élection : elle devient l'enjeu autour duquel tourne toute l'actualité politique, au moins un an avant le scrutin),
- une cour qui s'installe autour du président-dieu et sait que les porteurs de mauvaises nouvelles sont fusillés (professionnellement, s'entend),
- un système de coteries qui s'instaure, où les places sont attribuées non en fonction des compétences réelles mais des compétences apparentes (le titulaire du pouvoir, profane, est incapable de distinguer un bon spécialiste d'une discipline à laquelle il ne comprend rien, technicité oblige), des ambitions personnelles et de la proximité avec le président-dieu et ses apôtres - pour preuve les choix discutables et discutés des membres du conseil scientifique sur la pandémie,
- une professionnalisation de la vie politique plus forte en France que dans d'autres démocraties, où accède aux sommets un nombre toujours croissant de collaborateurs d'élus devenus élus eux-mêmes, dont la politique est ainsi l'unique métier, quitte à passer à la concurrence en cas d'ambitions frustrées.

Il y a des remèdes à ces dysfonctionnements :
- mettre fin à la présidentialisation du régime : dans beaucoup de démocraties, le Premier ministre est le vrai chef de l'exécutif, et il est issu de la majorité élue à la chambre basse, et dans quelques cas (comme l'Italie) doit avoir la confiance des deux chambre du Parlement ; le Parlement français pourrait devenir un vrai lieu de contre-pouvoirs, comme aux Etats-Unis, en lui rattachant la Cour des comptes ;
- instituer des mécanismes de démocratie directe (les nouvelles technologies rendent possible des consultations plus fréquentes et offrent des supports plus largement accessibles) et ne plus tout attendre d'un président-dieu tout puissant : la révocabilité des élus n'existe pas en France, pas plus que le référendum d'initiative populaire au sens strict du terme (alors qu'il est pratiqué en Suisse et en Italie) ;
- revoir le rapport entre l'expertise et la prise de décision démocratique, en créant une expertise issue plus largement des pairs, et non plus seulement du bon vouloir de quelques gouvernants : l'Académie de médecine n'aurait-elle pas été plus à même de choisir les membres du conseil scientifique, voire de choisir qui devait s'exprimer dans les médias plutôt le directeur général de la santé (nommé en Conseil des ministres) ou encore un Premier ministre flanqué d'experts ?

[alamo]

Ils ne désarment jamais (bis ) :

https://www.lepoint.fr/societe/coronavi ... 165_23.php

Pour mieux connaître le gugusse et le désigner par un terme simple, il y a ça...

https://www.affordance.info/mon_weblog/ ... ongue.html

Et il se défend à la fin en arguant d'un complot contre lui de la CGT du CHRU de Nancy. Tiens, pour une fois, ce n'est pas Poutine...
Encore une illustration du rôle se fossoyeur de la santé publique de l'ARS. Elle a même été constituée pour cela en 2009, il n'y a qu'à voir l'arrêt quasi complet des autorisations d'ouverture d'EHPAD, FAM, MAS, etc depuis le remplacement des CROSMS par l'ARS.
Au détriment de la santé et de la qualité de vie des personnes, mais aussi du budget à moyen terme, ces petits comptables n'ayant pas de vision allant au-delà du 31 décembre de l'année en cours, et d'autre horizon que le chiffre magique du déficit de Maastricht...

[pop03]

Dit en termes simples, le gouvernement a longtemps fait le pari que les statistiques ne seraient pas aussi catastrophiques que l'estimaient certains chercheurs (et les précédents montraient ce qui était alors considéré comme une surréaction, en particulier pour la grippe H1N1) et qu'il fallait éviter une catastrophe économique perçue, elle, comme beaucoup plus certaine.

Les comparaisons avec H1N1 sont insensées. Lors de la grippe H1N1, il existait non seulement un vaccin lors de la période d'épidémie en France mais il était en plus disponible. J'en avais d'ailleurs bénéficié. Si nous avions un vaccin disponible contre le Covid-19, ça ne ferait probablement même plus un sujet d'actualité sur un JT.

[Marcy]

Dit en termes simples, le gouvernement a longtemps fait le pari que les statistiques ne seraient pas aussi catastrophiques que l'estimaient certains chercheurs (et les précédents montraient ce qui était alors considéré comme une surréaction, en particulier pour la grippe H1N1) et qu'il fallait éviter une catastrophe économique perçue, elle, comme beaucoup plus certaine.

Les comparaisons avec H1N1 sont insensées. Lors de la grippe H1N1, il existait non seulement un vaccin lors de la période d'épidémie en France mais il était en plus disponible. J'en avais d'ailleurs bénéficié. Si nous avions un vaccin disponible contre le Covid-19, ça ne ferait probablement même plus un sujet d'actualité sur un JT.

Je suis d'accord, cela n'a pas de sens. Mais c'est la seule explication possible que je trouve (hormis une comparaison avec la grippe saisonnière, encore moins pertinente) à l'inertie observée.

[Ramdams]

Les Français jugent que la communication d’Emmanuel Macron à l’occasion de la crise du Coronavirus en France est médiocre et estiment que “nos sociétés ne pourront jamais fonctionner comme avant”. C’est en substance ce que révèle un sondage Odoxa-comfluence pour Les Echos et Radio classique, qui tente de mesurer l’attente de l’opinion avant l’allocution télévisée du chef de l’Etat prévue ce lundi peu après 20 heures.

L’institut a demandé à un échantillon de 1003 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus d’attribuer une note sur 20 à la communication du président et du gouvernement depuis le début de la crise. Le résultat est sans appel, puisque le chef de l’état et le gouvernement d’Edouard Philippe obtiennent la note de 9/20.

Les personnes interrogées sont également majoritairement convaincues que plus rien ne sera jamais comme avant. 61% des sondés pensent que nos sociétés “ne pourront plus jamais fonctionner comme avant et que notre rapport aux autres, à l’environnement, à la croissance, et à la mondialisation changeront profondément.” 38% cependant envisagent le contraire et avancent que rien ne sera fondamentalement modifié après la crise sanitaire.

Enfin, interrogés sur les relocalisations, l’autonomie agricole de la France ou encore la recherche, les personnes sondées souhaitent que le gouvernement “garantisse l’autonomie agricole de la France” (93%), “prenne des mesures en faveur de la relocalisation dans notre pays des entreprises industrielles françaises” (92%) ou encore “favorise la recherche et la production des laboratoires pharmaceutiques français et étrangers dans notre pays” (91%).

https://www.sudouest.fr/2020/04/13/les- ... 6-7527.php

Sondage complet

Parmi les enseignements qu'on peut retenir de ce sondage, le retour en grâce de l'Union européenne puisqu'ils sont 76 % à penser que le président devrait donner une nouvelle impulsion au projet européen. Ce n'est pas vraiment une surprise pour moi mais cela contredit ceux qui voyaient dans la gestion, objectivement mauvaise, de la crise du coronavirus par l'UE la mort annoncée de celle-ci. Mais pour ce faire, il faudra rompre avec l'orthodoxie budgétaire. Si on se projette plus loin, cela peut être de mauvais augure pour les partis eurosceptiques.

Puisqu'on est dans la politique fiction, la crise réhabilite également le chantre du made in France, Arnaud Montebourg, qui pourrait bien tenter un retour sur la scène politique, fort de son expérience dans le privé. Et obtenir éventuellement le soutien de Mélenchon, qui partage avec lui le souhait d'une VIe République.

Retour en grâce aussi de l'Etat-providence. L'expérience que s'apprêtent à faire les Etats-Unis, avec leur système de santé privatisé peu adapté et peu préparé à pandémie d'une telle ampleur, risque d'être enrichissante si j'ose dire. La délocalisation des usines peut ainsi réhabiliter - au moins dans l'opinion publique, pas au sein du gouvernement - l'idée de nationalisations.

Je ne pense pas que le gouvernement actuel bénéficiera outre mesure de cette crise, sans pour autant en pâtir lourdement. Il pourra toujours bénéficier de son très solide socle de soutiens. Mais il me paraît désormais difficile de tenir le cap des réformes à tout-va :
- La privatisation d'ADP est abandonnée ou du moins renvoyée aux calendes grecques, vu l'état dans lequel se trouve le secteur aérien en ce moment. Une victoire par procuration du million de pétitionnaires.
- La réforme des retraites est elle aussi mise en suspens, d'autant plus si le gouvernement se met à dos la CFDT, qui trouve indécedent l'appel à travailler après le confinement.
- La réforme de l'assurance chômage est repoussée à septembre risque également d'être fortement bousculée et le gouvernement peut s'estimer heureux de ne pas l'avoir adoptée plus tôt. Celle-ci prévoyait un durcissement des conditions d'obtention du chômage et la baisse des allocations, ces conditions ayant été définies durant la crise de 2009. Le gouvernement considérait alors que le contexte avait évolué favorablement... le coronavirus mettra cependant sur le carreau de nombreux Français dès cet automne.

Bref, le gouvernement devra marcher sur les oeufs et apprendre à communiquer, en recadrant des maillons faibles comme Sibeth Ndiaye et le préfet Lallement qui s'amusent à mettre de l'huile sur le feu. En outre, toute injonction à travailler plus sera forcément mal perçue, surtout si on demande aux salariés de travailler 60 heures alors que dans le même temps, les grandes entreprises continuent d'échapper à cet "effort national", en s'acquittant d'un impôt dérisoire.

Le pendant négatif de cette crise, c'est qu'elle risque d'être un moteur pour ceux qui promeuvent l'autoritarisme, l'homme fort et l'efficacité au détriment de la démocratie, du consensus, du compromis. La Chine peut servir d'exemple à certains... même si tous les Etats autoritaires n'ont pas été aussi efficaces : Iran, Turquie...

[pba]

Deux points de vue montrant que la "sortie de crise "ne sera paut être pas celle que certains prônent ou imaginent :
https://usbeketrica.com/article/covid-1 ... e-delicate
http://www.slate.fr/story/189357/corona ... dressement

Davantage d'écologie versus davantage d'économie ??

[Ramdams]

Il est en effet difficile d'esquisser une tendance vers l'une ou l'autre hypothèse : sur le papier, tout accrédite les postulats des écologistes quant à un monde mondialisé incontrôlé qui se développe au mépris de la nature. Mais de cette crise peuvent bien au contraire sortir gagnants l'agriculture productiviste, qui peut jouer sur la nécessité de son modèle pour garantir la satieté pour tous par rapport à l'agriculture biologique encore considérée comme moins productive, et plus généralement les enjeux socio-économiques pourront avoir la peau de la nécessité écologique.

Selon une enquête Ipsos dans la Chine de l'après-confinement, les transports en commun hier plébiscités ont cédé leur place à la voiture individuelle, comme en témoigne ce tweet. L'appellation "Two-wheeled Vehicle" réfère sans doute autant aux deux roues motorisés qu'au vélo. Le traumatisme de la contamination explique surtout cette ruée vers la voiture individuelle, à voir si cela perdura.

Tout dépendra finalement de l'ampleur de la crise économique, de la capacité à financer ou non la transition écologique. L'opposition d'hier, qu'on avait au moins en France, entre partisans de la mondialisation heureuse et nationaux-eurosceptiques, fera sans nul doute place, en effet, à cette opposition entre Urgence économique VS Urgence écologique.

[alamo]

Tout arrive.
Même un banquier stausskahnien qui cite Lénine.
Les voies du coronavirus sont impénétrables... ;-D

Très bon article en tout cas...

https://www.lesechos.fr/finance-marches ... h-20200424