BernardD a écrit:Enfin, hier 30 mars,au Royaume-Uni,l'équipe COVID 19 d'Impérial Collège a diffusé une estimation, pour 11 pays européens significativement touchés à ce jour:
- du R0 initial,avant le confinement, et du R0 après le confinement;
- du nombre de personnes infectées au 28 mars;
- de l'impact de contremesures prises (diverses variantes de confinement), via le nombre de morts évités.
https://www.imperial.ac.uk/media/imperi ... 3-2020.pdfCette estimation se base sur l'information donnée par la courbe des décès dans chacun des 11 pays (surtout Italie et Espagne), en intégrant le délai moyen de 3 semaines (essentiellement entre 15 jours et un mois) entre infection et décès.
Concernant la contagiosité initiale du virus, elle estime le R0 initial à un niveau très élevé (un peu moins de 4) et donc un nombre élevé de personnes infectées (au 28 mars);c'est une bonne nouvelle pour 99 % des intéressés et une beaucoup moins bonne pour les autres:
- Italie: 9.8 % soit 5.9 millions
- Espagne: 15 % soit 6.9 millions
- France: 3 % soit 2 millions
- R.U. : 2.7 % soit 1.8 millions
- Allemagne: 0.7 % soit 600 000
Mais le plus notable dans cette étude est qu'elle évalue à peine en dessous de 1 (0.97) le R0 après confinement; autrement dit, l'épidémie ne s'éteint que très très lentement,malgré le confinement; ce résultat est cependant à prendre avec prudence; compte-tenu du délai de 2 à 4 semaines entre infection et décès, ce n'est qu'à partir de mi-avril que l'on connaîtra vraiment l'efficacité du confinement.
Par ailleurs, si en valeur absolue, ces nombres sont entachés d'une forte incertitude (pour la France,fourchette entre 700 000 et 5 millions), il me semble que le ratio du nombre des contaminés dans chaque pays rapporté au nombre italien peut constituer un bon indicateur de ce que sera le bilan final de l' épidémie:
- Espagne: même ordre de grandeur que l'Italie, voire un peu supérieur;
- France: 1/3 du bilan italien
- R.U.: même ordre de grandeur que pour la France
- Allemagne: 30 % du bilan français.
En valeurs absolues, si les résultats de cette étude devaient se confirmer dans les prochaines semaines,et en supposant le confinement efficace, avec un taux de létalité de 1%, le bilan total pourrait donc s'élever à environ:
- 60 000 décès en Italie et Espagne;
- 20 000 décès en France et en Grande-Bretagne;
- 6 000 décès en Allemagne.
Il reste l'espoir lié aux incertitudes et au fait que, par le passé, les modèles se sont beaucoup trompés...
On verra pour le nombre de morts à la fin mais étant donné le timing des mesures et la dynamique initiale de l'épidémie, ces ratios relatifs entre les différents pays me semblent tout à fait crédibles. Je note aussi que l'étude semble bien indiquer la contagiosité (sans mesure) est bien supérieure à ce qu'on avait pensé initialement : on était plutôt sur des estimés de 2-3 sur le R0 alors que là , on est plutôt sur du 3-4.
Je voudrais revenir sur la conclusion du papier sur le fait que le R0 post-confinement pourrait rester supérieur à 1. J'avoue que j'ai été un peu surpris par cette conclusion donc je suis allé regarder le papier et le modèle.
Déjà , on doit préciser qu'un R0 post-confinement de 1 est toujours dans l'intervalle de confiance à 95% et quasiment tout le temps dans l'intervalle de confiance à 50% (il n'y a que l'Espagne qui fait exception). Donc, je pense déjà qu'il faut être raisonnable sur la portée de la conclusion : globalement, il se pourrait très bien que le R0 post-confinement soit inférieur à 1. A ce stade, même avec cette étude, on ne sait pas.
Ensuite, au delà de ça, je suis allé regarder le modèle. En substance, ils ont un modèle de diffusion standard de l'épidémie avec des paramètres pour contrôler les durées d'incubation, de décès post-incubation ainsi que le temps d'attente pour infecter un autre individu quand on est soi-même infecté. A partir de ça et d'un R0, ils simulent le nombre de morts et ajustent le R0 pour que le nombre de morts simulés corresponde au nombre de morts observés (pour chaque pays). Ensuite, l'hypothèse est que le R0 varie dans le temps seulement en fonction du timing de mise en oeuvre des mesures sanitaires (qui affectent proportionnellement le R0). Comme on n'a pas assez de profondeur de données, ce qu'ils font, c'est qu'ils supposent que l'impact sur le R0 des mesures sanitaires est uniforme entre les pays (impact proportionnel) et estiment cet impact sur les pays qui sont en avance (où l'on a plus de profondeur de données) pour ensuite faire les projections des R0 post-confinement sur les autres pays. Le dernier paramètre variant par pays est le R0 initial qui contrôle la dynamique initiale de l'épidémie avant toute mesure. Vu les données disponibles (puisqu'ils se basent sur le nombre de morts et non le nombre de cas), ça signifie que l'impact des mesures sanitaires est essentiellement déterminé par les données italiennes.
J'ai deux remarques sur le modèle qui, à mon avis, doivent faire prendre un peu les conclusions sur le R0 post-confinement supérieur à 1 avec des pincettes. Déjà , leurs hypothèses générales sur le modèle de diffusion sur les différentes durées et temps d'attente me semblent tout à fait raisonnables et conformes à ce que l'on peut lire par ailleurs.
En revanche, même si je ne suis pas plus familier que cela avec cette littérature, il me semble que l'hypothèse de modélisation sur la diffusion de l'épidémie a tendance à surévaluer la dynamique : en effet, ils supposent qu'à l'exception des mesures sanitaires, le R0 est constant dans le temps et détermine le nombre de nouveaux cas à partir du nombre de cas contagieux. Aux premiers stades de l'épidémie, c'est une bonne approximation mais à partir d'un certain moment, ça a tendance à surestimer le nombre de cas car on ne peut pas réinfecter des individus guéris (qui sont globalement immunisés). Le R0 a donc tendance à diminuer naturellement dans le temps (du fait de cette immunisation partielle de la population), ce qui n'est pas le cas ici. Alors pour les pays qui vont avoir moins de 5% de contaminés, je pense que ça n'est pas trop problématique mais comme les données intéressantes sont estimés essentiellement sur l'Italie dont ils mettent le taux d'affectés à 10% (et aussi l'Espagne où ils estiment à 15%), ça peut être problématique.
Deuxième chose, je ne suis pas forcément convaincu par l'hypothèse qu'ils font sur l'impact des mesures sanitaires sur le R0. Leur hypothèse est que cet impact est proportionnel alors que mon intuition est tout aussi bien que ça pourrait avoir un impact croissant avec le niveau de R0 initial. Par exemple, on peut faire l'hypothèse que le R0 initial est essentiellement déterminé par le nombre de contacts (et leur intensité) dans la vie extra-familiale et intra-familiale (appelons ça la vie sociale). Ensuite, si on pense que la vie extra-familiale est disproportionnellement plus importante par rapport à la vie familiale dans les pays dans lesquels la vie sociale est (en valeur absolue) plus importante et que les mesures sanitaires impactent proportionnellement l'intensité de la vie sociale dans tous les pays (sans affecter particulièrement la vie familiale), alors on aura ce type d'effets. Et ça ne me semble pas absurde comme hypothèse (même s'il faudrait vérifier). Si c'est le cas, vu que les données sont estimées sur l'Italie qui a un niveau de R0 initial relativement faible par rapport aux autres pays, ça voudrait dire que le modèle sous-estime l'impact des mesures sur R0 des pays dont le R0 initial est plus élevé que l'Italie (dont la France, l'Allemagne et l'Espagne). Or, ce sont précisément les pays dans lesquels le R0 post-confinement estimé (enfin, le point central de l'intervalle de confiance) est le plus élevé (et est supérieur à 1)