Corondar a écrit:Mais est ce que tous les électeurs soutenant le brexit soutiennent le même brexit ? Honnêtement, je ne le crois pas. Là où les remainers se rallient sur une vision plus simple, car concrète (j'entends par là, la défense d'un projet bien identifié, puisque déjà existant : l'Union Européenne), et donc partagée par ceux favorables au remain.
Je vous invite à lire ce sondage particulièrement instructif sur la distribution des préférences de la population britannique sur l'issue du Brexit (avec le détail en fonction du vote au référendum) :
https://yougov.co.uk/topics/politics/ar ... dian_voterJe simplifie un peu l'exposition pour plus de lisibilité. Si on demande aux gens s'ils acceptent ou rejettent les différentes propositions (no deal, May's deal, Soft Brexit deal, Remain), ça donne les choses suivantes :
* Chez les remainers :
- No deal : 10% (accepte) / 82% (rejette) => delta : -72%
- May's deal : 46% (accepte) / 42% (rejette) => delta : +4%
- Soft Brexit deal : 70% (accepte) / 18% (rejette) => delta : +52%
- Remain : 80% (accepte) / 13% (rejette) => delta : +67%
* Chez les leavers :
- No deal : 73% (accepte) / 17% (rejette) => delta : +56%
- May's deal : 40% (accepte) / 46% (rejette) => delta : -6%
- Soft Brexit deal : 42% (accepte) / 43% (rejette) => delta : -1%
- Remain : 15% (accepte) / 77% (rejette) => delta : -62%
* Dans la population britannique en général :
- No deal : 38% (accepte) / 49% (rejette) => delta : -11%
- May's deal : 44% (accepte) / 38% (rejette) => delta : +6%
- Soft Brexit deal : 54% (accepte) / 27% (rejette) => delta : +27%
- Remain : 47% (accepte) / 41% (rejette) => delta : +6%
(Je signale que tous les sondages du même genre pointe vers la même conclusion.)
Ce qu'on observe, c'est donc que l'option préférée des remainers est de rester dans l'UE et l'option préférée des leavers est de sortir sans accord. Par ailleurs, on remarque que les leavers n'ont pas d'avis très arrêté sur la forme d'accord à passer si accord il y a (entre une forme plus dure ou moins dure de Brexit). De ce fait là, l'électeur médian pointe plutôt vers un Brexit doux car les remainers ont, au contraire, une forte préférence pour cette forme de Brexit par rapport à un Brexit dur. Donc, ça devrait être cette forme là de Brexit qui devrait être mise en oeuvre. Sauf que chaque camp tire la couverture à soi (soit vers le no deal, soit vers le remain) vu la distribution des préférences au sein de chaque camp (et de chaque parti)... En effet, il est clair que l'option de compromis est clairement sous-optimale par rapport aux deux options extrêmes : il est clair que rester lié à l'UE d'un point de vue réglementaire (d'une manière ou d'un autre) sans avoir de voix au chapitre pour l'élaboration des règles est problématique que l'on doit leaver (les bénéfices du Brexit sont obérés, par exemple sur la passation d'accords de libre échange) ou remainers (on ne peut plus influencer directement les décisions européennes). De surcroît, vu que la position médiane est le soft Brexit, il faudrait que les remainers acceptent qu'ils ont perdu (ce qu'ils n'ont pas toujours fait) mais qu'ils vont gagner sous une autre forme et que les leavers acceptent que, bien qu'ils aient gagné, ils vont finalement perdre car ils n'auront pas le Brexit que la majorité d'entre eux imaginait : autrement dit, ça générerait pas mal de frustrations.
Enfin, je ne vois pas bien comment une élection générale pourrait régler ce problème : vu la distribution des préférences et le mode de scrutin majoritaire, chaque parti a intérêt à se présenter comme le parti d'un seul camp. S'il ne le fait pas, il va diviser son camp et perdre. Mais comme les positions entre remainers et leavers sont assez équilibrées, aucun parti ne peut avoir la majorité dans ces conditions... Aujourd'hui, les Torys sont devant dans les sondages (et Farage a expliqué que, si Johnson promettait un no deal, le Brexit Party ne serait pas candidat contre les conservateurs) et le camp du remain est divisé mais je prends les paris que ça changera à l'annonce et l'approche d'élections. Ca a d'ailleurs déjà commencé : dans les derniers sondages, les Libdems baissent au bénéfice du Labour. Il faut se rappeler que c'est ce qui s'est déjà passé en 2017 : il y a eu un fort vote utile des Remainers vers le Labour (avec des circonscriptions bourgeoises conservatrices de toute éternité basculant pour le Labour : Canterbury, Kensington).
A mon sens, cette indécision ne peut finir que de 2 façons :
- soit l'UE débranche les choses et refuse une prolongation, ce qui finit par un no deal, mais je doute que l'UE fasse cela à cause des conséquences politiques probables en Irlande (et du fait qu'en réalité, c'est l'option la moins souhaitable pour l'opinion publique britannique - ce qui n'est pas très malin si on veut maintenir des relations de bon voisinage...)
- soit les hommes politiques décident, après avoir épuisé toutes les options (dont celle des élections), d'organiser un référendum pour trancher entre les 3 ou 4 options mais ça doit être fait de manière non biaisée (un vote à la Condorcet, par exemple) pour que ça fasse le plus consensus. Autant dire que c'est pas gagné...