de DonaldDuck007 » Sam 2 Mar 2019 10:23
Bonjour à tous et à toutes.
Sur la gratuité des transports en commun, je vois trois angles, spontanément :
1) Est-ce viable économiquement ? Au-delà des idées préconçues.
2) Qu'implique la gratuité d'un service sur le comportement de l'usager ? Génère-t-elle une négligence du service ?
3) Est-ce une question de fond ou une question subsidiaire ? Le rôle de la gratuité des transports en commun dans les enjeux sociétaux.
1) L'approche économique.
Quelques précédents, si vous en avez d'autres ou si vous avez des correctifs, je suis tout ouïe, le débat est passionnant et je le maîtrise assez mal.
Des villes en Allemagne, la capitale d'Estonie, Dunkerque, des villes américaines qui en sont revenues etc. Problème, comparaison n'est pas raison et il faudrait intégrer les caractéristiques propres à chaque ville (démographie etc.), le rôle de la périphérie etc pour réussir à tirer quelque chose de comparaisons parfois grossières.
Donc les comparaisons sont difficiles. Mais elles peuvent dire des choses.
Si on réfléchit au coût des transports en commun (trains, métros, tram, bus) en ile-de-France, on obtient, selon le calcul d’Île-de-France mobilités, 10 milliards d'euros par an avec un financement à hauteur de 28% par les usagers (tickets, forfaits navigo).
Si je comprends bien, on retire donc au max 2,8 milliards d'€ (si on parle de gratuité totale) qu'il faudrait aller chercher ailleurs. Le reste du financement est assuré par les collectivités (toujours selon Île-de-France mobilités), le versement transport (employeurs) et les recettes d'exploitation. Donc où irait-on chercher les 2,8 milliards max ? Soit dans les collectivités, soit dans une diversification encore des recettes d'exploitation ? Une augmentation du versement transport ? Ou encore la compensation irait voir tout ailleurs, à l'époque et avant de se dédire Hidalgo parlait d'un péage à l'entrée de la ville. Bref, compenser c'est le mot d'ordre.
Donc la gratuité aurait ici un doux nom pour une réalité plus complexe, puisque par l'effet d'une compensation, il faudra payer, pour quelqu'un à un moment ou un autre. Ça fait un peu penser au concept de subventions croisées (ce que tu payes moins pour un service, tu le payes en plus pour un autre). Et c'est là où je trouve le débat un peu pervers.
La gratuité, dans un monde parfait, c'est génial. Mais dans un système où la création d'une offre suppose un coût, c'est vite trompeur et les mots cachent une autre réalité.
La gratuité pourrait se financer par les publicités, par des places offertes aux annonceurs, un peu comme une partie du financement de la presse. Ce qui interpelle sur l'indépendance du service et le confort de l'usager. Si la chose publique est prise dans le tourbillon d'intérêts fortement privés, on peut craindre des conséquences à terme. Des partis pris difficilement conciliables avec l'intérêt commun. Des intérêts privés multiples ne peuvent aboutir, comme par magie, à un intérêt commun, même les libéraux n'y croient plus. Le jeu des interactions est trop complexe pour croire à un systématisme du processus.
Donc à priori, la gratuité n'a de gratuit que le nom... Bah pas si sûr non plus...
Pour revenir sur les comparaisons avec les autres villes ayant opté pour la gratuité, voyons le cas de la capitale d'Estonie. Même si il faut, je le répète, se méfier des comparaisons.
Donc Tallinn. La gratuité des transports en commun a permis une hausse de la fréquentation des transports et une croissance démographique de la ville, donc plus de recettes fiscales pour la ville et potentiellement plus de recettes pour les commerçants. Avec un bénéfice écologique probable si la voiture a été moins utilisée. Mais ça reste des suppositions, sauf si des études ont été menées pour mesurer ces impacts. Donc ici, nous ne sommes plus dans une utilisation trompeuse du mot gratuité, puisque, apparemment, le coût de la mesure se répercute sur de nouvelles entrées fiscales et retombées pour le secteur privé (nouvel argument d'ailleurs pour dire que la dépense publique peut tout à fait aider le secteur privé). Et non sur des subventions croisées ou autres. On ne paye pas plus un autre service.
Mais l'exemple de Tallinn semble particulier et difficilement transposable, d'autres villes états-uniennes (Portland) ont vu un trou dans les caisses publiques, idem en Belgique (Hasselt), obligeant tout ce petit monde à revoir la copie et revenir à une version payante ou graduée.
A Niort comme à Châteauroux, apparemment, la fréquentation des transports en commun a été revue à la hausse. Mais ici des associations (FNAUT) ont relevé une augmentation du versement transport. Donc du paiement par les employeurs. On retrouve la bizarrerie de la gratuité...
Bref, du point de vue de l'économie, espérer une rentabilité et un investissement sur l'avenir avec la gratuité est une sorte de pari à risque. Résultat un peu aléatoire.
Après on peut questionner plus largement le rôle de la dette publique (à l'échelle des collectivités). Est-ce vraiment un problème ou pas, selon de qui détient la dette et des actifs détenus par la collectivité. Et selon comment l’État réagit face à cela.
On peut aussi s'interroger sur le caractère honnête de la mesure. Gratuité, vraiment ? Ou subventions croisées, plutôt ?
2) Gratuité et comportement de l'usager
C'est la question de l'incivilité, notamment. L'argument moral, ici, j'ai l'impression.
Difficile de répondre de manière catégorique si on postule que l'être humain est pluriel et complexe dans sa personnalité et ses réactions.
La référence que j'aie ici, c'est l'étude sur Dunkerque. Certains me diront, pas la même population. Paris, c'est particulier. Etc. Possible. Mais impossible à savoir, sauf à tester.
En 2017 a été rendu un rapport d'enquête de 3 ans sur les conséquences de la gratuité sur le comportement des usagers. L'étude a été menée par le chercheur Henri Briche. Et d'après le chercheur, la gratuité a réduit les incivilités de 59 % depuis 2015 (départ de l'étude). Un pourcentage constaté grâce aux chiffres compilés par la Société des transports de Dunkerque et extensions (STDE).
Le chercheur relève même un effet social de la mesure. Notamment chez les jeunes générations pour qui le transport en voiture peut être relativement coûteux, proportionnellement à leurs finances. La gratuité entraînant donc un vent de liberté, en termes de mobilité.
L'exemple de Dunkerque empêche d'établir une causalité entre gratuité du service public et négligence ou incivilité chez les usagers-ères. Peut-être me manque-t-il des données, des études qui prouvent le contraire, mais l'exemple de Dunkerque ouvre une autre voie. A approfondir avant de généraliser, bien sûr.
3) Gratuité, question de fond ou question subsidiaire ?
Je vois 2 manières d'appréhender cette partie, soit en recentrant la gratuité des transports en commun dans une politique plus large de transports et de mobilité, soit en partant sur les raisons qui poussent certain-e-s à réfléchir à une politique de la gratuité pour comprendre si le traitement de la question ne se fait pas à une autre échelle.
Je commence par la deuxième hypothèse relative aux arguments de celles et ceux qui promeuvent la gratuité.
On trouve quoi comme arguments ?
Argument écologique (moins d'utilisation de voitures individuelles) ?
Argument politique (le service public doit être gratuit parce qu'il défend l'intérêt commun) ?
Argument social (gratuité partielle pour les catégories les plus démunies) ?
Autres sortes d'argumentation ? Lesquelles ?
L'argument écologique demande à mettre sur la table toutes les possibilités de réduire l'empreinte carbone et donc même nos moyens de production économique. Et ça impose des actions globales et contraignantes quand on voit avec quelle facilité les États se détournent (cf. Etats-Unis et Trump). La gratuité des transports en commun est-elle vraiment une solution face à un enjeu mondial et qui se traduit par tellement de manières... Je trouve que le débat mérite d'être posé sur les manières de réduire l'empreinte carbone.
L'argument politique rejoint la dimension citoyenne, à mon sens. Aujourd'hui on entend beaucoup parler du RIC avec les gilets jaunes ou des community organizing avec les chercheurs comme Julien Talpin. Pareillement le débat exige qu'on joue carte sur table sur comment rendre la politique plus proche des concitoyens et comment la relégitimer à leurs yeux (justice procédurale, décisions publiques transparentes et compréhensibles).
Une gratuité du transport public, partielle ou totale, j'ai peur en termes d'approche politique, que ça fasse plus gadget par rapport à tout ce qu'on pourrait entrevoir pour intégrer le citoyen à la décision politique ou pour rendre plus légitime la décision publique. Si encore c'était une demande citoyenne et que cela conduise au débat, à l'argumentation, ok. Mais là c'est une volonté venue d'en haut.
L'argument social me paraît plus compréhensible et se traduirait donc plus par une gratuité partielle pour toucher les personnes étant les plus démunies. Mais je me demande si cette gratuité partielle n'agirait pas plus en palliatif face à une inégalité des situations qui doit plus à des structures profondes.
Je crois en l'importance des structures sociales et dans une conception dynamique de la classe sociale, relationnelle. C'est-à -dire que c'est dans les interactions, les relations entre les individus et entre les individus et les structures que se construisent les catégories sociales. A titre de référence et pour ne plus trop m'étaler, cf. l'étude de Seth Prins et Lisa Bates de 2015.
Donc agir sur la gratuité partielle, ça peut être intéressant dans une optique de rectifier le tir, mais ça ne joue pas du tout sur le fond du problème, je crois, sur la structure sociale même. Ce qui réclame un autre échelon d'analyse.
Enfin et je termine ici, penser la gratuité des transports en commun, peut, peut-être, s'inscrire dans une politique plus large de la mobilité urbaine. Si il s'agit de re-dynamiser l'offre des transports en commun, on peut réfléchir à un bouquet de services, divers et à une transition vers d'autres formes de motorisation (électrique, hydrogène etc.). Réfléchir à comment promouvoir d'autres sortes de mobilité comme le vélo. C'est l'idée aussi de voir comment dépoussiérer le infrastructures, sans perdre à l'esprit le financement. Réfléchir à comment satisfaire une demande de mobilité et de propreté.
Voilà , je suis pas contre en soi. Mais je trouve que la gratuité pose plus de questions qu'elle n'en résout.
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ploumploum le Sam 16 Mar 2019 19:21, édité 1 fois.
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