Le 1er tour des élections présidentielles se tenait ce dimanche 31 mars en Ukraine.
Selon les résultats quasi- définitifs (96,03% des bulletins dépouillés), le comique Volodymir Zelinsky arrive en tête avec 30,22% des suffrages. Sans expérience politique, il se classe plutôt dans le camp des "pro-Maïdan", qui regardent vers l'OTAN et l'UE. Bien que soutenu par l'oligarque Kolmoïsky, financeur de nombreuses milices d'extrême-droite, son discours nationaliste reste assez modéré.
Il affrontera au second tour le président sortant, le très impopulaire Petro Porochenko, dont le parti est affilié au PPE, qui a fait une campagne très à droite (15,94%).
L'éternelle candidate Ioulia Timochenko, ancienne "princesse du gaz", autre nationaliste de droite "pro-Maïdan", mais réputée assez opportuniste qui, elle aussi, s'est enrichie de façon douteuse après la chute de l'URSS, se classe 3e avec 13,39%.
Vient ensuite, avec 11,61% le "pro-russe" Iouri Boïko, principal candidat issu de l'éclatement de l'ex-parti des régions du président Ianoukovitch, renversé en 2014 par le mouvement du Maïdan. Sa sensibilité est vaguement social-libérale, hostile à l'entrée dans l'OTAN, et est réputée défendre les intérêts des russophones.
Anatoli Hrystenko, nationaliste de droite, dont le parti est affilié aux libéraux, fait 6,94%.
Ihor Smechenko, ancien chef des services de sécurité, obtient 6%.
Oleg Liaschko, candidat du parti radical (rien à voir avec nos "rad-soc", c'est un parti d'extrême-droite), récolte 5,47%.
Oleksandr Vikul, autre ancien du parti des régions, récolte 4,18%. Le bloc désigné de façon assez caricaturale comme "pro-Russe" peut d'ailleurs nourrir quelques regrets, puisque l'addition de leurs scores atteint le niveau de Porochenko... Si j'ai bien compris, les "frères ennemis" seraient soutenus par deux oligarques rivaux.
Le candidat de Svoboda, extrême-droite issue du néo-nazisme, obtient 1,64%, sans que l'influence de cette mouvance ne puisse être réduite à ce score, puisque nombre de ses adeptes se sont reclassés dans des formations affiliées à la droite classique.
On notera que le vote a été, comme traditionnellement dans le pays, réparti de façon extrêmemement inégale, en fonction du clivage géographico-lingustique. Inexistant à l'ouest du pays, Boïko arrive en tête dans les Oblast de Donestk et Lougansk, bastions russophones du Donbass ... (amputés des républiques sécessionistes) et fait de bons scores dans les régions russophones du sud-est, où il arrive généralement second. Mais il est pratiquement inexistant à l'ouest. Les nombreux candidats de la droite nationaliste pro-Maïdan et de l'extrême-droite, à l'inverse, font des scores modestes dans ces régions, mais dominent très largement dans le reste du pays.
Les Oblast de Galicie, région catholique qui fut longtemps polonaise et constitue, pour des raisons historiques, un bastion de droite dure et d'extrême-droite fanatiquement anti-communiste, se distingue en plaçant en tête non Zelenski mais Porochenko (Lviv et Ternopil) ou Timochenko (Ivano-Frankisvk). Ces régions sont tellement monolithiques qu'il est déjà arrivé qu'à elle seules elles pèsent très lourd dans la balance. C'était le cas en 1999, où leur vote quasi-unanime en faveur de Koutchma, contre le candidat communiste, lui a permis de creuser l'écart, là où dans le centre et le sud-est du pays le rapport de force ressemblait plutôt aux second tours classiques qu'on voit chez nous. Lors des législatives de 2014, dernier scrutin où il a pu participer avant son interdiction par le pouvoir nationaliste, le parti communiste a aussi du en bonne partie son passage sous les seuil minimum pour avoir des élus (opportunément relevé à 5% des exprimés...) aux trois oblast de Galicie.
Zelenski obtient globalement ses meilleurs scores dans les régions russophones du sud-est (hors Donetsk et Lougansk), où il fait souvent plus de 40%.
Pour donner une idée de l'extrême polarisation politique des régions ukrainiennes (on parle bien de régions, l'échelle est quelques dizaines de milliers de km² et plusieurs millions d'habitants), les scores de Zelenski s'y échelonnent de 11,97% à 45,34%, ceux de Porochenko de 6,75% à 35,33%, ceux de Timochenko de 3,62% à 22,58%, et ceux de Boïko de 1,04% à 43,16% (!!). Le phénomène n'a rien de nouveau, les candidats du parti des régions faisaient avant le Maïdan des scores quasi-staliniens à Donestk et Lougansk, tandis que les "pro-occidentaux" de droite et d'extrême-droite raflaient déjà pratiquement tous les suffrages (plus de 80 ou 90%) en Galicie.
La source des résultats est ici:
https://www.cvk.gov.ua/pls/vp2019/wp302pt001f01=719pt021f01=216.html. Je ne parle pas Ukrainien, mais un petit va et vient avec Wikipedia qui cite toujours les noms propres (personnes et régions) dans leur langue permet de s'y répérer...