Effectivement, ce type de mobilisation permise par les réseaux sociaux n'est pas nouveau: on a notamment eu "les pigeons" vers le début de Hollande, qui déjà shuntaient la représentation patronale traditionnelle ou autres associations existantes. Et j'ai déjà vu circuler par mail il y a des années un appel à bloquer pour le gazole à 1 euro (exactement pareil que maintenant au départ donc) avec même une date dedans, la police avait pris ses dispositions mais il ne s'était quasiment rien passé, les potentiels participants ne se connaissant pas et ne sachant pas où se rassembler - et le passage du virtuel a longtemps été difficile.
Mais là , on est sur une mobilisation qui ressemble à celles du début des années 90 avec la coordination infirmière ou les routiers contre l'instauration du permis à points, lancées en-dehors des appareils existants alors qu'il existait des syndicats salariaux (et patronaux pour les routiers). A la limite, cela s'expliquait plus, avec la traditionnelle (et historique) proximité des syndicats et de la gauche, notamment du PS au pouvoir, qui générait de la méfiance. Là , ce n'est pas parti des associations de consommateurs qui auraient pourtant été légitimes là -dessus... et qui auraient peut-être voire probablement bien moins mobilisé. Il y a toutefois eu soutien dès avant le début de certains clubs de passionnés de voitures (généralement, il s'agit de voitures de collection) de qui est venue la date et d'autre part des soutiens plus ou moins clairs de divers partis et personnalités politiques, RN, DLF et LR à droite, PS et FI à gauche.
Maintenant arrivent des soutiens tardifs en deuxième semaine du mouvement (alors qu'il peut y avoir par ailleurs une tendance à l'essoufflement), comme cette association de retraités agricoles de Dordogne:
https://www.francebleu.fr/infos/economi ... 1543239412Concernant les porte-paroles, leur désignation (par une coordination qui s'est réunie apparemment, et où on retrouve deux "figures de proue" qui ont la légitimité de l'antériorité: celui qui a lancé la date du 17 novembre pour le vrai démarrage et celle qui avait lancé la principale pétition en ligne) tombe dans un exercice délicat: il apparaît relativement nécessaire à un moment de négocier au nom des barragistes qui tiennent leur barrage "pour un mois et plus s'il le faut" "jusqu'à satisfaction des revendications", oui mais lesquelles au juste? On voit par ailleurs que ressort tout un arsenal théorique et rhétorique connu dans les mouvements sociaux ou citoyens et qui était parfois confidentiel ou novateur: délégués qui ne sont "que des porte-parole et pas des représentants", idée d'assemblée citoyenne tirée au sort... cf.
https://www.francebleu.fr/infos/economi ... 1543239412 Sur la première, c'est un classique des mouvements sociaux, la délégation d'AG gréviste qui est censée servir de courroie de transmission même si un certain talent oratoire face au patron est un plus. Ceci dit, le lien avec la base est complexe avec autant de groupes et même avec des outils virtuels; certains se méfient tellement de toute remise en cause de l'horizontalité initiale du mouvement qu'ils ne veulent pas de porte-parole, ce qui a fait qu'un porte-parole lorrain s'est désisté pour mettre fin à la polémique locale. Plus largement, il y a toute la question de la structuration d'un mouvement de grève (en quelque sorte, sans guère de salarié couvert par un préavis syndical mais pas sans point commun avec une grève plus classique) sachant qu'il dépasse, et ici largement, les structures préexistantes.
Sur l'assemblée citoyenne, rien que la mise en avant de cette idée (après certains politiques souvent plus timides, ex. Montebourg qui suggérait à un moment de tirer au sort un sénateur par département) a plusieurs implications:
-déjà , pour le mouvement lui-même, cela implique de se déssaisir en partie de l'élaboration de revendications, de passer des mobilisés élaborant leurs revendications au peuple élaborant les siennes, ce qui implique en quelque sorte que le mouvement, tout en se pensant comme une sorte d'avant-garde ou fer de lance du peuple, sait ne pas en être totalement représentatif tout en estimant néanmoins aller grosso modo dans le même sens donc ne pas se tirer de balle dans le pied avec cette proposition (s'ils pensaient que le résultat probable serait trop différent de ce que pense le corps plus large, lui laisseraient-ils le micro?)
-concernant la représentation politique, cela fait ressurgir et met en action les critiques sur la non-représentativité des élus et notamment de l'Assemblée Nationale (qui a voté la nouvelle hausse des taxes en première lecture) sous deux angles: la représentation des opinions et partis, sachant que le mode de scrutin est loin de viser seulement la représentativité mais cherche la constitution d'une majorité (qui sera par la suite, pour l'essentiel, une simple suiveuse du gouvernement) et qu'aucun compte n'est tenu des revirements d'avis des citoyens après l'élection; la représentativité des personnes issues des processus de carrière et de désignation au sein des appareils politiques avec souvent des apparatchiks et des professionnels de la politique. Pour résumer, cela sous-entend que l'Assemblée notamment n'est représentative ni politiquement ni sociologiquement.
On retrouve là les envies d'horizontalité qui avaient cours notamment en mai 68, malgré la large disparition des sur-couches idéologiques marxistes ou anarchistes qui les accompagnaient alors.
A propos, j'ai vu une pancarte "1789-1968, 2018 Macron c'est ton tour". Entre cette allusion qui tend à monter et la proposition d'une assemblée citoyenne en face de l'Assemblée sortie de la moulinette politique classique, l'existence d'une crise politique semble assez nette.
(A propos d'une ou l'autre pancarte dans une commune sans barrage: certes elle est probablement l'oeuvre d'un ménage ou deux mais elle est visible en permanence parce que personne, même pas les militants macronistes de 2017 par exemple... ne descend de voiture pour l'enlever)
En écho à ce qui est dit ci-dessus, la fiscalité écologique sans compensation redistributive pose clairement souci (la version envisagée à un moment vers 2009-2010 prévoyait au moins un retour forfaitaire aux ménages, avec une sur-compensation pour ceux habitant des communes totalement non desservies en transports en commun).
Et plus profondément, l'absence de politique "positive" d'aménagement du territoire... ou plutôt l'existence de politiques aspirant l'activité vers les grandes surfaces, les abords d'autoroutes ou de gares TGV et les grandes villes... se fait cruellement ressentir, les territoires peu denses ne créent pas d'emploi en net et on se retrouve avec des poches de pauvreté en zones rurales ou en petites villes hors du rayon d'action des pôles dynamiques; le jeu du marché sur les prix des loyers privés fait que, pour résumer en une formule choc (que je n'ai pas lue ailleurs) "les emplois chassent les pauvres".