de Corondar » Mer 13 Déc 2017 14:41
Concernant les résultats :
1) En temps normal, en Alabama, les Blancs représentent environ 75% de l'électorat (ce qui correspond à peu près au ratio sur l'ensemble de la population). Hier, ils n'ont représenté que 65% des votants. Les Noirs ont représenté 30% des votants. Les 5% restants sont des Latinos, des Amérindiens et quelques Américains d'origine Asiatiques. Jones obtient 90% du vote non-blanc, et 96% du vote afro-américain. C'est la base de sa coalition. Mais c'était insuffisant pour garantir la victoire. Ici les dérapages constants de Moore sur le racisme ont joué à plein.
2) Jones obtient 25% du vote masculin blanc, et 33% du vote féminin blanc. Cela parait peu, mais pour un candidat démocrate en Alabama c'est en fait énorme, et cela cache de grandes disparités. Les Blancs riches et éduqués de banlieue ont été beaucoup plus partagés. Dans certains comtés de banlieue Jones est en tête de peu, et dans d'autres Moore est en tête, mais avec des marges très inférieures aux standards électoraux de l'état. C'est cette "percée" de Jones dans le vote des Blancs qui fait basculer l'élection. Ici ce sont surement les accusations d'agressions sur mineurs qui ont joué. Moore a représenté un pont trop loin, y compris pour beaucoup de républicains conservateurs. A noter tout de même qu'auprès des comtés ruraux et de l'électorat évangélique Moore obtient de très bons scores.
3) le vote write-in a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de Moore. On ne le saura qu'avec les résultats définitifs, mais les write-in sont à peu près équivalents à l'écart entre les deux candidats, et il fait peu de doute que ce sont des voix qui manquent quasi exclusivement à Moore.
C'est la conjonction de ces 3 facteurs qui ont amené au résultat historique d'hier. Outre la victoire d'un démocrate en Alabama, ce qui est réellement extraordinaire c'est qu'on est en plus sur un profil de démocrate libéral. Pro-choice, il est très à gauche sur l'économie et le social. C'est un peu comme si Neuilly élisait un maire PCF ou FI, sauf qu'un sénateur américain a beaucoup plus de pouvoir qu'un maire.
Moore semble s'obstiner dans son déni de la défaite (il n'a toujours pas appelé son concurrent pour reconnaitre le résultat comme le veut la tradition). Le pauvre, il a été en tête (parfois avec de grosses avances) pendant la quasi-totalité du dépouillement, tout s'est enraillé vers les 75% du dépouillement, avec l'arrivée massives de voix dans les comtés urbains de Birmingham, Mobile ou Montgomery. Mais je ne vois pas ce qu'il peut espérer, et les autorités (républicaines) de l'état ont été assez claires : le résultat est acquis. Le nombre de bulletins non dépouillés est très inférieur à l'écart entre les deux candidats (et ils ne seront pas à 100% pour Moore), et même si certains votes en write-in devaient être invalidés (les autorités de l'état doivent s'assurer que les noms des personnes concernées sont éligibles : 35 ans révolus, nés Américains et vivant en Alabama, avec la bonne orthographe), cela ne changerait rien à l'avance du démocrate. Ce qui se joue éventuellement c'est l'écart entre les deux candidats et le recompte. Si l'écart est inférieur à 0.5%, le recompte est automatique et se fait aux frais du contribuable. Si il est supérieur, il peut y avoir un recompte à la demande d'un des candidats, mais dans ce cas c'est à ses frais. Vu les chiffres dont on dispose, il est hautement improbable que l'écart se réduise à ce point, et je ne vois pas bien ce que Moore pourrait espérer d'un recompte (si il trouve les fonds pour le financer, parce qu'il ne pourra pas compter sur le GOP pour le financer). Si on avait un écart de quelques centaines de voix, ça pourrait se discuter. Mais là , avec 22 000 voix d'avance au compteur, Jones peut être serein...
Concernant les conséquences, la perte d'un siège au Sénat, surtout d'un tel siège normalement imperdable, est assurément une mauvaise nouvelle. Les sénateurs républicains tels que Corker, Flake, Collins, Murkowski ou MacCain deviennent encore plus les rois du pétrole. Tout cela va inciter les républicains à accélérer encore plus le processus législatif concernant la réforme fiscale. Jusqu'aux vacances de noël c'est encore Strange qui siège, Jones n'entrera en fonction qu'avec la rentrée de janvier.
La défaite de Moore a au moins l'avantage d'épargner au GOP le psychodrame de son exclusion ou non du Sénat, mais les démocrates ne vont pas se priver de mettre en avant les démissions de Conyers et de Franken là où le GOP n'a pas réussi à répudier clairement un candidat accusé d'agressions sur mineurs. L'autre point vaguement positif pour le GOP, c'est que Bannon et sa ligne ont subi une grosse défaite hier.
Par contre, pour Trump c'est une catastrophe. Il a perdu les primaires en soutenant Strange, il a perdu la générale en soutenant Moore. Le climat #Metoo est délétère pour lui vu son passif avec les femmes, et ses derniers tweets contre la sénatrice de New-York ne devraient rien arranger (faudrait vraiment que Kelly parvienne à tenir Trump éloigné de son téléphone, là ça devient critique). Mais le pire pour lui c'est que tous les élus républicains vont désormais le compter comme un handicap : son soutien va être perçu comme toxique, et son capital politique est désormais proche de zéro. Je ne parle même pas du capital moral (je vous invite à aller jeter un œil à l'édito de USA Today d'aujourd'hui, qui est pourtant loin d'être un bastion libéral, c'est très édifiant sur la perte totale de crédibilité présidentielle)...
A la limite, pour lui, si la réforme fiscale est votée, on peut même se dire que désormais le GOP aura obtenu de Trump le seul élément qui pouvait les intéresser dans son programme (des baisses d'impôt massives, surtout pour les riches et les entreprises), et que pour la suite ils feront sans lui.