La Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) organisait cet après-midi une demi-journée d'études à la BNF sur le thème
L'Amérique a-t-elle changé de cap ? à l'occasion des 140 jours de la présidence Trump.
https://www.frstrategie.org/evenements/2017/2017-06-07/Les diverses interventions ont formulé ce que je ressentais plus ou moins confusément concernant l'administration Trump, que ce soit sur la politique intérieure ou la politique étrangère des USA.
A l'intérieur du pays, l'élection de Trump par la grâce du collège électoral et de la mauvaise campagne d'Hillary Clinton, n'est pas tant le déclencheur que le révélateur de plusieurs phénomènes :
1) La difficulté à réformer les institutions. Trump n'est pas le premier président majoritaire au collège électoral mais minoritaire dans le vote populaire. Avant lui, il y a eu Rutherford Hayes en 1876, Benjamin Harrison en 1888 et Bush fils en 2000. Et pourtant, il n'y a pas eu de proposition sérieuse de réforme des règles de l'élection présidentielle. Parce qu'un président élu grâce au collège électoral n'a aucun intérêt à changer les règles ? Parce que faire passer un amendement à la Constitution est trop long et compliqué (il faut la majorité des deux tiers au Sénat et à la Chambre, ainsi que l'accord des trois quarts des Etats fédérés) ? Les deux, probablement.
2) La polarisation politique. Jamais le clivage entre les deux partis dominants n'a été aussi profond. D'où le quasi blocage institutionnel et une faible productivité législative, dont la flibuste, le shutdown sous Obama, et les difficultés à enterrer l'Obamacare sont des illustrations. En leur propre sein, les deux partis sont divisés. Le parti républicain a soutenu Trump comme la corde soutient le pendu. A part le conservatisme sociétal et la volonté de réduire le périmètre de l'Etat fédéral (dont le Tea Party n'est que la manifestation extrême), qu'est-ce qui unit ses élus et adhérents du GOP ? Quant aux démocrates, l'élection présidentielle de 2016 a montré que l'appareil du parti a fortement soutenu Clinton, alors que beaucoup de sympathisants penchaient pour Sanders. Maintenant, on commence à entendre au parti de l'âne des propositions comme l'augmentation du salaire minimum et la mise en place des allocations familiales. Il y a dix ou quinze, ça suffisait pour être taxé de communisme...
3) La polarisation sociale. Face à Trump, il y a une bonne partie des élites intellectuelles, médiatiques et culturelles qui a vu dans son élection une catastrophe. Une partie des acteurs du renseignement avait manifesté publiquement avant l'élection ses inquiétudes face à l'élection du Donald, considérée comme une menace pour la sécurité nationale. De plus, il y a une forme de désobéissance civile, avec le refus de certaines villes et de certains Etats fédérés d'appliquer les mesures décidées par le président. En ajoutant les associations de défense des droits humains et des immigrés, le sentiment anti-Trump dans la société est puissant. Mais Trump a encore de nombreux soutiens en dehors du Congrès à majorité républicaine : la droite évangélique (qui l'a soutenu parce qu'elle avait la certitude qu'il nommerait des juges conservateurs à la Cour suprême), les industriels des énergies fossiles, ce qui reste du Tea Party et la mouvance Alt-right (sites, forums, think tanks, radios...), pour qui la question environnementale est clivante, au vu du climatoscepticisme puissant dans ce courant.
Sur la politique étrangère, la présidence Trump est marquée comme à l'intérieur par la confrontation et l'imprévisibilité. Trump ne semble pas vouloir arbitrer entre les différentes sensibilités ou factions qui souhaitent orienter la diplomatie des USA :
1) Les tenants du choc des civilisations, autour de Steve Bannon, traumatisés par le 11 septembre 2001, très islamophobes, et très hostiles à la mondialisation depuis la crise de 2008, et très climatosceptiques ;
2) Les tentants de la ligne traditionnelle du parti républicain (Tillerson, les généraux Matthis et McMaster...), conciliants avec les Européens et les pays musulmans, réservés avec la Russie ;
3) La famille et les amis du Donald, en particulier Ivanka Trump et son mari Jared Kushner. Ces derniers avaient tenté en vain de convaincre Trump de ne pas retirer les USA des accords de Paris.
Pour Bruno Tertrais, les USA ne peuvent pas se désintéresser du Moyen-Orient, quelle que soit la volonté du président. Et quelle que soit la politique menée, elle sera toujours critiquée...
Concernant la Russie, les positions de Trump sont l'une des raisons pour lesquelles sa légitimité est remise en question dans son propre pays. La Russie veut être traitée en égale par les USA, et s'accommode des polémiques aux USA sur ses interférences réelles ou supposées dans l'élection de 2016. Apparemment, Poutine préfère être soupçonné d'avoir perturbé le processus électoral de la première puissance mondiale que voir son pays ignoré ou méprisé...