Mieux vaut tard que jamais, retour sur les arrêtés de la Cour Suprême relatifs au XIVe amendement et au statut de l'électorabilité de Trump dans ce cadre. Et, encore une fois, la SCOTUS a perdu beaucoup de crédibilité dans l'affaire.
le premier arrêt était attendu et sans surprise : par 9 voix contre 0, les Suprêmes ont tous statué unanimement que les états ne pouvaient unilatéralement déclarer inéligible un candidat à un poste fédéral. Dans le cadre du XIVe amendement, les états ne peuvent appliquer l'exclusion que des candidats à des postes au niveau des états. Si la SCOTUS s'était arrêté là , cela aurait suffi.
Hélas, les 5 juges masculins et conservateurs ont insisté pour établir un second arrêté entraînant la dissidence des 4 juges femmes (les 3 juges libérales et Amy Coney Barrett). Et cet arrêt est, je n'ai pas d'autres mots, consternant, aussi bien sur le fond que la forme :
1) sur le fond
Les 5 juges hommes ont décrété que la clause concernant les insurrectionnistes du XIVe amendement ne s'appliquent pas par automatisme, mais que le Congrès doit passer une législation pour appliquer cette clause. Et la liste de l'aberration juridique de la chose est effarante. Déjà , rien dans l'article constitutionnel en question ne vient appuyer cette lecture, et, surtout, cet amendement a déjà été appliqué une dizaine de fois par le passé contre des insurrectionnistes sans que le Congrès ne passe une quelconque loi d'application. Plus aberrant encore, à la fin des années 1880, le Congrès a passé une loi d'amnistie des unsurrectionnistes sudistes, afin de les soustraire à l'application du XIVe amendement (ce qu prouve que pour le Congrès cet amendement s'appliquait bien automatiquement). Bilan : les 5 juges de la majorité ont créé une loi du néant, en bafouant tous les précédents et le texte constitutionnel. Quant on rappelle que les 5 juges en question ont défendu le renversement de Roe vs Wade en 2022 en arguant qu'il fallait lire la constitution au pied de la lettre, et qu'elle n'abordait donc pas l'avortement, cela laisse pantois des les voir 18 mois après pondre un truc pareil qui interprète de manière cavalière la constitution pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas.
Mais il y a pire encore : les 5 n'ont même pas pris la peine de préciser les contours du XIVe amendement (lorsque la SCOTUS a validé l'avortement, elle avait dans la foulée codifié ce droit, ici les 5 majoritaires ne font pas cet effort), ils ne disent pas ce que devrait être une insurrection pour définir le cadre par exemple. Ils disent textuellement : c'est au Congrès de décider.
Premier problème de taille : est que ces 5 juges considèrent que tous les amendements doivent être ainsi codifiés par le Congrès, et si non, pourquoi le XIVe amendement serait le seul concerné par une telle procédure ? C'est là la première boite de Pandore ouverte.
Il y en a une seconde, probablement bien plus grave : la SCOTUS ne règle même pas le cas de Trump, et laisse ouverte une porte permettant aux futurs Congrès de déclarer inéligible n'importe quel président à n'importe quel moment de son mandat par le vote d'une simple loi relative au XIVe amendement. Dans un premier temps, beaucoup font remarquer que la Chambre a bien condamné Trump en janvier 2021 (second impeachment), et que 57 sénateurs ont dans la foulée confirmé cette condamnation. Du coup, les 5 n'ayant même pas pris la peine de codifier le truc, certains estiment que le Congrès a déjà statué sur le fait que Trump était bien un insurrectionniste et que donc le XIVe amendement devrait s'appliquer.
Dans un second temps, les 5 créent donc une forme de droit à un super impeachment avec cet arrêt, donnant le droit à tout futur Congrès de déclarer rétroactivement un président élu non éligible en faisant jouer le XIVe amendement. Et il est fort probable qu'une majorité simple des assemblées pourrait suffire dans ce cadre.
2) sur la forme
Le second arrêt est de l'avis général de tous les juristes et constitutionnalistes, un torchon mal écrit et très mal présenté. On notera que parmi les 5 votes en faveur, aucun n'a eu le courage de se présenter comme le rédacteur. Pire, le truc a été publié à l'arrache, révélant de manière non intentionnelle les dissensions internes de la Cour, les 4 juges féminines ayant elles soulevé tous les risques sur la forme que faisait peser l'arrêt en question et que je rappelle dans le point précédent.
https://s3.documentcloud.org/documents/ ... ballot.pdfhttps://www.mediaite.com/tv/george-conw ... ll-around/https://www.politico.com/news/2024/03/0 ... s-00144816https://slate.com/news-and-politics/202 ... ssent.htmlBref, alors que la SCOTUS aurait pu (du) se contenter d'un arrêt 9-0 attendu, 5 des 9 juges ont jugé qu'ils devaient absolument faire n'importe quoi en rajoutant un étage à la fusée qu'on ne leur demandait pas, et qui a le potentiel de créer une future crise institutionnelle d'ampleur dantesque. Le tout en confirmant que la majorité conservatrice de la SCOTUS a une lecture très à la carte de la constitution : une lecture textualiste quand ça les arrange, et une lecture totalement interprétative quand ils le veulent. L'image de la SCOTUS qui n'était déjà pas bien brillante ces dernières années devrait continuer à se dégrader...