Eco92 a écrit:Le filibuster reste une chose méconnue ici, je suis un peu flou à ce sujet pouvez vous en réexpliquer le principe que je sois sur de comprendre ?
Déjà, il faut rappeler que le
filibuster n'est pas écrit dans la constitution, mais fait parti du règlement interne du Sénat, et qu'il a lui aussi évolué de manière très sensible au cours des 300 dernières années.
Pour résumer, des sénateurs peuvent faire de l'obstruction parlementaire et bloquer l'adoption d'un texte de loi. Originellement, tant qu'un sénateur parlait, il pouvait empêcher n'importe quelle loi d'être mise au vote. C'est ce qu'on appelle le
filibuster. Pour le casser, en clair retirer la parole au(x) sénateur(s) loquace(s) afin de soumettre la loi aux votes de l'assemblée plénière, il fallait que les 3/5 du Sénat s'opposent à ce
filibuster (60 sénateurs donc de nos jours).
Dans sa forme originelle, le ou les sénateurs se livrant à l'obstruction devaient physiquement occuper la tribune et parler sans s'arrêter, étant entendu qu'une fois qu'un sénateur cédait la parole à un autre orateur, on considérait son temps de parole sur le sujet terminé. Le sénateur pouvait en revanche parler de ce qu'il voulait (certains récitaient le bottin téléphonique ou des recettes de cuisine). Ce système permettait de ralentir considérablement le travail législatif du Sénat si on trouvait suffisamment de sénateurs marathoniens (prêts à occuper l'estrade de longues heures sans pause) et que les 3/5 de leurs collègues ne s'y opposaient pas. Mais, on finissait toujours pas arriver, faute de combattant, à la fin du blocage. Mais cela pouvait prendre parfois des semaines et paralyser complètement la haute assemblée. A cette époque, le
filibuster était utilisé avec parcimonie sur des textes très clivant.
Mais au cours des dernières décennies, le
filibuster a considérablement évolué, puisque désormais les sénateurs n'ont plus l'obligation de tenir la tribune physiquement. Il leur suffit de manifester leur opposition à un texte de loi, et tant qu'un quorum des 3/5 ne vient pas briser cette opposition, alors le texte de loi est considéré comme rejeté.
Seules les lois budgétaires ne sont pas soumises à ce filibuster. Les nominations judiciaires étaient jadis concernées elles aussi, mais le
filibuster a été aboli en 2 temps les concernant : sous Obama, Harry Reid (leader de la majorité démocrate de l'époque au Sénat, ancien sénateur du Nevada, l'équivalent démocrate à l'époque de Mitch McConnell aujourd'hui niveau tripatouillage dans les arcanes byzantines du Sénat US) l'a d'abord supprimé pour les nominations des juges dans les cours fédérales (les républicains s'opposant à toutes les nominations faites par Obama), puis Mitch McConnell a fini par le supprimer aussi pour les juges à la SCOTUS (puisque là aussi, l'institution devenant ultra politisée il devenait impossible d'espérer réunir 60 voix, sauf à proposer de vrais candidats de compromis, devenu un bien vilain mot dans le paysage politique US).
Le
filibuster est désormais devenu une arme ultime d'obstruction parlementaire qui fait que tout texte de lois ne réunissant pas 60 voix de sénateurs est potentiellement voué à l'échec (sauf encore une fois si il s'agit d'un texte budgétaire).
Pour modifier (ou supprimer) le
filibuster il suffit d'une majorité simple au Sénat puisqu'il s'agit du règlement intérieur de la haute assemblée. Les républicains sont évidement vent debout contre cette idée.
Chez les démocrates, jusqu'à encore récemment aussi de nombreux sénateurs y étaient opposés, craignant le retour de bâtons potentiel une fois le
filibuster supprimé et des républicains majoritaires au Sénat.
Mais les démocrates ont fini par se rendre compte que le filibuster protégeait beaucoup plus l'agenda républicain qu'il ne protège l'agenda démocrate. En effet, le GOP reste le parti du laisser faire, plus l'état central est faible et moins il intervient, mieux ça leur va globalement. Le vrai sujet de consensus au sein du GOP c'est le moins d'impôts et de taxes pour les plus riches, et le moins de dépenses possibles pour l'état central (sauf pour la Défense). Or, ces éléments là ne sont pas concernés par le filibuster. En revanche, le filibuster leur permet de bloquer tout projet de loi un peu trop vaguement ambitieux en matière de lois électorales, de contrôle de la vente des armes à feu, de réformes sociétales (que ce soit les droits LGBT, l'avortement), de l'étatisation de DC ou de Porto-Rico, de réforme énergétique...
Il y a quelques mois, les démocrates ont fait voter une loi électorale garantissant de lisser les pratiques électorales au niveau national (ouverture des bureaux de vote plus large, encadrement du vote par correspondance, fériarisation des élections présidentielles et de mi mandat,), le vote a donné 50/50, Kamala Harris devant casser l'égalité. Les républicains ont filibuster le tout. Schumer (leader démocrate au Sénat) a tenté de modifier le règlement intérieur pour supprimer purement et simplement le filibuster. 2 sénateurs démocrates s'y sont opposés (Manchin de Virginie Occidentale et Synema d'Arizona), faisant échouer la proposition 52/48. Mais l'ensemble des autres membres du caucus démocrate ont tous voté en faveur pure et simple du filibuster. Ce qui en soit était déjà une révolution copernicienne par rapport aux années précédentes.
Si après les élections de novembre les démocrates devaient réussir à obtenir 50 sénateurs favorables à la fin du filibuster (que les 48 l'ayant déjà voté soient toujours en place, et que 2 élus démocrates favorables en plus rejoignent les rangs de la haute assemblée pour palier l'éventuel vote toujours non de Synema et Manchin), alors le Sénat pourrait supprimer le filibuster. Et derrière,
the sky is the limit : loi garantissant le droit à l'avortement, interdiction de la vente d'armes aux mineurs de moins de 21 ans, plans sociaux et énergétiques, étatisation de DC et de Porto Rico, modification du fonctionnement de la SCOTUS, vote de lois électorales nationales...
Je ne dis pas que les démocrates auront bien 52+ sièges après les élections de novembre, ni même que c'est bien ce qu'il se passerait si ils les avaient, mais ce qui est certain c'est que c'est désormais largement sur la table et assumé comme tel par les démocrates...
Et que les républicains auraient préféré que pour les élections de novembre on ne parle que d'inflation et de pouvoir d'achat, pas aussi d'avortement, de
filibuster ni de SCOTUS...