La vie politique tchèque.

[lindet]

J'ai lu sur le site de la Fondation Jean Jaurès (accès libre) une note de Pavel Rehor qui me semble répondre à votre question. En gros, selon lui (note écrite avant les élections mais les sondages indiquaient à peu près ce résultat), les partis traditionnels de gauche paient leur soutien au gouvernement Babis, et aussi pour les uns (communistes) leur immobilisme stérilisant et pour les autres (sociaux-démocrates) les déceptions engendrées par leur passage au pouvoir ces dernières années. L'électorat de gauche a donc cherché à s'exprimer avec des nouveaux venus d'où le succès de ces "pirates" de centre gauche, non compromis dans des affaires de corruption et autres. Pourront-ils s'ancrer ? Devenir le parti d'une gauche modérée ou bien les sociaux-démocrates réussiront-ils à revenir dans le jeu ? Tout est ouvert.
Sauf erreur, le PC était le dernier d'Europe orientale à faire des scores honorables et à être représenté au Parlement. Ce n'est pas très glorieux comme legs des "pays socialistes" ou "démocraties populaires" trente ans après leur renversement. Je sais bien qu'il reste Die Linke en Allemagne, mais justement en difficulté récente aussi et qui avait pourtant reçu naguère le renfort de la sociale-démocratie de gauche avec Lafontaine. Sauf erreur au Parlement européen, où en 2019 un communiste tchèque avait encore été élu avec environ 7 %, il risque en 2024 de ne plus rester pour les PC européens traditionnels que des pays du Sud où leur situation st stabilisée sans être mirobolante (Espagne, Grèce, Chypre et Portugal...).

[Jean-Philippe]

Concernant les pirates tchèques, il y a une information capitale à propos de ces élections qui n'a curieusement pas encore été rapportée ici, c'est qu'à la suite de leur alliance avec STAN qui a engrangé 37 sièges, STAN en a gagné 33 et les Pirates seulement 4, et ce alors que les Pirates étaient très largement devant STAN dans les sondages où les deux formations étaient testées séparément. La raison de cela ? La présence du vote préférentiel, les électeurs de STAN ayant massivement coché leurs candidats tandis que les électeurs des Pirates ont plutôt glissé le bulletin de la coalition sans choisir de candidats au sein de cette coalition. Les Pirates se retrouvent donc marginalisés en nombre d'élus alors qu'ils auraient pu en espérer au moins 5 fois plus s'ils étaient partis sous leurs propres couleurs. Après, ils peuvent toujours se consoler en se disant qu'ils sont hégémoniques à gauche puisque tous les autres partis de gauche, socialistes comme communistes, ont été éradiqués du Parlement.

[Eco92]

Oui, c'était frappant sur wikipédia où le détail par parti était donné, je me demandais comment ils en était arrivé là, merci pour cette explication, la pilule doit être amère pour les pirates.

Milos Zeman, président de la République, est hospitalisé dans un état grave, après quelques jours à cacher son état de santé il a été admis publiquement qu'il n'était pas en capacité de nommer un chef de gouvernement, bien que Babis affirme qu'il avait promis de le nommer au soir de l'élection.

Le Parlement doit donc désormais voter son incapacité dans les dix jours, ce qui entrainera le transfert de ses pouvoir au premier ministre en exercice... Soit M. Babis.

Cependant, il a depuis reconnu sa défaite et indiqué qu'il nommerait Petr Fiala et irait siéger dans l'opposition.

https://fr.euronews.com/2021/10/19/le-president-tcheque-en-soins-intensifs-l-executif-est-paralyse
https://www.france24.com/fr/europe/20211018-le-s%C3%A9nat-tch%C3%A8que-d%C3%A9clare-le-pr%C3%A9sident-zeman-incapable-d-assurer-ses-fonctions

[Eco92]

Finalement, Zeman n'a pas été destitué, puisqu'il a retrouvé assez de lucidité pour s'exprimer seul et en public. Il devait investir Petr Fiala à sa sortie de l'hôpital vendredi, mais il a du y retourner d'urgence car il s'est avéré atteint du Covid 19.

L'investiture du leader d'opposition, à la tête d'une coalition de 5 partis, a finalement eu lieu aujourd'hui. Très affaibli et atteint du Covid-19, le président a pratiqué l'assermentation sur un fauteuil roulant, séparé du premier ministre par des clôtures de plastique, pour éviter de le contaminer.

Après cette aventure administrative et médicale, le suspens prend donc fin !

https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/28/republique-tcheque-petr-fiala-nomme-premier-ministre_6103933_3210.html

[VincentLP92]

On n'en a pas parlé sur le forum, mais les élections présidentielles viennent d'avoir lieu en Tchéquie (apparemment, on peut désormais utiliser ce nom aussi).
Il s'agissait de choisir un successeur au controversé président Zeman. Ex-communiste devenu social-démocrate, il avait été le 1er président tchèque élu au suffrage universel en 2013. Il avait construit sa victoire sur une ligne qu'on pourrait dire populiste de gauche, qu'il poursuivra tout au long de ses deux mandats. Non sans susciter des polémiques dont notre forum garde la mémoire.

Cette année, compte-tenu de l'éclatement (et oserai-je de l'instabilité) du milieu partisans, peu de partis présentaient leurs propres candidats. La majorité des prétendants étaient des indépendants, avec un exception de poids : Andrej Babis, fondateur et leader du parti ANO 2011.
Milliardaire aux pratiques controversées et au discours populiste de droite (glissant lentement vers le modèle Orban), il avait exercé comme Premier Ministre de 2017 à 2021. Après la défaite de son parti aux législatives de 2021, il cherchait sa revanche.
En face, la candidature indépendante d'un ancien général s'est imposé, celle de Petr Pavel. Pro-occidental assumé, sa candidature séduit la partie la plus libérale de l'électorat, celle qui soutient également l'actuelle coalition au pouvoir de centre droit.
Une troisième candidature émerge tardivement plus à gauche : Danuše Nerudová, également une indépendante. Elle séduit les jeunes avec un discours insistant sur l'écologie et les droitsLGBT.
Aucune des 7 autres candidatures ne perce.

Au premier tour (13-14 janvier 2023), Babis et Pavel sont au coude à coude (35%), tandis que Nerudova ne confirme que très partiellement sa poussée sondagière (13,9%). Ce qui confirme l'impression d'un campagne très polarisée autour des deux favoris.
La carte montre clairement que Pavel séduit surtout le vote urbain : il est tête sur Brno et même ultradominateur à Prague. Inversement, Babis attire un vote + rural et plus âgé. Bref, des constats trs classiques.

L'entre-deux tours a été compliqué et tendus. Le principal point chaud semble avoir été la question de la participation à un éventuel conflit armé avec la Russie. Ainsi, accusant Pavel (ancien militaire) de vouloir pousser son pays à faire le guerre, Babis a affirmé refuser de s'y engager si les pays alliés (Pologne par ex) étaient attaqués. Mais comme c'est contraire aux engagements internationaux de la Tchéquie, il a du revenir sur ses propos.
De toute façon, la tendance de 2nd tour depuis l'automne est restée à peu près stable avec un victoire nette de Pavel. Ce qui s'est confirmé dans les urnes avec 58,3% (2nd tour des 27-28 janvier 2023).

Pour avoir des infos plus précises, la page wikipedia est très bien faite : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_tch%C3%A8que_de_2023

[ploumploum]

Sans remettre en cause sa majorité absolue, la coalition gouvernementale dirigée par Petr Fiala s'est légèrement réduite* fin septembre après l'éviction de Ivan Bartos, chef de file des Pirates, de sa fonction de vice-président du Gvt chargé du Développement régional. Dans la foulée, le Parti Pirate (seulement 4 députés) a basculé dans l'opposition.
https://francais.radio.cz/les-pirates-t ... es-8829754

* de 108 à 104 sièges, pour une chambre comprenant 200 élus au total

[lindet]

Merci mais alors comme d'autres lecteurs du Forum j'imagine je serais preneur d'informations sur ces élections régionales...
J'ai regardé sur la célèbre encyclopédie en ligne wiki... mais elle ne donne de tableaux que pour cinq des treize (en dehors de Prague qui est une 14e implicite) régions de la République tchèque. Un petit récapitulatif semble indiquer un retour en force de Ano 2011, la formation "populiste" de A. Babis avec 35,4 % (+13,6) et 292 élus (+114), les conservateurs et alliés chrétiens-démocrates seraient stables à 24,4 % (+0,4) et 181 élus (+ 10) comme les maires et indépendants à 13,7 % (+0,7) et 104 élus (+13) e l'extrême-droite du SPD en recul à 6,5 % (-2,2) et 41 élus (-6).
Regain du Parti communiste et alliés qui obtiendraient 6,2 % (+1,5) et 40 élus avec ses alliés (rappelons qu'à la surprise générale- en tout cas la mienne - le PC tchèque a fait réélire sa députée aux européennes, dernière de cette famille dans les anciennes démocraties populaires). Il est vrai que l'ancien parti social-démocrate CSSD semble bien diminué et en voie de disparition : 1,4 % en Bohême centrale et 2,5 % à Plzen, alliés du PC en Bohême du Sud et à Usti-nad-Laben (au nord de la République), mais sans doute éclaté en plusieurs formations et dans les autres régions ? ce n'est pas précisé...
Cela dit, il reste près de 14 % des voix dont la répartition n'est pas indiquée dans ce tableau inachevé. Le parti pirate est en forte baisse en effet dans les régions indiquées (dont Plzen où fait encore près de 6 % mais ailleurs il perd souvent 10 points, les deux tiers ou les trois quarts de son électorat précédent...).
Je crois comprendre que la gauche traditionnelle est bien désorganisée, représentée sans doute par la formation du milliardaire Babis ? Avec un paysage très éclaté, pas très progressiste dans l'ensemble, mais pas facile à synthétiser ? D'avance merci pour des éclairages plus complets et qualifiés...

[PhB]

Pour les élections sénatoriales et régionales 2024, on peut aussi regarder Wikipedia en changeant la langue (versions anglaise, espagnole, tchèque...).
Avec un peu de bidouille et en rechangeant la langue au besoin (par exemple passer à la page française quand on consulte les infos sur un parti pour comprendre comment il se positionne...) on arrive à avoir une bonne idée des résultats.
Ainsi pour le Sénat on voit qu'ANO (populiste de droite - groupe "Patriotes pour l'Europe" au Parlement Européen avec le RN, le FPÖ autrichien et le Fidesz hongrois) emporte 8 sièges sur les 27 en jeu (+7), ODS (groupe CRE avec Fratelli d'Italia, le PIS polonais et les alliés de Marion Maréchal Le Pen) 5 sièges (-5), le parti des "maires et indépendants" (PPE) conserve ses 5 sièges en jeu, les indépendants ne sauvent qu'un siège (-2), les autres partis n'évoluent que d'un siège maximum en + ou en -, etc...
Bon je n'ai pas le temps d'aller plus en détail mais peut-être quelqu'un d'autre pourra compléter ?

[lindet]

Merci beaucoup en tout cas pour ces indications. L'évolution ou sans doute la clarification bien à droite de Ano me revient à l'esprit. Babis avait été auparavant l'allié du président Zeman lui-même social-démocrate d'origine mais ayant en effet pas mal évolué ensuite. Tout cela ne donne donc pas un paysage politique très orienté à gauche, avec finalement un parti communiste qui surnage mais sans plus et sans grandes perspectives d'alliance non plus semble-t-il.

[Anarkour]

Merci beaucoup en tout cas pour ces indications. L'évolution ou sans doute la clarification bien à droite de Ano me revient à l'esprit. Babis avait été auparavant l'allié du président Zeman lui-même social-démocrate d'origine mais ayant en effet pas mal évolué ensuite. Tout cela ne donne donc pas un paysage politique très orienté à gauche, avec finalement un parti communiste qui surnage mais sans plus et sans grandes perspectives d'alliance non plus semble-t-il.

La "gauche" en Europe de l'est est compliquée à trouver !

Les "soc dém" (nouveau nom du CSSD), social démocrate au niveau économique, pro UE mais anti-Otan et dont les électeurs sont proches de Babis et de son parti ANO. Ils sont souvent alliés, au moins au second tour.

ANO réunissant les pro-russes et conservateurs moraux (anti homosexuels, féminismes et très pros chrétiens...), avec une petite touche sociale (quasiment exclusivement tourné vers les retraités). Comme le PIS polonais, si l'on enlève le côté international où ils sont à l'opposé.

Les communistes de Tchéquie sont plus ultra sur le côté pro russe et anti immigration, avec une volonté forte de retrouver un système proche des ex démocraties populaires. Il se sont d'ailleurs allié pour les européennes et les régionales avec des partis nationalistes pro russes, clairement d'extrême droite.

D'où le succès (relatif) des pirates, qui attire (attirait) la jeunesse des villes, de gauche sur les questions sociales, et pas aussi libéral que les partis de droite sur les questions économiques, tout en regardant vers l'UE. Cette parenthèse semble se refermer, ils plafonnent autour de 6-8% actuellement.