de comtedeparis » Lun 25 Avr 2022 23:18
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le score de Marine Le Pen, tant au 1er qu'au 2eme tour. A mon avis, le vote RN a complètement muté par rapport à ses origines (la période Jean-Marie Le Pen 1988/2002), et ressemble bien plus à un vote purement protestataire qu'à un vote d'extrême droite. Sa victoire dans des départements historiquement peu FN (Nièvre, Aude ou Somme par exemple), alors qu'à l'inverse elle échoue (parfois de peu) dans des départements historiquement forts pour Jean-Marie Le Pen (Alsace, Alpes Maritime, Bouches du Rhône), montre bien que son électorat n'est plus aussi nettement marqué à droite qu'autrefois.
De plus, les scores de MLP en milieux urbains ne se sont pas nettement redressés et il est frappant de noter à Paris, qu'elle ne réussit pas pas à dépasser au 2ème tour de 2022, le score de son père en 1988! De la même façon, ses scores de 1er tour dans la plupart des grandes villes sont inférieurs à ceux de son père en 1995 ou 2002. A cet égard, le progrès du score au niveau national masque mal le repli RN au 1er et 2eme tour sur les zones les moins dynamiques du pays, ce qui n'est pas vraiment bon signe pour une dynamique de victoire, même à terme pour elle. Le fait est qu'elle n'a pas redressé la barre dans les villes ou les banlieues (riches ou non) depuis 2012, ce qui est indispensable pour tout candidat qui souhaite gagner une élection présidentielle. La formule de Zemmour, qui n'est pas sans rappeler celle de Rocard parlant de l'échec de la gauche en 1978, est cruelle mais d'autant plus juste que MLP ne peut espérer une victoire que si elle réussit à s'approcher des 40% dans les grandes villes, ce dont on est loin.
De la même façon, l'étude des reports de voix confirme cette tendance : les sondages sorties des urnes qui nous donnent 78% des voix Zemmour sur Le Pen sont très peu crédibles quand on regarde de près ses scores de 2eme tour dans les zones de force de Zemmour (très faible progression de Le Pen à Paris, dans la banlieue riche parisienne, et de la même façon dans les zones bourgeoises où Zemmour avait fait d'importants scores, comme Deauville ou le littoral du Var et des Alpes Maritimes). Cela peut aussi expliquer l'intransigeance des leaders RN quant à une éventuelle alliance avec Reconquête : ils ont peut être remarqué les divergences importantes entre ces électorats. Là aussi, ces mauvais reports sont significatifs de deux éléments : d'une part les positions économiques et sociales (retraite à 62 ans) de MLP ont braqué cet électorat, qui n'a certainement pas apprécié non plus les tentatives de récupérations de votes mélenchonistes de MLP. entre les deux tours A l'inverse, Macron, étant de fait le candidat de l'électorat de centre-droit depuis le 1er tour (sa carte ressemble largement à celle d'un Barre ou d'un Balladur avec l'Ile de France en plus), les électeurs de Zemmour (pour la plupart issus de la droite classique ultra-conservatrice) n'ont pas voulu lui faire barrage aussi nettement qu'annoncé. Cette absence de bons reports de voix de Zemmour sur MLP lui a sans doute fait perdre un point, voire deux, et surtout l'a empêché de réaliser des scores plus respectables dans les grandes villes (on le voit dans toute la partie ouest de Paris par exemple).
A l'inverse, peu de médias ont remarqué (hors du cas particulier de l'Outre Mer), les reports importants de certains électeurs Mélenchon sur Le Pen en dehors des métropoles et des banlieues. Dans les zones de force historiques de la gauche, où Mélenchon avait encore réalisé des scores importants (bien que souvent en baisse par rapport à 2017), une partie de son électorat s'est clairement reporté sur Le Pen : c'est visible dans l'Ariège, en Dordogne, dans la Nièvre ou encore à Fos sur Mer, sans parler du Nord/Pas de Calais, où elle a pu bénéficier de voix Roussel (ce qui se voit par sa victoire à Saint-Amand-les-Eaux par exemple). Il y donc eu une certaine porosité entre l'électorat MLP et Mélenchon, certainement supérieur aux 13% attribués par les sondages sortis des urnes. Cependant cette dynamique est bien moins idéologique qu'anti-système et anti-Macron, et donc très fragile. On peut d'ailleurs supposer qu'une part importante, voire très importante, des électeurs MLP aurait voté Mélenchon face à Macron. De la même façon, on peut imaginer des reports RN importants sur la gauche en cas de duels Gauche/REM aux législatives (possibles aussi dans l'autre sens dans ces mêmes départements comme la Nièvre ou le Nord).
Bref, pour moi, l'électorat de MLP ressemble bien plus à un électorat de type M5S (Beppe Grillo) italien, qu'à l'électorat initial de Jean-Marie Le Pen, beaucoup plus axé à droite. Cet électorat MLP 2022, peu politisé et réellement protestataire, est potentiellement bien moins contrôlable et fidèle au RN, que ne l'était l'électorat initial du FN. La motivation principal du vote MLP par rapport à celui de son père est passée de la xénophobie à la protestation pure (non dénuée de réflexes xénophobes en mode mineur). A mon avis ça n'est pas forcément un atout pour MLP car cet électorat "populiste" peut facilement quitter le RN pour d'autres partis à terme, notamment une gauche recentrée sur les questions sociales. Cela peut être un des enjeux des évolutions politiques au cours du prochain quinquennat.