Relique a écrit:Qu'un certain nombre de gouvernants aient choisi de défausser leur propre néo-libéralisme sur l'Union européenne n'est en effet ni contestable ni neuf.
Cela ne change pour autant rien à l'affaire. Si Arnaud Montebourg veut redonner au parlement français le pouvoir d'adapter réellement les textes européens à la situation française (l'essence même de l'esprit de "transposition")
C'est depuis toujours le cas pour les directives européennes (mais certes pas pour les règlements)
Relique a écrit:, et de dire que la loi française prime sur ces textes
Là on changerait de paradigme et ce serait la mort de l'UE. Ce qui est un projet politique, mais pas le mien.
Relique a écrit:, c'est avant tout dans un soucis de démocratie qui me semble absent de tous les esprits "euro-béats" (je ne sais pas si ce terme vous fera plus plaisir).
En effet, l'une des principales caractéristique d'un régime politique démocratique, c'est la possibilité (et la réalité effective) d'une alternance politique. La possibilité qu'un peuple puisse démocratiquement exprimer que "telle ou telle loi ne nous convient pas et nous élisons un parlement qui pourra les modifier voire les abroger".
C'est le cas pour l'Union Européenne. Le Parlement (élu directement au suffrage universel) et le Conseil (où siègent les chefs de gouvernements) européens peuvent changer de majorité. La Commission, qui en est l'émanation, peut également changer de majorité. Certes les majorités qui sont actuellement au pouvoir au sein de L'Union Européenne ne reflètent pas mes opinions, mais en démocratie il faut savoir respecter la majorité lorsqu'on est minoritaire (et inversement).
Les "lois" - directives et règlements - européens peuvent être modifiés librement par les institutions européennes aussi facilement qu'ils ont été adoptés. Les traités européens peuvent être renégociés.
Relique a écrit: Or, que vous le vouliez ou non, il n'existe pas de démocratie européenne, car il n'existe pas de peuple européen. Pour qu'il y ait peuple européen, il faudrait une culture commune (et donc des médias communs), une langue commune, une histoire et des aspirations communes, la réalité d'un dialogue constant. Cela n'existe pas.
Cela n'existe pas moins au sein de l'Union Européenne qu'au sein de démocraties aussi diverses que le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse, le Canada, le Danemark, l'Espagne, l'Inde... ou la France. Le seul décalage vient peut-être de l'ancienneté de la construction européenne, qui ne remonte qu'à un peu plus de 60 ans (pour les institutions ; le projet est multiséculaire), tandis que les pays cités sont tous plus anciens (1945 pour la France métropolitaine, mais nos frontières outre-mer ont largement changé depuis).
Une nation se construit toujours progresivement. Je n'oublie pas que les manifestations parisiennes se déroulent de République à Nation. Et non l'inverse.
Relique a écrit:
Qu'est-ce qui justifie qu'il est plus facile pour le peuple français de modifier sa constitution en profondeur en changeant totalement - ou presque - de régime politique (via un référendum gagné à 50%) mais qu'il est impossible pour le seul peuple français de changer une disposition sur le commerce international, sur le droit de la concurrence, sur les marchés publics ou encore sur les droits des salariés ?
La République Française peut, quand elle le souhaite, quitter tout traité international dont elle estimerait que les dispositions sont devenues inappropriées au vu du contexte historique. Y compris l'Union Européenne, comme le Royaume-Uni vient de nous le montrer. Sur le plan institutionnel franco-français, c'est moins compliqué que de changer la constitution. C'est sur le plan des relations internationales et des conséquences économiques et politiques que ça devient plus compliqué.
Par ailleurs tout traité peut être renégocié - sous réserve de l'accord des États signataires.
Ne pas respecter les dispositions d'un traité international qui nous déplaisent revient à dire "maintenant que j'ai mon permis de conduire, je ne vois plus de raison de respecter les stops et les feux rouges, les autres conducteurs n'ont qu'à éviter mon véhicule". Outre que ça implique que le pays concerné n'est pas digne de confiance puisqu'il n'a pas de parole, ça détruit toute possibilité d'accords internationaux crédibles. Qui peut donner crédit à un chiffon de papier dont les signataires annoncent benoîtement qu'ils ne respecteront que les parties qui les arrangent ?
Certes on trouvera toujours un fourbe déloyal pour dire à son fournisseur : "finalement j'ai trouvé un meilleur pote, je ne veux plus de tes sous-marins" mais ça pose quand même quelques problèmes.
Or les enjeux auxquels nous sommes confrontés (désastre climatique...) sont d'envergure mondiale, il y faut une réponse mondiale. Et je souhaite que cette réponse soit aussi démocratique que possible. Et donc que les démocraties engagent fermement leur parole pour les résoudre.
Relique a écrit: Les décisions européennes, politiques, n'ont rien d'un caractère sacré de type constitutionnel dont on puisse dire. La seule chose qui me semble plus difficile de changer pour le peuple français que ces dispositions, c'est la forme républicaine du Gouvernement qui ne peut pas faire l'objet d'une réforme constitutionnelle.
Effectivement les décisions européennes n'ont pas de caractère constitutionnel puisqu'elles n'ont valeur "que" de traités internationaux.
Pour votre seconde affirmation c'est doublement faux :
D'une part il est institutionnellement moins compliqué de renier un traité international que de changer la constitution.
D'autre part une réforme constitutionnelle pourrait mettre en place un royaume ou même une dictature si elle s'effectuait, formellement, selon les règles démocratiques définies par notre constitution. Par définition le contenu d'une réforme constitutionnelle n'est pas tenu de respecter la constitution antérieure.
Relique a écrit: Or ces traités, ces accords de commerce européens ou internationaux, ce droit de la concurrence et de la commande publique, pour ne citer qu'eux, sont presque aussi difficiles à modifier pour le seul peuple français que cela !
Car une fois qu'un gouvernement, qu'un parlement en Congrès ou dans la procédure parlementaire ordinaire a adopté accord, traité, directive, comment est-ce qu'un futur parlement peut les modifier, les réformer, les adapter à une nouvelle majorité d'idée, une alternance politique?
La difficulté se situe plus dans les relations avec les autres pays signataires que dans les procédures françaises. Sauf erreur, par parallélisme des formes un traité peut être quitté de la même manière qu'il a été ratifié.
Relique a écrit:
Alors oui, cela veut dire "une union européenne à la carte", comme on dit. Où les gouvernements décident démocratiquement de ce qui leur convient politiquement et ce qui ne leur convient pas. C'est exactement ce qui se développe depuis le début des années 1990. L'UE à la carte, c'est une réalité depuis l'accroissement de l'influence de l'UE dans nos lois à travers l'acte unique qui visait à créer ce fameux marché unique. Certains pays n'ont pas accepté certaines dispositions de Maastricht, de Schengen, certains n'adoptent pas et n'adopteront jamais l'UEM et l'euro, etc.. Et en même temps, des pays non membres de l'UE acceptent certaines politiques: Schengen, Erasmus, Europol, l'euro, etc..
Cette UE à la carte me semble en effet une bonne voie pour que nos pays travaillent ensemble. (vous noterez que je n'ai mis dans cette phrase ni mention sur le niveau d'intégration souhaitable, ni mention sur les limites géographiques envisageables).
Le problème ne se pose que si l'un des pays membres souhaite revenir sur un engagement qu'il a ratifié - ce qui semble être le cas, par exemple, du gouvernement polonais actuel.
Encore une fois si on s'est tous mis d'accord sur un code de la route commun, chacun se doit de le respecter.
Relique a écrit:Le seul moyen d'avoir une UE qui fonctionne, qui soit acceptée politiquement par chaque peuple européen, c'est d'avoir une organisation qui fonctionne par projet.
C'est un moyen, peut-être le meilleur, mais assurément pas le seul.
Relique a écrit: Ces projets seront à "géographie variable", tout simplement parce que, oui, nous n'avons pas les mêmes aspirations politiques ou économiques que les lituaniens, les luxembourgeois, les grecs ou les irlandais ! En quoi est-ce que cela vous surprend alors que la France n'a ni connu le joug de l'URSS, n'est pas un paradis fiscal, n'est pas harcelée politiquement et militairement par la Turquie, n'a pas une partie de son territoire contrôlée par le Royaume-Uni. Bien sûr que ces différences fondent des aspirations politiques et économiques différentes : la Lituanie souhaite une indépendance totale, notamment énergétique, militaire et économique, de la Russie, et fait l'amalgame entre communisme, socialisme et despotisme, influençant ses votes et ses aspirations politiques; le Luxembourg en tant que pays ne vivant que grâce à son statut de paradis fiscal ne peut pas partager nos aspirations à une fiscalité juste sur le capital; la Grêce qui voit la Turquie la harceler dans ses mers avec ses navires de guerre ne peut pas se permettre de diminuer ses dépenses de défense qui grèvent énormément son budget; l'Irlande qui subit depuis une centaine d'année la partition de son île ne peut pas accepter Schengen lorsque le Royaume-Uni ne l'accepte pas et que l'accord de libre circulation entre les deux pays est la pierre angulaire de la paix civile dans son pays...
Oui, nous avons des aspirations différentes, dues à nos histoires, nos cultures différentes. Et vouloir "approfondir" n'a, dans ce cadre, aucun sens. Ce qu'il faut c'est permettre à ces pays européens si différents de trouver des projets sur lesquels s'allier, coopérer. Certains projets pourront se faire à 6, 9 ou 12 pays, et pas forcément les mêmes, car nous n'avons pas les mêmes intérêts.
Oui nous avons tous une histoire différente, tout comme le Pays Basque, la Savoie et l'Alsace ont une histoire différente, mais nous avons aussi une histoire européenne commune. Sans remonter à la préhistoire, les contrées européennes ont toutes connu à des degrés divers l'expansion celtique, les empires romain et carolingien, l'invasion des Goths et celle des Huns, le moyen-âge et l'organisation de la société sur le mode féodal, l'emprise du christianisme, la révolution de l'imprimerie, les influences slave et germanique, les guerres napoléoniennes, la révolution industrielle et les mouvements de population qu'elle a entraînés, etc... Certes le Nord a connu les vikings et la ligue hanséatique pendant que le Sud luttait contre les armées musulmanes. Doit-on en conclure que la Normandie et Poitiers n'ont pas une histoire commune ? Les régions de l'Est de la France (ou alpines) sont envahies par les camions qu'une écotaxe permettrait de réguler, tandis que des bretons ont brûlé les portiques de peur que cette écotaxe les relèguent au bout du monde (ce qui est idiot vu le nombre de ports qui desservent cette région). Doit-on exclure ces régions du territoire français au prétexte de ces aspirations différentes ? N'ont-elles pas aussi un projet commun ?
Le projet européen se base justement sur les "critères de Copenhague", la démocratie, la solidarité, le respect du droit et celui des droits de l'Homme. Je ne vois aucune raison de le contester, même si je vois de multiples raisons de contester la majorité actuelle au sein des institutions européennes.
Relique a écrit:C'est aussi ça le sens de la candidature de Montebourg, et notre conversation n'a donc rien d'hors-sujet. Autant profiter de la présidentielle pour débattre ;)