de vudeloin » Lun 5 Sep 2011 17:20
A ce stade de la réflexion, il me semble bienvenu de poser la question de l’endettement d’une manière qui n’est pas vraiment envisagée ces temps derniers et qui, pour le coup, complètera ce que j’ai déjà pu écrire sur le sujet.
Nous avons déjà vu que l’endettement de la France s’était largement accru depuis 1985 au fur et à mesure du fait que nous étions entrés dans une exténuante course au « moins disant « fiscal, faisant de la réduction des impôts ( et singulièrement de ceux des entreprises ou des ménages les plus aisés ) et social, c'est-à-dire d’une mise en coupe réglée de la Sécurité Sociale, la réduction continue des recettes ayant conduit à la croissance des déficits.
Le pari macro économique sur lequel se fondait cette démarche avait deux origines : d’une part, la fameuse globalisation des échanges de marchandises et, surtout, de capitaux, en quelque sorte à l’externe et, en interne, la croyance plus ou moins établie que le potentiel de croissance de notre pays serait d’autant plus sollicité qu’on laisserait du « mou « aux investisseurs et aux acteurs économiques.
En clair, qu’à raison de la baisse de leurs impositions, les entreprises investiraient et créeraient de l’emploi et que les ménages les plus aisés feraient les « bons arbitrages «, apportant leur écot au financement de l’économie.
Le problème, c’est qu’une grande part de l’argent qui a ainsi été rendu aux uns et aux autres a été utilisé de manière assez peu productive, et pour tout dire assez nettement gaspillée, notamment dans des opérations de recapitalisation, de prises de contrôle et j’en passe.
Baisser les impôts, pourquoi pas mais privatiser en même temps une partie des banques nationalisées en 1945 ou en 1981 et des entreprises itou, c’était risquer de voir la baisse des impôts captée par les tensions spéculatives immédiatement apparues sur ces titres.
L’exemple de TF1, manifestement sous évaluée ( comment laisser penser l’espace d’un instant, que l’on ait pu évaluer la première chaîne de télévision qui, d’une certaine manière, appartenait déjà aux Français qui l’avaient financée avec la redevance ) en est un exemple.
Et, dans le même temps, la progression des titres de dette publique, et de leur présence sur les marchés favorisait également le « recyclage « des impôts d’avant en placements du jour, inversant en fait le flux financier de l’Etat vers les investisseurs.
Cette politique a vite montré ses limites : dès le début des années 90, les entreprises françaises se sont trouvées en situation d’autofinancement brut particulièrement important, disposant de ressources largement supérieures à leurs besoins et à la valeur de leurs investissements.
D’ailleurs, la logique interne des investissements est restée marquée par deux impératifs : le premier, celui du simple renouvellement de l’appareil de production et le second, bien plus redoutable, celui de la substitution du capital au travail dans le circuit de production.
L’une des raisons profondes de la déperdition d’emplois industriels dans notre pays tient dans cette double logique : celle du maintien pur et simple des capacités de production au niveau atteint à un moment donné et celle de la progression de la productivité unitaire de chaque salarié, par organisation d’un circuit de production où les machines se substituaient à l’homme de plus en plus.
Et qu’on ne s’y trompe pas, le développement de certains investissements ( informatique, Internet ) n’a, dans bien des cas, pas changé fondamentalement l’orientation qui visait concrètement à permettre, dans un contexte de réduction des contraintes fiscales et sociales, à tirer également parti de l’allégement de la part des salaires dans la valeur ajoutée, ou les « coûts de production « , selon la terminologie en vigueur.
Le développement de l’emploi déqualifié, la persistance d’un chômage massif et l’émergence de formes de travail de plus en plus précarisées sont les signes patents de l’échec du pari macro économique tenté au milieu des années 80.
Une dégradation de la qualité de l’emploi qui doit lever toute illusion sur le niveau des créations d’emplois dans le secteur dit marchand ( au demeurant, ce n’est pas lui qui a créé le plus d’emplois dans la dernière période ) et qui va a contrario du mouvement général de relèvement de qualification de la population.
Parce que, voyez vous, nous avons peut être et même sûrement 150 000 jeunes par génération qui sortent du système scolaire sans diplôme et parfois aux prises avec les pires difficultés d’insertion sociale et professionnelle, mais nous avons aussi beaucoup plus qu’avant des jeunes diplômés et qualifiés, portant l’ensemble de la population active à un niveau de formation initiale inégalée dans l’histoire du pays.
C’est aussi dans ce chômage massif de la jeunesse, quelque soit sa qualification, que réside l’échec ( ou le scandale ) des choix opérés il y a maintenant plus de vingt cinq ans.
Revenons en à l’endettement puisque, faute de voir l’argent laissé dans les mains des acteurs économiques trouver une bonne utilisation, les déficits publics n’ont cessé de croître et d’embellir, et leur contrepartie s’installer dans la dette publique, pour le moins celle de l’Etat et celle de la Sécurité Sociale.
Car, voilà, la grande affaire de la dette 2011, par rapport aux années antérieures, c’est que la dette ne trouve pas son origine dans un effort particulier d’investissement de la Nation mais dans le cumul des moins values fiscales et des pertes de recettes en découlant.
En 1914 – 18, en tout cas à la fin de la guerre, la France était endettée mais tout simplement, si l’on peut dire, parce que l’Etat avait du mener une politique expansionniste d’endettement au seul motif de financer l’effort de guerre et qu’il fallait le faire avec une économie dont une bonne partie des régions industrielles ( le Nord Est pour tout dire ) était soit sous occupation allemande, soit au cœur de la ligne de front.
Dans les années 60, l’Etat était endetté tout simplement parce qu’il fallait porter l’effort d’investissement de l’ensemble de la Nation, après avoir du digérer le coût des aventures guerrières coloniales en Indochine et en Algérie.
Jusqu’en 1972, le budget général dégageait une sorte d’excédent de fonctionnement et ce n’était que les dépenses d’équipement qui grevaient les comptes et pouvait conduire au déficit.
Et que la dette publique de l’époque nous a valu le TGV, le réseau de téléphonie fixe que nous avons, sans oublier les équipements sportifs, les autoroutes ou encore les équipements à vocation culturelle.
Et qu’on pouvait aussi, par exemple, regretter qu’une part non négligeable de l’effort d’investissement du pays soit consacrée au développement de la force de frappe nucléaire ou de l’équipement de nos armées.
Le truc, c’est qu’en 2011, après d’autres millésimes guère meilleurs, l’effort d’investissement de la Nation, tel qu’inscrit en loi de finances, est particulièrement faible, se situant autour de 12 milliards d’euros environ.
Et que, pour ces misérables 12 milliards d’euros ( toutes proportions gardées, bien entendu ), nous allons lever pour 184 milliards d’euros de titres de dette négociable et 191,1 milliards d’euros au total.
Sur ces 191,1 milliards, 48,7 milliards vont être utilisés à amortir des titres de dette de long terme venant à échéance et 46,1 milliards à amortir des titres de moyen terme ( en clair, dans le premier cas, plutôt des OAT, dans le second, plutôt des BTAn ), l’autre moitié étant consacrée à la couverture du déficit budgétaire dont nous avons donc dit qu’un peu plus de 12 milliards étaient consacrés aux investissements nouveaux.
Ce qui montre que cela fait donc belle lurette, pour ceux qui l’auraient oublié, que l’Etat émet de nouveaux titres de dette pour amortir les précédents avant toute autre considération.
Mais, hélas, pas pour investir dans ce qui pourrait constituer un levier complémentaire de développement et de création de richesses.
La Banque Centrale Européenne, dotée du pouvoir monétaire que les Etats membres de la zone euro lui ont dévolu, peut elle intervenir dans ce schéma ?
D’aucuns proposent qu’elle intervienne sur le « marché secondaire « en rachetant autant que faire se peut la dette publique des Etats membres.
A la vérité, il vaudrait mieux dans les faits qu’elle consacre plutôt ses efforts à doter les pays membres de l’euro des moyens financiers de répondre à des exigences de développement et de valorisation des potentiels économiques existants.
Je n’aurais rien contre, à dire vrai, que la BCE accorde chaque année à la France 25 ou 30 milliards d’euros non pour réduire sa dette ou la racheter, mais pour lui permettre de constituer les facteurs d’une nouvelle croissance, en favorisant tel ou tel investissement public producteur des ressources futures permettant de réduire durablement les déficits.
Nous devons, par exemple, envisager la question de la conversion énergétique de notre pays, de par l’épuisement prévisible des ressources fossiles et la péremption à venir de notre parc nucléaire.
On fait comment pour créer les conditions d’une mutation ne remettant pas en cause notre niveau de vie, nos capacités de production, permettant par exemple une utilisation économe des carburants, valorisant les modes de transport à externalité peu coûteuse ?
Si on repousse le moment de s’y mettre, au motif qu’on manque d’argent, alors quand le fera t on ?
Créer un cycle vertueux de réduction des déficits ne peut pas passer uniquement par un accroissement des impôts, fût il animé des meilleures intentions et notamment du souci de « faire payer les riches « , ou ceux et celles qui peuvent payer.
Je note d’ailleurs, pour le coup, que le débat fiscal est assez largement polarisé sur les niches fiscales, et singulièrement celles concernant l’impôt sur le revenu, alors même que les niches ne sont que la partie émergée de l’iceberg des mesures fiscales et sociales dérogatoires qui ont conduit la France ( et d’autres pays en Europe ) à la situation que nous connaissons.
Ainsi, par exemple, le régime des sociétés mères et filiales, qui coûte au bas mot 23,3 milliards d’euros au budget de l’Etat ne bénéficie qu’à 42 000 entreprises, parmi les deux millions d’entreprises de notre pays.
Et le régime d’intégration des groupes coûte au moins 18,4 milliards d’euros au budget, pour 80 000 bénéficiaires.
Et encore s’agit il là des derniers chiffrages connus, ceux de 2009, puisque le « déclassement « de ces niches fiscales en « modalités particulières d’imposition « les a fait disparaître de la liste des « niches « .
Franchement, 41,7 milliards d’euros dépensés pour permettre aux entreprises de se restructurer juridiquement, de créer des flux artificiels de TVA déductible ( une dépense de plus ! ), d’investir à l’étranger ou de délocaliser leur production, ce n’est pas un peu de trop ?
A l’autre bout de la chaîne, si l’on peut dire, vous avez les 400 euros de coût moyen des 10 % d’abattement sur le revenu des retraités ou la décote des petites cotisations d’IR qui représente 1,975 milliard d’euros mais pour 13 millions de contribuables, soit une moyenne de 152 euros annuels ( environ 1 000 francs ) de cette « douceur « fiscale…
Près de deux milliards d’euros que les plus modestes, rivés aux cours de la Bourse, doivent sans doute investir dès livraison sur les valeurs spéculatives, le franc suisse ou le lingot d’or !
Bref, réduire la dette, dans un premier temps, me semble t il, va devoir passer par une dépense publique nouvelle et renforcée, créatrice d’emplois.
Et l’emploi, c’est le plus sûr moyen de faire durablement réduire les déficits.