ChristianC. a écrit:Le site du Robert-Koch-Institut:
https://experience.arcgis.com/experienc ... 327b2bf1d4
donne les chiffres de l'épidémie en Allemagne.
Ce matin à OOhOO, il recensait 18.610 malades et 55 morts.
Le nombre journalier de nouveaux cas est en baisse depuis le 18 mars: 2.800 cas ce jour là , 2.300 le 19, 1.800 le 20 et 643 hier 21.
Il y avait déjà eu une petite décrue entre le 13 et le 15: 1.300 le 13, 1.200 le 14, 841 le 15, avant une remontée du 16 au 18: 1.800 le 16, 2.600 le 17 et donc 2.800 le 18.
Tous les länder ne sont pas (encore) également touchés et globalement ceux de l'Est le sont nettement moins que ceux de l'Ouest.
Par ailleurs, une amie allemande me dit que les mesures de précautions sont actuellement décidées au niveau des länder et qu'il n'y a pas (encore ?) de confinement général. Certains ministres-présidents y sont hostiles au nom du respect des liberté publiques.
Il me semble que cette situation allemande, moins immédiatement angoissante au plan médical et plus rassurante au plan politique, est très peu médiatisée en France, où l'on insiste surtout sur le désastre italien, et où l'on met en avant ce (se sert de ce ?) désastre italien pour faire accepter des mesures de confinement toujours plus restrictives (avec contrôles à grand spectacle et stigmatisation médiatique des cas d'"indiscipline"). Devant l'épidémie, le gouvernement suit sa pente, autoritaire et policière, et les médias suivent la leur, spectaculaire et disciplinée.
Pour moi, j'applique strictement les consignes; mais je n'aime pas que l'on me demande de me mettre au garde à vous devant l'autorité paternelle du Gouvernement qui pense pour moi et me gronde si je ne fais pas ce qu'il me dit.
Marcy a écrit:Je pense donc, comme Christian C., que les (grands) médias français se comportent effectivement en bonnes agences de bourrage de crâne, comme en temps de guerre. Ce n'est pas nouveau, mais le fait que ce soit apparemment une spécificité française nous prépare des lendemains qui déchantent : un peuple qui applaudit un gouvernement quand il prend des mesures attentatoires aux libertés (cf. les cotes de popularité qui montent en flèche des têtes de l'exécutif, alors que j'estime la crise mal gérée), aussi nécessaires soient-elles, l'appui inconditionnel des médias aux mesures gouvernementales, le refus globalement d'analyser ce qui se passe à l'étranger en ayant une vision franco-française étriquée des réponses à apporter (qu'on se souvienne des sarcasmes contre les Chinois lorsqu'ils étaient confrontés à la pandémie), est un peuple prêt pour accepter un gouvernement nationaliste autoritaire.
Marc Bloch a écrit:Ce n’est pas seulement sur le terrain militaire que notre défaite a eu ses causes intellectuelles. Pour pouvoir être vainqueurs, n’avions-nous pas, en tant que nation, trop pris l’habitude de nous contenter de connaissances incomplètes et d’idées insuffisamment lucides ? Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable, en lui-même, de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système, prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. Passe encore si l’on avait eu à déplorer seulement les mensonges et les omissions, coupables, certes, mais faciles en somme à déceler, qu’inspire l’esprit de parti ouvertement avoué. Le plus grave était que la presse dite de pure information, que beaucoup de feuilles même, parmi celles qui affectaient d’obéir uniquement à des consignes d’ordre politique, servaient, en fait, des intérêts cachés, souvent sordides, et parfois, dans leur source, étrangers à notre pays. Sans doute, le bon sens populaire avait sa revanche. Il la prenait sous la forme d’une méfiance croissante envers toute propagande, par l’écrit ou par la radio. L’erreur serait lourde de croire que l’électeur vote toujours « comme le veut son journal ». J’en sais plus d’un, parmi les humbles, qui, recevant chaque jour le quotidien du cru, vote, presque constamment, contre lui et peut-être cette imperméabilité à des conseils sans sincérité nous offre-t-elle, aujourd’hui, dans l’état où nous voyons la France, un de nos meilleurs motifs de consolation, comme d’espoir. On avouera cependant que, pour comprendre les enjeux d’une immense lutte mondiale, pour prévoir l’orage et s’armer dûment, à l’avance, contre ses foudres, c’était là une médiocre préparation mentale. Délibérément — lisez Mein Kampf et les conversations avec Rauschning — l’hitlérisme refuse à ses foules tout accès au vrai. Il remplace la persuasion par la suggestion émotive. Pour nous, il nous faut choisir : ou faire, à notre tour, de notre peuple un clavier qui vibre, aveuglément, au magnétisme de quelques chefs (mais lesquels ? ceux de l’heure présente manquent d’ondes) ; ou le former à être le collaborateur conscient des représentants qu’il s’est lui-même donnés. Dans le stade actuel de nos civilisations, ce dilemme ne souffre plus de moyen terme... La masse n’obéit plus. Elle suit, parce qu’on l’a mise en transes, ou parce qu’elle sait
Était-ce donc que nos classes aisées et relativement cultivées, soit par dédain, soit par méfiance, n’avaient pas jugé bon d’éclairer l’homme de la rue ou des champs ? Ce sentiment existait, sans doute. Il était traditionnel. Ce n’est pas de gaîté de cœur que les bourgeoisies européennes ont laissé « les basses classes » apprendre à lire. Un historien pourrait citer là -dessus bien des textes. Mais le mal avait pénétré plus loin dans les chairs. La curiosité manquait à ceux-là mêmes qui auraient été en position de la satisfaire. Comparez ces deux journaux quasi homonymes : The Times et Le Temps. Les intérêts, dont ils suivent, l’un et l’autre, les ordres, sont de nature semblable ; leurs publics des deux côtés, aussi éloignés des masses populaires ; leur impartialité, également suspecte. Qui lit le premier, cependant, en saura toujours, sur le monde, tel qu’il est, infiniment plus que les abonnés du second. Même contraste d’ailleurs entre notre presse la plus orgueilleuse de ce qu’elle nomme sa « tenue » intellectuelle et la Frankfurter Zeitung, par exemple : la Frankfurter d’avant l’hitlérisme, voire celle encore d’aujourd’hui. Le sage, dit le proverbe, se contente de peu. Dans le domaine de l’information notre bourgeoisie était vraiment, au sens du sobre Épicure, terriblement sage.
Cent autres symptômes confirment celui-là . Au cours de deux guerres, j’ai fréquenté beaucoup d’officiers, de réserve ou d’active, dont les origines étaient extrêmement diverses. Parmi ceux qui lisaient un peu et déjà étaient rares, je n’en ai presque vu aucun tenir dans ses mains un ouvrage propre à mieux lui faire comprendre, fût-ce par le biais du passé, le temps présent. J’ai été le seul à apporter, au 4e bureau, le livre de Strasser sur Hitler ; un seul de mes camarades me l’a emprunté. La misère de nos bibliothèques municipales a été maintes fois dénoncée. Consultez les budgets de nos grandes villes : vous vous apercevrez que c’est indigence qu’il faudrait dire. Au temps où l’Allemagne ne brûlait pas encore les livres, j’eus l’occasion de pénétrer vers le 1er novembre 1918, à Vouziers, dans une « bibliothèque de campagne » abandonnée par les troupes ennemies en retraite. Elle contenait bien autre chose que des romans policiers ou des tracts politiques. Avons-nous jamais rien tenté de pareil ? Aussi bien n’est-ce pas seulement à l’art de connaître les autres que nous nous sommes laissés devenir étrangers. La vieille maxime du « connais-toi toi-même », qu’en avons-nous fait ? On m’a raconté que dans une commission internationale, notre délégué se fit moquer, un jour, par celui de la Pologne : de presque toutes les nations, nous étions les seuls à ne pas pouvoir produire une statistique sérieuse des salaires. Nos chefs d’entreprises ont toujours mis leur foi dans le secret, favorable aux menus intérêts privés, plutôt que dans la claire connaissance, qui aide l’action collective. Au siècle de la chimie, ils ont conservé une mentalité d’alchimistes. Voyez encore les groupes qui, naguère, se sont donné chez nous pour mission de combattre le communisme. De toute évidence, seule une enquête honnêtement et intelligemment conduite, à travers le pays, pouvait leur fournir les moyens de connaître les causes d’un succès dont ils s’inquiétaient si fort ; par suite d’en entraver peut-être la marche. Qui dans leurs rangs s’en est jamais avisé ? Peu importe, ici, le dessein politique. Qu’on l’approuve ou le blâme, le symptôme vraiment grave est que la technique intellectuelle de ces puissantes associations d’intérêts se soit montrée à ce point déficiente. Comment s’étonner si les états-majors ont mal organisé leurs services de renseignements ? Ils appartenaient à des milieux où s’était progressivement anémié le goût de se renseigner ; où, pouvant feuilleter Mein Kampf, on doutait encore des vrais buts du nazisme, où, parant l’ignorance du beau mot de « réalisme », on semble en douter encore aujourd’hui.
ChristianC. a écrit:Merci pour cet admirable texte.
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