Je vous remercie pour ces comptes rendus qui permettent d'éclairer la situation et notamment le déroulé de la prise de décision. Je me permets de rajouter le lien avec la page publiant les avis puisque de nouveaux avis viendront très probablement à être publiés :
https://solidarites-sante.gouv.fr/actua ... e-covid-19La lecture de ces documents m'inspire certaines remarques quant à la gestion de la crise. Je me concentrerai exclusivement sur l'aspect lié à la réduction des interactions sociales et la question des municipales. Je fais déjà la synthèse de ces documents.
A ma connaissance, le comité scientifique a été installé le 11/03 et il rend donc son premier avis le 12/03 (jeudi). C'est cet avis qu'il est avant tout important de lire pour connaitre le niveau de compréhension de la situation et des mesures à prendre jeudi dernier. Dans cet avis, il apparait que :
- la gravité de la situation sanitaire et la nécessité de prendre des mesures drastiques de distanciation sociale pour contrôler de la situation étaient déjà pleinement comprises par le comité et communiquées au gouvernement. Il est notamment fait référence à la nécessité de diminuer de 60% les interactions sociales avec une grande célérité. Pour cela, le comité recommande notamment la fermeture des crèches et des écoles.
- il est indiqué que l'effet des mesures prises ne pourra être mesuré sur le nombre de cas qu'après un délai de 2 à 3 semaines (donc pas immédiatement). Il est également fait référence à la modélisation de N. Ferguson (Imperial College), non publiée à l'époque, dont la presse s'est fait l'écho hier et qui est passablement pessimiste. L'étude est consultable ici :
https://www.imperial.ac.uk/media/imperi ... 3-2020.pdf- il est précisé que la réalisation de l'objectif de diminution drastique des interactions dépend de la compréhension de cette nécessité de réduction drastique des interactions par les individus ainsi que l'adhésion à cet objectif par la population.
- il est recommandé au gouvernement d'agir de la plus transparente possible et notamment de publier les avis du comité.
- sur les municipales, il est indiqué que, d'un point de vue strictement sanitaire, elles peuvent se tenir à condition de respecter strictement les consignes sanitaires (lavage de mains, distances, etc.) Il ne se prononce pas sur l'opportunité de les maintenir (en précisant que cela dépend du politique) mais indique que leur report doit être politiquement consensuel.
Sur ces mêmes éléments, l'avis du 14/03 (samedi) mentionne que :
- les mesures de distanciation sociale ne sont pas suffisamment adoptées par manque d'adhésion ou de compréhension et qu'il convient de renforcer les mesures prises pour s'assurer de l'adoption des mesures (il recommande notamment la fermeture des bars et des restaurants).
- Ã nouveau, il recommande la publication de l'avis.
- sur les municipales, les mêmes recommandations sont formulées mais l'avis relatif à la tenue du second tour pourrait être différents (concrètement, que le report pourrait être recommandé).
L'avis du 16/03 (lundi) formule les mêmes points, en recommandant le durcissement des mesures afin d'assurer une distanciation sociale suffisante (encore une fois, liée à l'adhésion trop faible des individus par rapport à l'objectif global) et recommande le report du second tour des municipales.
Ceci étant posé, il est donc clair que :
- la dynamique épidémique était parfaitement comprise dès le 12/03 ainsi que les risques de saturation du système hospitalier et rien de cela n'a pas changé depuis lors. Il était précisé que les résultats des mesures ne pourraient se voir qu'après un délai de 2 semaines. Il est était donc impossible de mesurer "scientifiquement" l'efficacité des mesures prises dans les 2-3 jours suivant leur mise en oeuvre. Quand le gouvernement explique qu'il renforce les mesures car les données scientifiques ont changé, c'est par conséquent inexact.
- l'ensemble du durcissement des mesures s'explique non par la dégradation sanitaire mais par une adhésion trop lente et trop partielle aux mesures de distanciation sociale. Le comité précisait que cette adhésion dépendait de manière déterminante de la communication gouvernementale. A cet égard, on peut formuler de nombreuses critiques :
1/ le discours de Macron de jeudi était insuffisamment clair et ferme à cet égard - l'objectif de réduction de 60% des interactions n'était pas indiqué et, à son écoute, on peut sincèrement penser qu'on ne peut modifier son comportement qu'assez marginalement, pas drastiquement ;
2/ le discours de Philippe de samedi est plus ferme à cet égard ce qui était bienvenu mais maintenir le 1er tour des municipales alors même que le conseil scientifique n'offrait aucune garantie quant à son avis pour le 2nd tour et qu'il y avait consensus politique pour le report à ce moment là est incompréhensible. A cet égard, si d'un point de vue strictement sanitaire dans les bureaux de vote la tenue du 1er tour ne présentait pas de problème particulier sous réserve du respect des consignes (comme indiqué par le comité), d'un point de vue de communication et de compréhension de la population pour l'application immédiate d'une importante distanciation sociale, c'était complètement incohérent ;
3/ le bruit de fond médiatique ainsi d'ailleurs que la communication gouvernementale jusqu'à la moitié de semaine dernière et depuis plusieurs semaines ayant été absurdement rassurants, cette absence de clarté de la part des autorités entre jeudi dernier et lundi est d'autant plus incompréhensible car il était clair qu'il fallait que la prise de conscience ait lieu très rapidement (c'était mon avis à l'époque mais c'était également celui du comité scientifique). Cette absence de clarté et d'adhésion rapide ont mené à devoir prendre des mesures draconiennes pour le même résultat, ce qui aura un coût très important. D'ailleurs, on a encore pu constater une certaine mollesse du discours de Macron lundi au regard des consignes, heureusement compensée par Castaner peu après. Dans ce genre de situation, on a besoin avant tout de clarté pas de poésie.
- je note que la publication des avis du comité a eu lieu lundi alors que cette publication était recommandée par ce même comité dès jeudi. Cela illustre un autre problème dans la gestion de cette crise qui est le manque de transparence des autorités : c'est vrai ici, c'est vrai dans la diffusion malthusienne des données épidémiologiques, c'est vrai aussi dans l'habitude qu'a prise le gouvernement de se "cacher" derrière le comité scientifique comme si c'était lui qui décidait (ce que le comité d'ailleurs rejette très clairement dans ces avis).
Enfin, et là je sors de mon commentaire des avis, à mon sens, l'installation du comité scientifique le 11/03 a été beaucoup trop tardive. Dans mes cercles d'amis personnels, nous sommes au moins 5 à avoir suivi le timing suivant par rapport à la crise : inquiétude à partir de la semaine du 2/3, très vive préoccupation et discussion à propos de la nécessité d'un confinement généralisé rapide à partir du week-end du 7-8/3. Et je ne compte pas tous les gens avec qui je suis en relation sur Twitter qui tenaient le même discours. Il y a un profil commun aux gens qui tenaient ce discours à ce moment là : actifs relativement jeunes avec une formation scientifique (non médicale, la plupart du temps) et informés. D'ailleurs je précise non médicale parce que j'ai lu et vu beaucoup de médecins (bien que pas tous) minimiser la situation de manière dramatique pendant très longtemps. Donc, si nous étions en mesure de comprendre les dynamiques et de faire des calculs sur un coin de table dont les conclusions étaient d'une clarté limpide dès la semaine du 2/3, il est incompréhensible que le fameux comité scientifique n'ait été constitué que le 11/03. Je précise par ailleurs que sa mise en place anticipée aurait permis aux autorités de prendre conscience plus tôt de la pleine mesure du problème et de pouvoir accompagner plus graduellement le basculement de l'opinion publique vers la prise en conscience de l'impérieuse nécessité de la distanciation. Ceci aurait permis d'obtenir une atténuation forte de l'épidémie par auto-discipline plutôt que d'avoir à prendre des mesures drastiques (nécessaires désormais à ce stade) mais extrêmement coûteuses. Il y a là pour moi une faute à nouveau.