de Genaro Flores » Dim 15 Avr 2012 00:38
Après avoir longtemps tergiversé à se représenter, le très droitier Etienne Blanc (UMP), député de la 3ème circonscription depuis 2002 et maire de l’opulente commune thermale de Divonne-les-Bains (8000 habitants) à compter de 1991, a décidé vendredi 13 avril de repartir à l’assaut.
Il devra sortir le grand jeu s'il veut sauvegarder son pré-carré, terriblement menacé par l'ambitieux socialiste Jean-Marc Fognini, maire de Belley depuis 2008 puis conseiller général du canton éponyme trois ans plus tard.
Ayant vu le jour le 29 août 1954 à Givors (Rhône), Etienne Blanc aura toujours été élu dans un fauteuil à l’Assemblée nationale. Effectivement, il écrasera à chaque fois au second tour son adversaire de gauche par quelques 60% des suffrages, que ce soit en 2002 contre Hubert Bertrand (PRG) ou 2007 contre Françoise Rigaud (PS), où il manquera pour trois voix de l’emporter immédiatement.
En réalité, ces triomphes, plus que la personnalité d’Etienne Blanc, reflètent d’abord le conservatisme historique de cette contrée, à forte empreinte giscardienne, qui sous la Vème République n'aura jamais basculé à gauche. N’aura-t-elle pas été ainsi le bastion de Charles Million, député de 1978 à 2002 (excepté entre 1995 et 1997 où il devient ministre de la Défense), et parallèlement maire de Belley de 1977 à 2001 ? Ce Bugiste sera connu avant tout pour avoir placé le curseur dans le camp de la réaction en pactisant avec le Front national en 1998 afin de se faire élire président du Conseil régional Rhône-Alpes. Un de ses disciples inconditionnels, celui qui le suivra aveuglement dans son équipée sauvage, jalonnée par la création de la Droite puis de la Droite libérale-chrétienne (en quelque sorte, ancêtre de l'actuelle Droite populaire de Thierry Mariani), ne sera autre qu’Etienne Blanc.
Trois pays dans la 3ème
Constellé de 70 communes et peuplé de 120000 âmes, ce territoire disparate occupe l'extrémité orientale du département. Après le découpage électoral de 2009, trois pays la dessinent :
- Le Bas-Bugey, formé des cantons de Belley, capitale historique du Bugey, et Seyssel, qui pâtit de son enclavement, source d’une inéluctable désindustrialisation (aucune implantation d’entreprise depuis dix ans).
- Le Bassin bellegardien, rassemblé dans le canton de Bellegarde-sur-Valserine, 4ème ville de l’Ain (près de 12000 habitants), en voie d’extinction industrielle, illustré par la fermeture de l’un de ses ultimes fleurons le 22 décembre 2011, à savoir l’atelier Lejaby.
- Enfin, le Pays-de-Gex, agrège trois cantons, ceux de Collonges, Ferney-Voltaire et Gex, frontaliers avec les cantons de Genève et de Vaud (Suisse). Totalement coupé du reste du département par la Haute Chaîne du Jura culminant à 1720m au Crêt de la Neige, il intègre ce qu’on dénomme aujourd’hui l’agglomération franco-valdo-genevoise. La démographie y est galopante et l’industrie de pointe dominante avec en particulier le fameux CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire). Un CERN qui est à cheval entre les communes de Prévessin-Moëns (Jean-Paul Laurenson, maire divers gauche) et Saint-Genis-Pouilly (Hubert Bertrand, maire PRG) ainsi que celle de Meyrin appartenant au canton de Genève.
Un quintuple handicap pour Blanc
Tout laisse à penser, et ce quel que soit le résultat de la présidentielle qu’Etienne Blanc n’aura pas la partie facile, comme l’atteste en premier lieu l’évolution électorale de ces cinq dernières années. Aux cantonales de 2011, trois cantons sur les six que renferme la 3ème circonscription ont en effet basculé à gauche : Belley, Fernay-Voltaire et Seyssel, avec à chaque fois un écart assez important.
Concernant Belley, la victoire est revenue à Jean-Marc Fognini (PS) avec 52,9%, qui trois ans auparavant avait fait tomber dans l’escarcelle du camp progressiste avec 51,41%, et ce après deux simples parenthèses de gauche depuis la Libération, la commune centre, peuplée d’un peu moins de 9000 âmes. Conséquence de ses retentissants succès électoraux, Fognini aura l’honneur en juin prochain de tenter de ravir le siège réputé indéboulonnable, il n’y a pas si longtemps encore, d’Etienne Blanc.
A propos du canton de Seyssel qui englobe la commune de Culoz (3000 habitants), important nœud ferroviaire, la droite a dû rendre les armes face à Christophe Berardi (54,2%), porte-parole du PS dans l’Ain.
Enfin, le canton frontalier de Ferney-Voltaire est passé sous la coupe de Jean-Paul Laurenson (53,8%), maire de Prévessin-Moëns, proche du PS, et ce en dépit d'une gauche singulièrement émiétée.
Quant aux trois autres cantons, deux, non-renouvelés en 2011, en sont la chasse gardée de la droite : d’une part, celui de Collonges (Daniel Juliet, maire divers droite de Farges, village de presque 900 âmes), modéré, gagné par la ruralité ; d’autre part, celui de Gex (Gérard Paoli, maire UMP de Gex, sous-préfecture de 10000 habitants), très marqué à droite, urbain, où se trouve Divonne-les-Bains dont Etienne Blanc est, rappelons-le, le premier magistrat.
Pour terminer, le 3ème canton, celui de Bellegarde-sur-Valserine, est resté l’an passé facilement aux mains de l’omniprésent socialiste Guy Larmanjat (68,4%) qui l’a chipé à la droite en 2002, par ailleurs conseiller municipal d’opposition dans la ville centre à partir de 2008.
Second talon d’Achille pour Etienne Blanc, l’évolution sociologique dans le Pays-de-Gex dont la proximité de Genève et l’explosion de l’industrie de pointe drainent une classe moyenne supérieure sensible aux idéaux de gauche.
Autre perfectibilité pour le député UMP, la retraite définitive de son mentor Charles Millon, agé maintenant de 66 ans, consécutive à sa cuisante défaite aux sénatoriales de 2008 nonobstant un collège électoral majoritairement à droite.
Contexte économique délicat
Un vent contraire qui risque également d’être violent est la conjoncture économique locale qui n’est pas favorable à la droite comme en témoigne la disparition d’entreprises, à l’instar donc de Lejaby à Bellegarde-sur-Valserine. La névralgique gare de Culoz (Bas-Bugey), aux confins des deux Savoie, ne verra plus les TGV s’arrêter, la SNCF prétextant l’ouverture le 12 décembre 2010 des 65km de la ligne dite des Carpates reliant Bourg-en-Bresse à Bellegarde, engendrant le vif courroux des usagers et élus de tous bords politiques.
Par ailleurs, une décision prise le 29 mars par le ministre de l’Intérieur a suscité une levée de boucliers dans le département, aux mains du PS à compter de 2008 (président du Conseil général : le sénateur Rachel Mazuir). Il s’agit de la modification de la répartition des fonds frontaliers entre, d’un côté la démocrate-chrétienne Haute-Savoie (président du Conseil général : le divers droite Christian Monteil), et de l’autre l’Ain au dépens de celui-ci, pour motif que la première voit sa population croître plus rapidement.
Rentrons un peu dans le détail. Chaque fin d’année depuis 1973, le canton de Genève rétrocède aux deux départements 3,5% de la masse salariale des travailleurs frontaliers (188 millions d’euros en 2011). Cette manne genevoise compense ainsi le manque à gagner pour les communes françaises qui ne perçoivent pas d’impôts des frontaliers vivant sur leur sol. Or, la Haute-Savoie touchera désormais 80% de cette dotation contre 76 % auparavant, n’en laissant que 20% à l’Ain. Elu du Pays-de-Gex, secteur concerné au premier chef par ces fonds (certaines communes abritant plus de la moitié de frontaliers parmi leurs actifs), Etienne Blanc risque bien de payer les pots cassés devant cette nouvelle situation désavantageuse pour son fief. Surtout lorsque celle-ci est l’œuvre de ses propres amis politiques en place à Paris.
Enfin cinquième faiblesse, Etienne Blanc doit contenir, ce qui ne sera pas une sinécure, son redoutable adversaire socialiste Jean-Marc Fognini, 54 ans, qui risque bien de lui tailler des croupières. Depuis 2008, celui-ci aura donc tout raflé à Belley (mairie puis canton), au demeurant dans l’épicentre du millonisme. Edile du Bas-Bugey, il n’a pas oublié pour autant le dorénavant surpuissant Pays-de-Gex en choisissant comme suppléante la dynamique Geneviève Sacchi-Hassanein, 33 ans, adjointe à la culture à Ferney-Voltaire et qui aura beaucoup voyagé via les OI et les ONG. Remarquons encore que le Belleysan ne cesse de labourer le terrain, étant officiellement en piste depuis déjà quatre mois et demi.
De rares atouts pour Blanc
N'empêche, Etienne Blanc ne part pas battu. Lui aussi, il optera pour une suppléante originaire d’un terroir aux antipodes du sien, en l’occurrence le Bas-Bugey. Mais à l’heure actuelle, on ignore tout de sa personnalité. Une victoire de Nicolas Sarkozy, pourtant extrêmement hypothétique (doux euphémisme !), ne pourrait que le booster.
D’autre part, la primaire socialiste, le 1er décembre dernier, pour désigner le candidat dans la 3ème, a peut-être laissé des traces même si aujourd’hui le parti de la rose fait bloc derrière Fognini. Ce n’est en effet qu’après une rude joute que celui-ci a pris le dessus dès le premier tour sur deux émules présentant de sérieuses cartes de visite : Christophe Berardi, conseiller général de Seyssel à partir de 2011 et porte-parole du PS ; Henri Rédier de la Villatte, depuis 2008 conseiller municipal d’opposition à Gex et premier secrétaire fédéral du PS.
Enfin, la 3ème circonscription après le ciselage Marleix a été amputée de six cantons bugistes, transférés dans la nouvelle 5ème, correspondant au Haut-Bugey et partiellement au Bas-Bugey et à la vallée de l’Ain, Oyonnax, Ambérieu-en-Bugey et Nantua étant les principaux centres urbains. Ces six entités ont pour noms Brénod, Champagne-en-Valromey, Hauteville-Lompnes, Lhuis, Saint-Rambert-en-Bugey et Virieu-le-Grand.
Pour la gauche présente dans la 3ème, le coup est rude puisque elle détenait par le truchement de non-encartés ces six cantons (accaparant Lhuis et préservant Hauteville et Virieu en 2011), même si leur population est assez clairsemée, trois étant notamment montagnards (Brénod, Champagne et Hauteville). Cependant, le formidable essor que le PS a enregistré tout récemment à Belley et dans le pays gessien, sans parler de sa baronnie bellegardienne, devrait lui permettre d’abattre cette forteresse milloniste.
P.S. : Même si je réside en Haute-Savoie, j’ai pu concocter moi-même cet article dans son entièreté. En effet, le département de l’Ain ne m'est pas étranger à cause de son voisinage (situé à 25 minutes de mon domicile), mais surtout pour le sillonner en long et en large en tant que pigiste au « Dauphiné Libéré », responsable de la course à pied (et parallèlement compétiteur) dans le 01.
Genaro Flores
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Genaro Flores le Lun 16 Avr 2012 13:11, édité 7 fois.