Jacques Victor peut-il être battu ?
Avec Philippe Rossini, la droite voudrait bien reconquérir ce canton des quartiers Est de Nice tenu depuis treize ans par le conseiller général communiste. Enquête.
Tout faire pour oublier 1998 : c’est la feuille de route délivrée par Christian Estrosi aux candidats qu’il a adoubés pour les élections cantonales des 20 et 27 mars prochains. 1998 ? Une année noire pour la droite azuréenne. L’UDF et le RPR perdent non seulement la région Provence-Alpes-Côte d’Azur mais aussi plusieurs cantons de la ville de Nice. Jacques Peyrat est le premier magistrat de la ville depuis 1995. Même s’il a rejoint les rangs du RPR après son élection, son autorité politique est loin d’être assise sur des états-majors qui ne l’apprécient guère.
Dans cette série d’échec, le 3e canton, qui comprend les secteurs de Riquier, de République, de Vauban et de Saint-Roch, figure en bonne place. Le communiste Jacques Victor l’emporte alors sur l’une des adjointes de Jacques Peyrat, Micheline Baus. Micheline Baus que le conseiller général retrouvera sur son chemin en 2004. Nouvel échec pour la candidate de l’UMP dans le cadre d’une triangulaire avec le Front National. Le parti de Marine Le Pen aura à nouveau un candidat dans ce canton avec Lionel Tivoli.
Sept ans plus tard, Jacques Victor repart pour un troisième mandat, cette fois-ci, comme l’exige la loi, avec une suppléante en la personne de Catherine Cohen-Seat, avocate. Son credo : faire du 3e canton « un espace de résistance » face à l’omniprésence de la droite représentée localement par « le couple Estrosi-Ciotti ».
Victor contre « les caprices et les coups médiatiques »
Le maire de Nice et le président du Conseil général sont accusés par Jacques Victor de préférer « les caprices et les coups médiatiques » aux « besoins de proximité qui tardent à être satisfaits ». Les caprices ? Le grand stade, « la béton-vallée », la suppression de la gare routière… Les coups médiatiques ? La rénovation de la gare Sncf ou le téléphérique qui devait relier Saint-Roch à l’Observatoire. Autant d’initiatives qui visent, selon Jacques Victor, à « occuper le terrain et à faire diversion ».
Jacques Victor ne se contente pas de taper sur les représentants locaux du « pouvoir sarkozyste ». Il sait que la bataille sera rude et que les règles du jeu ont changé par rapport à 2004. Sous la pression des députés UMP effrayés par les conséquences des triangulaires – notamment avec le Front National – le parlement a revu à la hausse le seuil que les candidats doivent atteindre pour se qualifier au 2e tour. De 10% des votants, ce seuil est passé à 12,5% des inscrits. Objectif : favoriser les duels droite-gauche au 2e tour.
Les candidats de la majorité départementale comptent bien profiter de ce coup de pouce opportun du législateur. Y compris dans le 3e canton de Nice où les triangulaires ont été fatales à la droite par deux fois. C’est pourquoi la gauche niçoise a préféré serrer les rangs pour ce 3e canton. Jacques Victor est non seulement soutenu par le PS, le PC, le MRC, le PRG et les Verts/Europe Ecologie mais aussi par le Front de gauche et le NPA.
Face à un sortant bien implanté dans son canton, l’UMP et le Nouveau Centre ont sollicité et investi Philippe Rossini, un enfant du quartier, gendarme puis chef de greffe à la maison d’arrêt de Nice et aujourd’hui fonctionnaire d’Etat en détachement à la mairie de Nice. Certains se sont étonnés que, contrairement à tous les autres cantons, le député-maire de Nice n’ait pas choisi un membre de sa municipalité pour monter au front. Son prédécesseur, Jacques Peyrat, lui, avait choisi une adjointe très proche, Micheline Baus, pour défier Jacques Victor. Micheline Baus qui se retrouve aujourd’hui suppléante de… Philippe Rossini.
Rossini cible des critiques
Alors, caméléon Philippe Rossini ? Il est connu dans les quartiers Est pour ses nombreuses activités associatives : il préside deux associations (Entraide et Partage, St-Roch Mission), responsabilités qu’il a mis entre parenthèses le temps de la campagne. Jacques Victor s’interroge : « comment peut-on être le dirigeant d’une association qui aide les plus démunis et représenter un parti, l’UMP, dont la politique accentue tous les jours les inégalités ? Comment dépasser cette contradiction ? ».
Si Rossini refuse la polémique, ses soutiens, eux, donnent de la voix. A commencer par le président du Conseil général, Eric Ciotti, qui a dénoncé ces « attaques personnelles » le 16 janvier dernier, lors du lancement de campagne de Philippe Rossini au gymnase Francis Giordan. Le conseiller municipal venu de la gauche, Jean-Michel Galy, qui préside le comité de soutien de Philippe Rossini, préfère insister sur la capacité à rassembler du candidat labellisé précisément « Nice Ensemble » (NDLR : nom de la liste de Christian Estrosi aux municipales de 2008) : « il transcende les courants et dépasse les étiquettes ».
Reste que les nouveaux habits politiques de Philippe Rossini font jaser. Victor parle même d’un « candidat retourne-veste » : « d’abord socialisant avant de se retrouver au Modem pour finir à l’UMP ».
Emmanuel Guillon, également candidat, n’épargne pas non plus Philippe Rossini. Ce militant UMP s’émeut de voir le parti présidentiel investir un candidat qui a été proche de Jérôme Rivière, l’ancien député de la circonscription battu en 2007 par… Eric Ciotti. Emmanuel Guillon s’est d’ailleurs retiré de la course à l’investiture au sein du parti présidentiel pour manifester son désaccord. Il n’est pas le seul à se réclamer de la majorité présidentielle : la fédération de la Gauche Moderne de Jean-Marie Bockel a investi Pierre Laigle avec sa suppléante Lilia Parisot. Une pierre dans le jardin de l’UMP et du Nouveau Centre ?
Les identitaires dans la bataille
La campagne à peine ouverte, Philippe Rossini, venu du militantisme associatif, découvre ainsi que les coups pleuvent de tous les côtés en politique. Et ils ne viennent pas seulement de la gauche et d’une partie de la droite. Le candidat soutenu par l’UMP est également la cible de Philippe Vardon, leader de Nissa Rebela, le mouvement des identitaires niçois. Pour la circonstance, il est appuyé par Jacques Peyrat (voir encadré ci-joint). L’ancien maire de Nice voit dans le choix de Philippe Rossini, qui n’est pas membre de l’équipe municipale, la preuve que Christian Estrosi et l’UMP « ont déjà fait une croix sur le 3e canton ». Philippe Vardon va plus loin en affirmant que ce canton « est abandonné par la mairie ».
« La défense de l’identité et du patrimoine du canton », voilà le leitmotiv de Philippe Vardon. Au cœur de sa campagne, l’avenir du centre Costanzo promis à la démolition pour laisser place à un programme immobilier. Pour l’instant, les différents recours ont stoppé le projet, comme s’en félicite également Jacques Victor.
Ce 3e canton finira-t-il par basculer dans l’escarcelle de la droite niçoise ? La gauche se bat pour le garder. Le FN et les identitaires sont en embuscade. Se passe-t-il vraiment « quelque chose », comme l’espérait tout récemment à haute voix Eric Ciotti ? Premiers éléments de réponse au soir du 1er tour, le 20 mars.